Si en 1948 le président Dumarsais Estimé rêvait de développer le tourisme en Haïti, où en est le pays aujourd’hui ?

Dans un pays longtemps et encore aujourd’hui marqué par la violence et l’instabilité politique, quels sont les atouts en matière de tourisme, notamment dans le domaine culturel ? Telles sont les questions que se pose Joseph Ronald Dautruche dans cet ouvrage tiré de sa thèse d’ethnologie, soutenue en 2013 à l’Université Laval de Québec.

L’objectif de l’auteur est l’étude de la construction d’Haïti comme destination touristique : la place de l’État, celle des acteurs nationaux et internationaux et notamment de la diaspora haïtienne.

L’image de la destination

Deux éléments dominent cette image : le vodou1 et la peinture naïve quand le tourisme repose sur la découverte de l’autre. Un certain nombre de clichés existent à propos d’Haïti : un peuple près de la nature, les vertus primitives du peuple haïtien. L’auteur montre combien il est la difficile de définir la culture haïtienne, complexer elle est née de la rencontre historique d’idées européennes, africaines et américaines.

Dans ce contexte le vodou haïtien, longtemps perçu par les voyageurs comme diabolique, tient une place importante dans la culture, la compréhension du monde comme dans l’identité. Au XXe siècle les Haïtiens ont eu besoin d’affirmer leur identité face à l’occupation américaine2. Le mouvement indigéniste va puiser dans des pratiques culturelles venues d’Afrique. Le vodou est très présent dans la littérature comme dans l’œuvre de Jacques Roumain (Gouverneurs de la rosée) mais de façon ambiguë comme l’expression des classes populaires.

L’auteur aborde un autre aspect de la culture : le développement d’une peinture dont il décrit l’histoire depuis le XIXe siècle ? André Breton en consacrant l’œuvre d’Hector Hyppolite, en 1947, donne à cette peinture ses lettres de noblesse et explique son succès à l’étranger. Les années 1970-1980 sont considérées comme l’âge d’or de la peinture haïtienne.

De l’exposition internationale aux différents plans de l’État haïtien

L’étude montre les différentes facettes d’une politique née au lendemain de la seconde guerre mondiale au moment de l’Exposition internationale de Port-au-Prince (1950) et déclinée jusqu’au Plan directeur tourisme de 2007.

Les grandes orientations portent sur les aménagements urbains de l’exposition destinés à faire de la capitale une façade attractive pour Haïti. Les résultats sont positifs jusqu’en 1957 : 10 000 emplois directs créés, développement d’hébergements, une vie culturelle active, de nombreuses croisières en provenance des Etats-Unis.

La vie politique troublée entraîne un recul de la destination touristique au profit d’autres sites des Caraïbes. Différents plans de restructuration du secteur touristique vont se succéder sans grands résultats ?
Le PNDT3 de 1972 s’appuie sur les atouts géographiques : mer, soleil, plages avec des centres de séjours côtiers et l’accueil des croisiéristes. Le second plan (1996) avec l’appui du PNUD privilégie des structures d’accueil fermées pour garantir la sécurité, sans contacts ou presque avec la population qui demande un meilleur accès aux équipements culturels ouverts aux touristes.

Le plan de 2007/2008 évolue vers un tourisme plus diversifié et mieux réparti dans le pays.

La culture et le patrimoine dans le tourisme à Jacmel

Au sud du pays l’offre touristique commence à se développer dans les années 1990. L’auteur situe la ville de Jacmel, ses équipements, son centre-ville historique et un patrimoine festif autour du carnaval. Il décrit les circuits créés en ville pour les croisiéristes : art et artisanat, café, histoire et culture. Le tourisme balnéaire reste une priorité pour l’État haïtien.

Le Rara de Léogane : un patrimoine ouvert au tourisme

Ce chapitre est consacré à une manifestation culturelle très particulière le Rara et sa déclinaison dans la ville de Léogane. C’est une vielle cité précolombienne : selon la tradition la dernière reine amérindienne Anacoana serait liée à la ville et au Rara. Le tourisme y est une « création » des migrants qui en vacances en Haïti recherche un ancrage patrimonial. L’auteur explique le Rara : un rythme musical particulier utilisé lors des fêtes du carême. Des bandes organisées de musiciens parcourent la ville en dansant. Cette manifestation est une synthèse de différentes cultures : fête amérindienne du printemps, culte catholique européen et musique africaine. Elle est pratiquée dans de nombreuses villes, surtout dans l’Artibonite4 et elle est devenue un marqueur culturel. Son organisation était autrefois liée à un Oungan5, aujourd’hui elle est plutôt liée à des associations de la diaspora notamment à Léogane qui a accueilli, en 2011, 300 000 personnes dont beaucoup d’habitants de tout le pays avec un réel impact économique. Le Rara est aussi récupéré par les candidats aux élections comme moyen de se faire connaître.

Vodou et tourisme aux Gonaïves

L’auteur étudie les rapports entre le tourisme et le vodou dans la commune de Gonaïves. Il montre la variété des rites, le rejet du vodou notamment au XXe siècle même si les efforts combinés de l’État et de l’Église n’ont pas conduit à son éradication.

Le tourisme qui a fait du vodou un objet de dépaysement le menace de dissolution dans le folklore.

Les manifestations vodou de Pâques attirent des touristes à la fois haïtiens du pays et de la diaspora et des touristes étrangers au point que certains acteurs souhaitent en faire un atout : « Gonaïves, capitale du vodou ». Le vodou serait alors un pan de la culture haïtienne à expliquer et à valoriser pour rompre avec les préjugés. Le documentaire The oblivion tree de Norluck Dorange montre que le vodou est l’expression de la culture africaine d’Haïti.

Conclusion

Joseph Ronald Dautruche plaide pour une nouvelle vision du développement touristique.

L’un des intérêt de cet ouvrage est de montrer qu’existe un tourisme international mais aussi un tourisme des haïtiens de la diaspora ou du pays qui sont un atout économique.

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1   Je choisis de garder ici l’orthographe de l’ouvrage

2   De 1915 à 1934

3   Plan national de développement touristique

4   Plus au Nord, Léogane n’est pas dans cette région

5   Chef spirituel de la religion vodou