À quelques jours des élections européennes, la parution de ce dictionnaire historique de l’Europe unie, permettra de resituer dans le temps les enjeux de cette construction d’une entité économique et politique à l’échelle d’un continent, une aventure commencée il y a maintenant un demi-siècle.
Cet ouvrage de plus de 1200 pages ne se limite pas à un simple index de personnalités et de références des institutions, il met véritablement en perspective les grands enjeux de la construction européenne. Les trois auteurs principaux sont des spécialistes des questions européennes et leurs notices permettent à coup sûr de trouver les réponses précises et en même temps complètes à toutes les interrogations sur le sujet.
Bien entendu cet ouvrage n’est pas à parcourir de façon linéaire. Il constitue un véritable livre d’histoire générale dans lequel la plupart des sujets sont abordés. Si l’on dit la plupart des sujets, c’est qui en manque peut-être un, et il est de taille, surtout cette année, à savoir l’OTAN.
En effet, l’actuel président de la république française, a fait le choix de remettre en cause la position de la France par rapport à l’alliance atlantique, qui avait été initiée par le général de Gaulle.
Références aux politiques de l’Union
Pierre Gerbet, auteur de la plupart des articles de ce dictionnaire, rédige une très précieuse synthèse consacrée un historique de la communauté européenne de défense. Peut-être aurait-il fallu relier cette notice à celle consacrée à la politique européenne de sécurité commune. C’est d’ailleurs là, l’une des principales limites de cet ouvrage, le lien entre les différentes notices, permettant de trouver les références à un thème de façon plus rapide.
Le livre contient de très précieuse référence à ce que l’on appelle dans le jargon de Bruxelles les politiques de l’Union. La genèse de la politique sociale est minutieusement décrite, du début des années 50, avec déjà à cette époque la revendication par l’assemblée commune de la CECA, d’un programme social, à la création d’un fonds social européen dès 1957. On l’oublie souvent, mais en matière sociale ce sont les dispositions françaises en matière de congés payés, trois semaines, qui se sont imposées, en 1956.
En 1971 le fonds social européen prend son autonomie par rapport aux décisions nationales et en tant que fond structurel de l’union européenne, met en oeuvre ses actions de financement uniquement en fonction des critères communautaires.
Avec le début de la crise de 1974, le développement d’une politique sociale à l’échelle de l’union se heurte aux réticences de l’Angleterre. On prend conscience des cette époque des écarts salariaux entre pays de l’Union. Cependant, le dumping social n’avait pas encore véritablement commencé à cette époque. C’est en 1985, sous l’impulsion de Jacques Delors, président de la commission européenne en janvier 1985, qui mise en oeuvre la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs. Cette charte qui, en raison de l’opposition de l’Angleterre, n’est pas explicitement développée dans le traité de l’Union, fixer les grands principes du modèle social européen, une référence que l’on a eu tendance à oublier au fil des élargissements successifs. Dans le traité constitutionnel, la politique sociale est également très prudente, ce qui peut expliquer les noms successifs des Pays-Bas et de la France au projet de traité.
On apprécie également dans cet ouvrage, les notices biographiques consacrées à de « grands Européens », dont l’action est parfois mal connue. Georges Pompidou a souhaité approfondir la construction européenne de façon très pragmatique, tout en conservant des réticences évidentes face à l’administration de Bruxelles. Georges Pompidou a joué un rôle éminent lors du sommet de La Haye, en décembre 1969. C’est de cette époque que date le projet d’union économique et monétaire et bien entendu le triptyque proposé par le gouvernement français : « achèvement – approfondissement – élargissement ». C’est cela qui permet à l’Angleterre de rejoindre l’Union, avec l’Irlande et le Danemark.
Des personnalités peu connues
Ce dictionnaire historique ne se limite pas à des personnages particulièrement connus comme les différents chefs d’État dont les trajectoires et les décisions ont influencé la construction européenne. On pourra par exemple découvrir le parcours de Joseph Retinger, né en 1888 dans la partie polonaise dominée par l’Autriche, qui a essayé au lendemain de la première guerre mondiale de promouvoir, à partir de la question polonaise, l’idée européenne comme moyen de préserver la paix. Opposant au régime autoritaire du général Pilsudski, il influence le gouvernement polonais en exil pendant la seconde guerre mondiale. Parallèlement à son rôle auprès du président Sirkoski, Joseph Retinger, développe de nombreux contacts avec les chefs d’État d’Europe du Nord et du nord-ouest, en faveur de l’union européenne. Après la prise de contrôle par Moscou de la Pologne, Joseph Retiger, consacre toute son énergie à la promotion de l’idéal européen comme moyen d’unifier cette Europe divisée en deux blocs. Il meurt totalement oublié en 1960.
Autre personnage découvert en parcourant les notices, Denis de Rougemont est un acteur de la construction européenne dans sa dimension culturelle. Il appartient à un groupe d’intellectuels qui ont contribué à penser l’Europe dès les années 30, avec Richard de Coudenhove – Karlegi.
Il a été séduit un temps par le discours « européen » du national-socialisme mais ils coupe tous les liens avec Otto Abetz, dès 1938 et se réfugie aux États-Unis. En 1946, il revient en Suisse et participe au congrès de La Haye qui lance, en présence de Churchill, l’idée européenne après la seconde guerre mondiale.
Dernière qualité que l’on trouvera cet ouvrage, les nombreuses synthèses sur les différents traités qui ont émaillé l’histoire de la construction européenne. Si l’on prend le traité d’Amsterdam par exemple, cette notice rédigée par Pierre Gerbet, met en perspective ce texte entré en vigueur le 1er mai 1999, à la fois du point de vue des négociations qui ont précédé que de son bilan. Rappelons que ce traité d’Amsterdam est riche de plusieurs avancées concernant les rapports de l’union européenne avec les citoyens, notamment l’espace de liberté et sécurité et justice, aboutissant par exemple à une politique de visas ainsi qu’un renforcement du rôle du Parlement européen. Ce traité par contre ne comprend pas d’amélioration du mécanisme décisionnel au sein de l’Union.
Au terme de cette présentation de ce dictionnaire historique de l’Europe unie, qui ne peut rendre que très imparfaitement compte de la richesse de cet ouvrage, on ne peut que conseiller son acquisition dans les bibliothèques universitaires et les médiathèques, car il fournit une synthèse précise et documentée qui met en perspective la construction européenne. Même si trois semaines à peine avant les élections au Parlement européen, il serait illusoire d’espérer sa lecture par les candidats, on ne peut que se satisfaire de cette publication qui permettra d’évaluer les politiques européennes dans le futur à la lumière du passé.
Bruno Modica © Clionautes