Rendre accessible en format de poche est donc à un prix modéré des textes de référence, peu de temps après leur parution dans des éditions plus onéreuses, tel est le pari réussi de l’éditeur PERRIN avec la collection Tempus dont plusieurs ouvrages ont déjà été présentés sur ce site.

Paru courant mars ce petit ouvrage sur la Chine rédigée par l’un des meilleurs spécialistes de la question présente l’immense intérêt d’ouvrir des perspectives sur ce pays après la crise économique de l’automne de 2008. La table des matières très détaillée permet de comprendre quels sont les fondements de ce régime qui, depuis 1978 a réussi une étonnante mutation : passer d’une économie planifiée au fonctionnement hasardeux au statut envié de pays atelier du monde.
Pour Jean-Luc Domenach, la recette chinoise mise en œuvre par trois dirigeants successifs, de Deng Xiaoping à Hu Jintao, serait celle d’un autoritarisme relâché, permettant l’affirmation d’une opinion publique qui conteste quand même la caste plouto – bureaucratique qui tient les leviers de commande du pays. Cette caste est fondamentalement différente de celle qui dirigeait l’Union soviétique avant 1985, puisqu’elle constitue aujourd’hui des dynasties autour des fonctions officielles et de l’argent accumulé dans les affaires publiques et privées. La société chinoise est aujourd’hui beaucoup plus agitée et les individus expriment leur volonté de réussite en participant de façon autonome mais de façon indirecte à la naissance d’une véritable opinion publique.

Celle-ci s’exprime dans une structure qui ne reconnaît pas le pluripartisme politique mais qui ne peut totalement étouffer d’autres formes de contestation de l’ordre établi comme l’utilisation de l’Internet, des blogs, des manifestations dont certaines peuvent être violentes. Aujourd’hui les inégalités se creusent entre villes et campagnes, entre urbains de souche et immigrants, mais globalement, depuis 1978, le niveau de vie moyen de la population a connu une hausse régulière.

L’amélioration de la condition matérielle de la population à transformé le rapport des individus au pouvoir. Dès lors que la croissance économique confère aux individus à la fois une valeur en tant que producteur et une liberté privée, il est certain que l’érosion de l’arbitraire ne se poursuive. La Chine est désormais ouverte au monde, tient compte malgré quelques rodomontades de son image à l’extérieur et au bout du compte s’affirme comme un partenaire indispensable pour l’ensemble des pays de la triade. Toutefois, Jean-Luc Domenach rappelle que le pays est loin d’être encore sorti du sous développement.

Pendant 30 ans au moins, la Chine a choisi un mode de développement basé sur le gaspillage de ressources et sur une indifférence coupable à l’encontre des conséquences environnementales de cette forte croissance. En matière de performances environnementales la Chine et au 94e rang sur 133 pays, et ce classement serait plutôt optimiste. De plus, une certaine forme de prédation économique existe, la corruption et les malversations dont le coût représenterait de trois à 6 % du PIB chinois.

Quatre épées de Damoclès menacent le développement de la Chine :

– l’agriculture est insuffisamment rentable et se trouve exposée à la concurrence des géants mondiaux que sont le Brésil et l’Argentine.

– La rentabilité des entreprises est également sujette à caution. Celle-ci s’appuie sur des prêts bancaires dont on sait bien qu’il ne seront jamais remboursés.

– La dépendance énergétique a des conséquences majeures sur la croissance même si la baisse des prix du baril de pétrole depuis l’hiver 2008 à masqué le problème provisoire.

– La dépendance de court terme tient aux excédents commerciaux sur les marchés occidentaux en particulier sur le marché américain. Une réduction annuelle de la croissance américaine de 20 % se traduit par une réduction équivalente de la croissance chinoise.
On comprend pourquoi le plan de relance chinois se situe au même niveau que celui des États-Unis, c’est-à-dire 800 milliards de dollars. Ce plan a permis de valoriser les excédents chinois réalisés pendant les périodes fastes de la haute croissance.

La deuxième partie de cet ouvrage traite de l’épreuve de vérité à laquelle est confrontée le pays. Il est évident que l’augmentation des coûts est le corollaire de l’élévation du niveau de vie. Cela implique de répondre à de nouveaux défis, comme le développement d’un système de santé, évoqué récemment, le renforcement des investissements en matière d’éducation et de recherche et la réponse aux préoccupations environnementales qui s’expriment avec force. L’auteur remet en cause cette vision souvent fausse d’une Chine disciplinée, rappelant les gardes rouges marchant au pas avec le petit livre rouge. En réalité la discipline populaire est un véritable fléau cela se traduit par des comportements individualistes parfois surprenants. Les dirigeants chinois se méfient de toute politique de pression extrême qui susciterait des révoltes dont ils savent d’expérience qu’elles sont difficilement contrôlables. La révolution culturelle a montré que l’on ne mobilisait pas impunément les masses chinoises. Pour toutes ces raisons les dirigeants chinois font preuve d’un extrême pragmatisme et commencent, depuis le début de l’année 2009, à mettre en oeuvre des politiques à destination des populations, comme une amélioration du système de santé et d’éducation.

La postface de cet ouvrage intitulée : 2008 : la Chine entre deux histoires, présente l’analyse des dernières évolutions du pays. Avant même la crise économique mondiale l’augmentation des exportations vers les États-Unis connaissait un réel ralentissement. Les premières faillites d’usines dans le delta de la rivière des perles ont été observées à ce moment-là. La crise boursière a touché la Chine bien avant l’automne de 1008 et les indices boursiers ont perdu en 2008 la moitié de leur valeur exprimée en 2007. La fragilité de la croissance chinoise tient à la nécessité d’un taux au moins égal à huit % pour maintenir l’emploi. Depuis cette date des licenciements massifs ont eu lieu. Il est clair que le potentiel de croissance économique se trouve maintenant dans une relance de la consommation intérieure favorisée par une certaine hausse des revenus.

Au niveau politique les autorités chinoises peuvent continuer à jouer sur le nationalisme, comme l’ont fait juste avant les jeux olympiques de 2008, à propos du Tibet. Cela présent un intérêt, celui de rassembler le pays face à la crise. Au niveau international, même si les dirigeants sont très attentifs, quoi qu’ils en disent, à l’opinion publique mondiale, la crise leur permet de justifier des choix politiques discutables, comme le soutien au régime soudanais.
Alors pourquoi la Chine inquiète-elle Jean-Luc Domenach ? C’est qu’à l’échelle de ce pays rien n’est jamais sûr et surtout rien n’est jamais acquis à l’avance. L’histoire de ce pays a montré que l’unité politique et territoriale n’est jamais acquise et qu’elle est le résultat d’un savant dosage de compromis et de position de force. La Chine a certes le potentiel de sa réussite et de son affirmation comme grande puissance mondiale, mais en même temps elle doit prendre en compte le fait qu’elle est entourée désormais de concurrents qui s’inquiètent de sa puissance et qui ne sont pas prêts à lui rendre la tâche facile. Cela peut, si les démons du nationalisme se réveillent, inciter une partie de la direction chinoise à une certaine forme d’aventurisme militaire.

Bruno Modica © Clionautes