Plus de vingt contributions se sont emparées du thème des cartes postales illustrées durant la Première Guerre mondiale. L’ouvrage est richement illustré.

L’objet d’étude

Les auteurs se sont penchés sur la collection Agnès et Henry Parent de Curzon. Les cartes postales sont étudiées comme des objets totaux qui offrent une « intelligence des temps et des espaces de la guerre ». Il s’agit d’une collection française avec donc comme ennemi principal l’allemand.

La carte postale illustrée en guerre

Il faut à la fois connecter cet objet qu’est la carte postale illustrée aux autres médias de l’époque tout en conservant sa spécificité. «  Qu’est-ce que la carte postale illustrée est d’autre ou de plus, à la faveur des évènements, dans ce réseau que tissent des objets différents mais apparentés ? ». La carte postale représente une véritable industrie culturelle en ce début de XXème siècle. Au début des années 1910 on imprime annuellement plus d’un milliard de cartes postales en Allemagne et 800 millions en France. La première Guerre mondiale relance la production de cartes postales. Trois types de cartes ont été produits et diffusés durant le conflit : des cartes-vues photographiques, des cartes patriotiques de « fantaisie » et des cartes illustrées, humoristiques ou satiriques.

Un objet mobilisé et ses usages

La première partie est articulée autour de sept contributions. La première cerne la proximité iconographique entre les cartes postales et la presse satirique. Faute de datation des premières, il est souvent difficile de savoir quel média inspire l’autre. Avec le conflit qui dure, deux topoï dominent : la bonne humeur à toute épreuve des soldats et le désir que les mobilisés suscitent chez les femmes. Par ailleurs diffuser une carte postale d’un ennemi mort est impossible en 1914 mais possible en 1918, comme si le public s’était habitué à la violence. Les cartes postales se distinguent aussi des lettres dans le sens où elles laissent peu de place pour écrire. Pourtant elles sont utilisées et pour plusieurs raisons.

Parmi elles mentionnons le fait que le papier a un coût non négligeable. Les images grivoises remplacent aussi les mots qu’on n’oserait pas écrire. Le marché de la carte postale reste atomisé pendant la guerre tout comme il l’était avant le début du conflit. Anne-Sophie Aguilar pose les bases d’une étude sur les enjeux d’une étude esthétique et matérielle. Martine Sadion quant à elle s’interroge sur le fait qu’il s’agit d’éditions isolées, de séries ou d’ensembles.

Mots et motifs

Sept contributions constituent cette deuxième partie. Philippe Kaenel dans une approche stimulante propose de rapprocher les feuilles volantes satiriques de la Renaissance et la carte postale caricaturale de la Première Guerre mondiale car ces deux supports ont longtemps été relégués au second plan de l’histoire. Nicholas-Henri Zmelty s’intéresse aux aspects scabreux visibles dans les cartes postales. « Rien n’est jamais assez fort dès qu’il s’agit de marquer du sceau de l’infamie l’Allemand honni ». On n’hésite pas non plus à utiliser l’accusation d’homosexualité envers les soldats. On trouve aussi des « variations fécales » comme dit l’auteur.

Alimentation et images des femmes

L’alimentation est aussi un thème présent dans les cartes postales. Cela peut être utilisé pour montrer la culture d’un pays. En effet, dans des temps incertains, la gastronomie représente un point d’ancrage de l’identité. On trouve aussi l’alimentation évoquée de façon métaphorique pour dénoncer l’appétit de l’ennemi. Par ailleurs «  le pillage des ressources par l’ennemi mobilise des peurs alimentaires classiques du temps de guerre ». En temps de guerre on voit donc ressurgir d’anciennes thématiques comme la résistance et la revanche, thèmes issus de l’iconographie de 1870. Fanny Brülhart revient sur l’image des femmes à travers la figure de la religieuse ou de l’infirmière. Les cartes postales patriotiques présentent ainsi l’infirmière et la religieuse au front en tant que figures héroïques. «  Interchangeables, elles occupent une position d’auxiliaires auprès du poilu ».

Violences

Cette troisième partie est également constituée de huit interventions. Vincent Chambarlhac traite du rapport bestialités et barbarie. Le premier thème assimile le caractère de l’ennemi à celui d’une bête tandis que le second suppose l’ennemi comme une proie. La deuxième contribution développe l’idée que les atrocités allemandes deviennent un vivier inépuisable de thématiques propres à dénoncer la barbarie et le vandalisme de l’ennemi. Une contribution s’intéresse à la question des blessures et des mutilations. La blessure peut être vue comme un signe de bravoure.

La mention d’une mutilation peut-elle servir à discréditer l’ennemi. « Si les glorieux mutilés de la propagande ne sont en rien des hommes diminués, ceux qu’elle travaille à discréditer le sont de toutes les manières ». Bertrand Tillier termine par une approche des cartes à système numériquement très peu nombreuses mais qui interrogent de par leurs spécificités techniques. Le mécanisme qu’elles comportent en font un objet couteux et elles invitent le spectateur à être collaborateur de l’image. Ce sont de véritables petits théâtres de guerre

Rires

 Jean-Claude Gardes pose ensuite la question du rire sous deux aspects : rire des autres, rire de soi. L’objectif des dessinateurs est de faire rire du soldat allemand qui est selon les cas un barbare inhumain, un ennemi que l’on pulvérise, un lâche fanfaron entre autres. Il est beaucoup plus difficile en temps de guerre de rire de soi. Thérèse Willer se focalise sur les rires d’Alsace-Moselle et commente notamment cette carte postale qui voit une Alsacienne essayer un casque allemand et conclure : «  décidément le casque ne me va pas ». Odile Roynette traite des langages de l’humour et elle insiste sur la durée du conflit qui a eu des conséquences sur ceux-ci. On assiste à une « diversification de l’offre au fil du temps allant de l’humour conventionnel, proche du comique troupier d’avant-guerre, à la caricature la plus outrancière, en passant par des formes originales ».

Cet ouvrage offre donc de multiples éclairages sur les cartes postales de guerre. Riche iconographiquement, il permet de découvrir des aspects parfois méconnus et pourquoi pas d’enrichir ses cours de représentations visuelles peu connues des élèves. Cela nécessite néanmoins un choix éclairé et une explication minimale de ce support.

Jean-Pierre Costille