Philippe Subra, géographie, professeur des universités, directeur de l’Institut français de géopolitique, dirige ce numéro 193 de la revue Hérodote sur la géopolitique du Grand Paris. Il a réuni pour ce faire une équipe de onze chercheurs pour constituer ce dossier composé de huit articles de fonds et de trois entretiens.
Le Grand Paris, un vaste archipel
Dans son éditorial, Philippe Subra plante le décor et définit les contours du sujet. Le Grand Paris est d’abord un vaste archipel de chantiers qui s’étend sur Paris et trois départements de la petite couronne (Val de Marne, Seine-Saint Denis et Hauts-de-Seine). La métropole du Grand Paris inclut le pôle scientifique de Paris-Saclay en cours d’aménagement (20 000 chercheurs et 30 000 étudiants en 2030), un nouveau métro, le Grand Paris Express (GPE), composé de cinq lignes qui auront pour but de révolutionner les conditions de mobilité de millions de banlieusards… Ceci devrait modifier l’espace vécu à l’intérieur de la métropole dans laquelle la barrière du périphérique aurait pour but d’être estompée. Plusieurs questions se posent alors : quid de la gouvernance d’une telle métropole qui voit se superposer les intérêts de la ville de Paris, de la région Ile-de-France, des huit départements qui la composent ? quid de la gestion du GPE ? quid de la place de l’automobile dans la partie centrale de métropole ? quid de l’avenir de la plate-forme aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle après l’abandon du projet de nouveau terminal, le « T4 », alors que le trafic aérien repart à la hausse ?
La gouvernance du Grand Paris
Un premier article signé par Tangui Pennec, docteur en géographie, questionne la question de la gouvernance du Grand Paris et plus particulièrement la résilience de ce qu’il appelle la « banlieue bleue » incluant des bastions de la droite en région parisienne : les Hauts-de-Seine et les Yvelines. Il s’agit d’une banlieue qui s’est souvent mise en opposition du projet métropolitain. Comme le met en évidence l’auteur, l’intégration métropolitaine représente pour la banlieue bleue à la fois une menace et une opportunité. D’un côté, elle remet en cause les fondements du système géopolitique local en voulant « réduire les inégalités entre les territoires qui la composent ». De l’autre côté, elle propose un désenclavement de certaines villes de cette couronne occidentale de la région parisienne. La mise en perspective des intérêts communs et divergents de la banlieue « bleue » et de la banlieue « rouge » montre bien comment la gouvernance du MGP semble bien compliqué.
L’évolution du Grand Paris de la révolution française à aujourd’hui
Emmanuel Bellanger, directeur de recherche au CNRS, revient sur les événements qui ont marqué l’histoire géopolitique du Grand Paris. Le Grand Paris n’est pas une invention du XXIe siècle mais une interrogation depuis la Révolution française et la création du département de la Seine en 1795. Avec Napoléon III et le projet haussmannien, on parle déjà du « Plus Grand Paris » qui annexe 11 communes riveraines de la capitale. Dans les années 1920-1930, une « entente cordiale » entre les maires de tendances politiques diverses tente de réduire les inégalités entre la capitale et la banlieue. Le développement de l’Office des habitations à bon marché ou de l’office de placement des chômeurs multiplient les chantiers dans la banlieue financés aux trois quarts par les contribuables parisiens. Entre 1959 et 1968, le projet de grand Paris s’essouffle au profit de la régionalisation. L’ouvrage de Jean-François Gravier, Paris et le désert français, en 1947, est un réquisitoire contre la capitale. Ce livre influence les décideurs publics et guide les politiques de décentralisation industrielle et d’aménagement régional du territoire. Il faut attendre les années 2000 pour voir ressurgir l’idée d’un Grand Paris et d’une Ville de Paris qui se tourne vers ses banlieues. Ces années aboutiront, le 19 juillet 2013, à la création par l’Assemblée nationale d’une intercommunalité réunissant la capitale et la petite couronne dans la MGP.
Le Grand Paris Express
Philippe Subra étudie l’aménagement du Grand Paris Express, lancé en 2009. Avec ses 200 km de voies nouvelles, ses 68 gares et ses 3 millions de voyageurs quotidiens attendus en 2030, le GPE est le plus important projet d’infrastructures de transport en commun qu’ait connu la région parisienne depuis la création du RER. Sa logique est de relier les villes de banlieue entre elles, prenant acte du changement profond de fonctionnement du Grand Paris : la petite et la grande couronne accueillent aujourd’hui 80% de la population francilienne et compte des pôles d’emplois majeurs (La Défense, Marne-la-Vallée, Saint-Quentin-en-Yvelines…). L’auteur montre comment le financement d’un tel projet est un véritable bras de fer entre l’État et la région.
Un peu plus loin, Anne Clerval et Laura Wojcik, géographes, montrent que le projet du GPE va contribuer à gentrifier le Grand Paris. La GPE est une occasion historique de construire massivement des logements dans un contexte de pénurie mais cela soulève les questions de spéculation foncière et immobilière et de planification métropolitaine du logement social.
L’aéroport Roissy – Charles de Gaulle
Laurent Tardi s’intéresse à l’équipement métropolitain de l’aéroport de Paris – Charles de Gaulle. La plate-forme possède aujourd’hui neuf terminaux, quatre pistes, assure en moyenne 1000 vols quotidiens et traite 75 millions de passagers annuels. Dans les années 2010, trois chantiers étaient censés donner un nouvel élan et faire face à l’accélération du trafic aérien : la réalisation d’un nouveau terminal (T4 pouvant accueillir 40 millions de personnes à l’horizon 2037), le projet du CDG Express reliant la gare de l’Est en 20 minutes et la privatisation du groupe ADP. En 2020, la construction du T4 est suspendue ; le CDG Express a été valorisé à l’annonce des JO de Paris et est intégré au projet du GPE ; la privatisation d’ADP a été écartée. À l’heure actuelle, même si les impératifs restent inchangés, les changements de trajectoire sont incertains.
La question du logement
Frédéric Gilli fait le point sur le logement en région parisienne et la faillite institutionnelle. En 2023, précise-t-il, avec 250 000 euros, un acheteur potentiel ne peut qu’espérer un appartement de 57 m² ou une maison de 84 m². À Paris, un primo-accédant doit désormais gagner au minimum 115 000€ par an pour pouvoir s’offrir un bien de 40 m². Cette situation a deux conséquences : les logements sont globalement trop petits et mal adaptés aux besoins, l’attractivité de la région parisienne en souffre également. L’auteur affirme : « la crise du logement en Île-de-France est politique et démocratique ». Il souhaite donc mettre le logement en débat en recréant un cadre démocratique avec des référentiels partagés et donner la parole aux citoyens.
L’ensemble du numéro est ainsi assez complet et permet de se faire une idée concrète des enjeux économiques et géopolitiques de l’aménagement d’un espace de production gigantesque, qui se présente comme une véritable locomotive de l’économie française.