Gérald Bronner est aujourd’hui professeur de sociologie à l’Université Paris-Diderot et membre de l’Institut universitaire de France. Il a publié il y a quelques mois un ouvrage extrêmement intéressant : « La démocratie des crédules« .
Il est plus facile de prouver que quelque chose existe plutôt qu’une chose qui n’existe pas ! En partant de là, aujourd’hui les tenants de la théorie du ou des complot(s) sont en train de gagner du terrain sur les partisans de la connaissance. Comment, dans un monde de plus en plus instruits arrive-t-on à un résultat pareil ? Les conspirationnistes qui dans le monde d’hier se cantonnaient dans l’extrême gauche ou l’extrême droite, aujourd’hui se retrouvent dans des catégories de populations beaucoup plus larges, Internet a eu un effet démultiplicateur ! Chavez était un conspirationniste, Pepe Grillo l’est aussi. Cela nous amène a réfléchir sur les liens que la croyance entretient avec la connaissance.
L’augmentation du « marché cognitif » grâce à Internet n’a pas favorisé la connaissance, mais de nombreuses personnes préfèrent s’orienter vers ce qui conforte leur croyance plutôt que de se diriger vers les connaissances scientifiques plus arides.
GB propose de nombreux exemples -très éclairants- pour illustrer son propos.
Le vaccin contre l’hépatite serait la cause de l’autisme : article erronée de la revue The Lancet, tous les démentis ont été faits mais l’information reste et donne une base à ceux qui refusent de faire vacciner leurs enfants (ce qui statistiquement provoquera les décès). L’accélération des publications scientifiques fait que le temps de vérification devient insuffisant et explique que des erreurs soient diffusées. Cela renforce la méfiance face à la science.
La peopolisation s’est développée sous la pression concurrentielle des médias d’informations, de tweeter… le buzz a concurrencé l’information (cf. l’affaire de Toulouse qui incrimine de manière totalement infondée Dominique Baudis).
« La démagogie cognitive » qui vise à publier avant les autres ce qui est censé intéresser le public fait que la presse elle-même ne vérifie plus autant l’information.
L’ouvrage pose des questions fondamentales, si la démocratie participative a des vertus, si la mutualisation des connaissances est un progrès, que dire de la mutualisation de l’erreur ? Mettre au même plan un expert et un simple citoyen, est-ce réellement une bonne idée ?
Nos comportements irrationnels peuvent de plus être renforcés par le comportement de notre cerveau. GB n’assimile pas crédules et imbéciles, il n’a pas une posture méprisante et d’ailleurs les études montrent que le degré de crédulité n’est pas inversement corrélé au niveau d’études !
L’effet Othello, comme le canular de William Karrel dans « Opération lune » (les Américains n’ont jamais envoyé d’hommes sur la Lune…), ou l’émission de la RTBF sur l’explosion de la Belgique, permet de rendre crédible quelque chose qui ne l’était pas au départ.
Les conspirationnistes opposent à leurs adversaires un « millefeuille argumentatif » et il est très difficile de démonter tous les arguments proposés, ce qui laisse un sentiment de victoire au tenant de la vérité cachée puisque l’on ne peut pas répondre à tous ! De toute façon, démonter tous les arguments, ne suffit pas à supprimer la croyance…
Que faire face aux inquiétudes fondées ? C’est l’effet Esope, il ne faut pas lancer des alertes à tout bout de champ…
Néanmoins, si les tentatives de manipulation existent réellement, elles sont aujourd’hui de plus en plus difficile à maintenir sur le long terme à cause de l’exigence de transparence de plus en plus présente (cf. la tentative du gouvernement espagnol de rendre responsable ETA des attentats de Madrid ; l’accusation des G.W.Bush sur les armes de destruction massive de l’Irak)
Si la seule réponse à ce risque présenté par GB est bien le développement de la connaissance et de l’éducation au sens critique, doit-on espérer dans le développement de l’histoire dans l’Éducation nationale ? Faut-il encore que les enseignants eux-mêmes ne soient pas membres du club des crédules… GB n’est pas très optimiste face à la montée démagogique, les résultats des élections en Italie n’incitent pas en effet à l’optimisme. Qu’en sera-t-il de la démocratie ?