Plusieurs rencontres entre les Éditions Canopé Languedoc Roussillon ont eu lieu avec les Clionautes. Au mois de mai 2014, à Nîmes, lors d’un salon consacré aux TICE, et aux Chapiteaux du Livre de Béziers fin septembre 2014. Nous avons pu a pu échanger avec les mêmes personnes sur le métier d’enseignant, et particulièrement sur la place de l’enseignement de l’histoire-géographie, sur l’emploi des TICE et l’usage des ENT, sur la place qu’entendait occuper l’association des Clionautes dans les débats sur l’école (des membres de l’association ont été auditionnés par le Conseil Supérieur des Programmes). Enfin, le stand des Clionautes, à la fois acteurs, partenaires et prescripteurs aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois en octobre 2014, se situait à moins d’une encablure de celui des éditions Canopé.
Association indépendante, les Clionautes sont désormais des acteurs à part entière de la communauté en charge des questions éducatives. Association disciplinaire également, elle assure, avec son service de presse et ses relations avec le monde de l’édition, une veille scientifique sur l’évolution de nos disciplines enseignées, la géographie et l’histoire.
C’est dire l’importance que nous attachons au développement de ces relations et à la mise en place de partenariats.

La collection « Questions ouvertes » des éditions Canopé, émanation du système éducatif français, donne une série d’ouvrages très intéressants sur les périodes de l’histoire. Ces questions volontairement ouvertes, traversent les préoccupations des programmes d’histoire de l’Education Nationale et s’adressent sans détours, et sans évitements, aux personnes intéressées par l’historiographie en général, ses problématiques, ses apories, ses évolutions et ses enjeux idéologiques.

Vaste programme brillamment illustré par un volume (entre autres) de cette collection dirigée par Jacques Limouzin, intitulé : Regards sur les civilisations antiques, volume co-dirigé par Christian Bouchet et Henri Eckert, avec de nombreux contributeurs.

Un usage clair de la pensée complexe.

Cela dit, revenons à l’ouvrage que nous avons choisi dans cette riche collection. Présentation sur papier glacé, textes passionnants, et ouverture sur des problématiques historiographiques essentielles. 45 questions ouvertes, quelques annexes, une iconographie minimaliste mais parlante, un lexique très utile et, pour chaque fiche-question, une bibliographie sommaire. Quand on parle de questions ouvertes, on s’aperçoit très vite que les contributeurs ne proposent pas des réponses univoques ou manichéennes à des problématiques qui font encore débat. C’est ce qui fait la richesse de ce volume que le lecteur peut soit parcourir au hasard, par « entrée », mais qu’il vaut mieux lire au long cours pour comprendre la cohérence de l’ensemble. Cette cohérence vient de l’usage raisonné et accessible des principes de la pensée complexe énoncés par Edgar Morin. Il ne s’agit pas de mettre en relief l’alternative (c’est soit ou, soit ou…), mais de poser les termes de la connaissance en intégrant les difficultés et les erreurs, les tâtonnements et les polémiques qui les entourent (c’est et, et c’est aussi et…). Une façon de montrer comment on peut aborder des questions parfois délicates parce que chargées de présupposés idéologiques et/ou religieux. Une façon comme dit en substance Edgar Morin dans son dernier ouvrage paru chez Actes sud et qui fera l’objet d’une recension prochaine dans la Cliothèque (Enseigner à vivre), d’apprendre à connaître ce qu’est la connaissance.

Quelques exemples.

Pour illustrer ce qui précède, il est bon de piocher dans les questions et de donner des exemples de complexité.

Prenons, d’une part la question 1:
Quelle est la valeur historique de L’Iliade et de L’Odyssée et les questions 35 La Bible est-elle un moyen de connaître le passé du peuple hébreu ? 36 Comment la Bible a-t-elle été mise par écrit ? 37 Quelle attention accorder aux récits bibliques ?

