Comment résumer 25 ans de travail de la Zone Atelier de Chizé, une zone de 45 000 kmoù est implantée un centre du CNRS ? Réconcilier nature et agriculture s’y attèle et montre sur le temps long aussi bien l’évolution des thèmes de recherche que la permanence des enjeux écologiques.

Réconcilier nature et agriculture revient sur le déroulé des recherches de la Zone Atelier, située dans les Deux-Sèvres. Le plan y est relativement chronologique ; il permet donc de mesurer l’évolution des travaux de Vincent Bretagnolle et de son équipe du CNRS. On va donc de la protection des oiseaux emblématiques au développement de l’agroécologie, en passant par la protection des prairies, la valorisation de la flore spontanée et le travail sur les abeilles. En développant 25 années de recherche sur l’écologie des plaines céréalières, cet ouvrage retrace aussi les évolutions de cette science. En effet, les premiers travaux sur les Busards sont réalisés sans prendre en compte le milieu et les populations humaines qui y travaillent (les agriculteurs en l’occurrence). Rapidement, il paraît évident qu’il est impossible de travailler sur une espèce sans comprendre son espace et sans dialoguer avec les personnes qui la croisent (et qui parfois la nuisent). Ce premier constat est important puisqu’il remet l’espace au centre. Vincent Bretagnolle se retrouve alors à travailler sur les plaines céréalières, espaces peu abordés par les écologues, pour protéger les oiseaux emblématiques de la région. Cependant, œuvrer en faveur de la conservation d’une espèce ne peut se faire sans la protection de son habitat, qui lui assure nourriture et lieu de reproduction. Le projet de recherche mute alors. Comprenant l’intérêt majeur des prairies de Luzerne, détruites pour devenir des parcelles de grandes cultures, il travaille à proposer des solutions aux agriculteurs afin qu’ils les maintiennent dans leur rotation. Après ces premiers travaux, des rencontres fortuites le font se pencher sur les abeilles, où il effectue des recherches sur les néonicotinoïdes. La Zone Atelier travaille à partir de là sur les pesticides et les engrais avec une question claire : comment diminuer de 30 à 50% l’utilisation d’intrants sans que les agriculteurs perdent en pouvoir d’achat ? Cela conduit Vincent Bretagnolle à réfléchir activement aux alternatives agroécologiques.

Réconcilier nature et agriculture montre donc l’évolution d’un cheminement scientifique ; les auteurs n’oublient jamais de parler des échecs. En effet, si le livre valorise les réussites de la Zone Atelier, il mentionne aussi des erreurs afin de montrer que le raisonnement scientifique se construit et s’affine par l’expérimentation, qui peut être infructueuse. Par exemple, il a cherché, grâce aux aides de la PAC et aux Mesures Agro-Environnementales, à contractualiser un grand nombre de parcelles de la Zone Atelier, dont les agriculteurs devaient notamment diminuer les intrants et espacer les durées de fauche. Vincent Bretagnolle espérait que cette protection diffuse (land sharing) améliorerait le sort de la biodiversité. Il n’en a rien été, cela n’a pas permis une amélioration de la biodiversité malgré les sommes engagées. Cela lui a permis, avec son équipe, de réfléchir à d’autres scénarii de protection de la biodiversité.

De plus, le livre est jalonné d’interviews de Vincent Bretagnolle, réalisés par Vincent Tardieu, journaliste à Libération. Ces interviews portent sur plusieurs thèmes, comme la recherche-action, de l’agroécologie, ou encore l’utilité des mesures institutionnelles d’aide aux agriculteurs en faveur de la biodiversité. Cela donne une certaine respiration à l’ouvrage.

Ce livre soulève plusieurs blocages qui limitent la protection de l’environnement. La toute première est le statut des agriculteurs, qui sont avant tout à la tête d’entreprises privées. Ils ne peuvent que difficilement, au nom de l’environnement, se priver de ressources vitales, alors même que leurs revenus sont limités. La protection des écosystèmes nécessite pourtant la diminution drastique des pratiques agricoles intensives, ce qui est difficilement envisageable dans des espaces presque exclusivement privés. De même, les agriculteurs préfèrent maintenir des pratiques rassurantes et éprouvées plutôt que d’innover leurs pratiques agricoles, car cela peut être un risque économique mais aussi social. Vincent Bretagnolle a pourtant montré la rentabilité et la faisabilité de pratiques alternatives. De plus, les politiques publiques n’aident pas au changement, en promouvant très peu l’agroécologie et au contraire en multipliant les dérogations. La Politique Agricole Commune voit, elle, ses efforts en faveur de l’environnement limités par ses autres actions qui favorisent l’agriculture intensive … Ces points expliquent un certain désenchantement qui se lit au fil des pages, l’impression que les enjeux ne sont pas considérés à leur juste valeur par les pouvoirs publics.

Réconcilier nature et agriculture est donc un livre riche de nombreux enseignements. C’est un ouvrage passionnant qui regorge d’informations. Il est aussi intéressant du point de vue de la méthode : la Zone Atelier réalise une recherche de terrain, en étroite collaboration avec les citoyens et les agriculteurs, qui sont associés à la recherche. Ces expérimentations en pleine nature, avec peu de moyens et avec une place importante accordée à des personnes en dehors du monde de la recherche méritent une certaine attention car elles décloisonnent la recherche et lui donnent du sens. Son appel à davantage de pluridisciplinarité dans la science est aussi d’une criante actualité. Réconcilier nature et agriculture est donc un ouvrage foisonnant d’une grande qualité.