Les problèmes posés par ces questions portent sur des textes et mettent en œuvre non seulement les certitudes, mais aussi les controverses historiographiques qui s’affrontent sans qu’une vérité ultime puisse jamais apparaître (ce qui ne serait ni souhaitable, ni possible, ni épistémologiquement tenable). Ces textes interrogent notre imaginaire occidental. Si l’on peut cantonner (et encore) Homère à des querelles de chapelle, sans oublier qu’il a fait l’objet de récupérations idéologiques parfois douteuses, le texte biblique, les textes devrait-on dire, pose des difficultés bien plus brûlantes et actuelles, dans un monde où le religieux devient source de conflits récurrents et de plus en plus violents. Ce qui est intéressant dans ces fiches, c’est que les apports de la sémiotique, de la narratologie et de la poétique sont intégrés aux approches historiques proprement dites et introduisent une ouverture, une transversalité et une diversification des points de vue et des horizons d’attente qui enrichissent la connaissance, sans la rendre opaque, bien au contraire.
Autre problématique intéressante, prise au hasard : le statut des esclaves dans le monde gréco-romain. Outre les débats d’ordre philosophique, voire religieux qui ont été ouverts dès l’Antiquité par Aristote, les stoïciens, les épicuriens ou les chrétiens, la connaissance historique, appuyée ou consolidée par les recherches archéologiques ainsi que par des retraductions d’auteurs antiques ou les avancées de la sociologie et de l’épistémon historique, donnent une image très complexe de l’esclavage antique. A la croisée de l’humanité, de la production, et de la sexualité, le regard que nous pouvons poser sur ce pilier des sociétés antiques, ne devient pas exotique, au sens ou ces sociétés sont à la fois proches et coupées de nous, mais, comme le disait Victor Segalen en parlant de la Chine, notre conception des choses devient « exote », c’est-à-dire étrangère à elle-même. Ce que Florence Dupont a bien montré, malgré quelques excès de dame patronnesse.

Des réserves.

Les éloges étant massifs et emportant l’enthousiasme, restent quelques points critiques. On peut les classer en trois catégories.

L’occidentalo-centrisme : sur 45 questions, en faisant un décompte qui doit s’expliquer par la teneur des programmes, les Q 1 à 10 sont consacrées à la Grèce ; les Q 11 à 20 à Rome ; les 21 à 23 à la « civilisation » gréco-romaine ; les 24 à 26 au christianisme. Soit 26 questions sur 45 consacrées à l’Occident. Les Q 27 à 31 ont pour centre le Proche et le Moyen-Orient ; de la 32 à la 34, c’est l’Egypte ; de la 35 à la 37, le monde de la Bible ; la 38 met en parallèle la Chine et l’Inde ; de la 39 à la 43 il est question de la Chine, surtout celle des Han ; enfin les questions 44 et 45 ont pour thématique l’Inde antique.

Ces deux dernières questions qui posent comme quasiment impossible toute histoire de l’Inde antique, amène une deuxième catégorie de critiques.

  • L’Histoire : les auteurs partent du postulat que l’Histoire avec un grand H doit répondre implicitement, sous peine de mésinterprétations ou de récupérations idéologiques à deux conditions de possibilité : l’existence d’une écriture, déchiffrable et compréhensible, et, plus curieux, il n’existerait de civilisation que si cette écriture produisait elle-même de l’histoire, de la chronologie, des listes dynastiques. A ces conditions, l’Inde ou les Indes, ne seraient jamais vraiment entrées dans le champ de l’historiographie, car les témoignages écrits conservés sont tardifs, et que la culture au sens large de l’Inde ne s’est pas préoccupée de sa propre histoire.
  • Ceci amenant cela, la troisième critique en découle, même si on pourra y opposer un format de type contraint, voire oulipien comme pour les Que sais-je des PUF.
    Et les marges ?

Rien sur les civilisations antiques du continent américain. Pas un mot de l’Afrique, à part le débat polémique sur l’africanité de la civilisation égyptienne. Mais, ce qui est encore plus « léger » pourrait-on dire, de la part de contributeurs informés, se trouve dans la question 17 Qu’est-ce qu’une ville gauloise à l’époque romaine ?

Là, manifestement, le texte n’est pas au niveau des attentes. On en est encore à la culture des oppida, bien entendu influencée par les modèles urbains gréco-romains. Aucune prise en compte des avancées de l’archéologie (comme à Corent dans le Massif Central par exemple), considérée encore une fois comme auxiliaire de l’histoire, et non comme connaissance complexe à part entière. Le seul schéma urbanistique qui ait une quelconque valeur, est le schéma dit « hippodamien » ou orthogonal. Le fait qu’un urbanisme répondant à des modes de pensée radicalement différents ait pu naître de façon endogène est tout simplement inimaginable. Un peu court dans un monde qui commence à savoir que le niveau technologique ne dépend pas uniquement de hiérarchies idéologiquement et historiquement jamais remises en cause, mais de mises en réseaux, de réticularités qui peuvent répondre à d’autres nécessités essentiellement culturelles. La civilisation celtique, anhistorique, est reconnue vaguement, sans que son importance dans les fondements de la culture occidentale soit mise en relief. Peut-on alors parler de progrès dans l’historiographie ?