Créée en 2003 sous le titre Parlement[s], Histoire et politique, la revue du CHPP change de sous-titre en 2007 pour affirmer sa vocation à couvrir tous les domaines de l’histoire politique. Chaque volume est constitué pour l’essentiel d’un dossier thématique (partie Recherche), composé d’articles originaux soumis à un comité de lecture, qu’ils soient issus d’une journée d’études, commandés par la rédaction ou qu’ils proviennent de propositions spontanées.

Quelques varia complètent régulièrement cette partie. La séquence (Sources) approfondit le thème du numéro en offrant au lecteur une sélection de sources écrites commentées et/ou les transcriptions d’entretiens réalisés pour l’occasion. Enfin, une rubrique (Lectures) regroupe les comptes rendus de lecture critiques d’ouvrages récents. Enfin, la revue se termine systématiquement par des résumés des contributions écrits en français et en anglais (suivis de mots-clés).
La revue Parlement(s) Hors-série n° 9 a pour thème : L’antiparlementarisme en France. Ce neuvième dossier Hors-série est coordonné par Jean-Claude Caron (Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand) et Jean Garrigues (Professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Orléans, CEPOC-POLEN). Comme d’habitude, le dossier se compose de deux éléments distincts : une première partie consacrée à la recherche et la seconde à des sources commentées par les historiens du présent dossier éclairant les contributions proposées par 9 chercheurs, jeunes ou confirmés. Une fois n’est pas coutume, ce Hors-série se termine par un compte rendu de lecture.
En introduction, Jean-Claude Caron et Jean Garrigues présentent le dossier consacré aux « L’antiparlementarisme en France ». Depuis la Révolution française, le régime d’assemblée a toujours été sous le feu de la critique antiparlementaire. Courant protéiforme dont la généalogie est peu étudiée, l’antiparlementarisme est au cœur de ce hors-série. Les auteurs réunis dans ce numéro interrogent les mots et les images qui donnent corps à l’antiparlementarisme de la Restauration à nos jours. L’une des difficultés de l’analyse réside dans la complexité de ses formes. Qu’il soit d’extrême gauche ou d’extrême droite, voire qu’il provienne des députés eux-mêmes, sa grammaire est tout à la fois plastique et composée d’invariants : démocratie directe, pouvoir de la rue, plébiscite ou recours à un homme providentiel. Ce registre appartient-il à un passé révolu ou résonne-t-il avec le temps présent ?

Recherche : L’antiparlementarisme en France :

Jean-Claude Caron : Un mal français ? Quelques remarques sur la généalogie de l’antiparlementarisme :

L’antiparlementarisme a une généalogie dont l’origine coïncide avec la naissance des premières assemblées élues sous la Révolution française. Il s’épanouit au XIXe siècle, avant même que le mot – qui n’apparaît qu’au début du XXe siècle – n’existe. Recyclant formules et images jusqu’à nos jours, il apparaît comme une constante dans la vie politique française. Agissant comme le révélateur d’une crise récurrente de la confiance en la représentation, il peut alors devenir une arme utilisée par ceux qui remettent en cause sa légitimité.

Pierre Triomphe : L’antiparlementarisme sous la Restauration :

Sous la Restauration, l’affirmation des assemblées politiques s’accompagne de l’expression d’un vigoureux antiparlementarisme. La contestation de la Chambre apparaît ainsi comme consubstantielle aux apories de l’idéal parlementaire, voire démocratique, et non comme la conséquence de son épuisement. L’article s’attache à en montrer les différentes composantes. Constitutif de l’idéologie ultra, l’antiparlementarisme est aussi utilisé pour des raisons tactiques par toutes les familles de l’opposition, y compris les libéraux. S’élabore ainsi au cours de la Restauration une tradition hexagonale de critique du Parlement appelée à un long avenir.

Jean Garrigues : Le boulangisme est-il un antiparlementarisme ? :

La crise boulangiste apparaît comme un moment fort de l’antiparlementarisme protestataire. Mais la complexité du mouvement boulangiste incite à réfléchir longuement à la nature de cet antiparlementarisme. Ses adversaires dénoncent un antiparlementarisme plébiscitaire et césarien, qui ne vise qu’à renverser la République pour faire le lit d’un homme providentiel. Mais Boulanger et son proche entourage s’en défendent, et l’on peut estimer que le discours de campagne boulangiste s’assimile plutôt à un antiparlementarisme fondamentalement populiste, adossé à la rhétorique protestataire des petits contre les gros. Mais on peut aussi y voir un antiparlementarisme fondamentalement démocratique, fondé sur le rejet des institutions bourgeoises de 1875, et qui semble dominant parmi les cadres et les militants du mouvement. Il s’agirait alors non d’un antiparlementarisme mais bien d’un « ultra-parlementarisme », très prégnant dans le discours du boulangisme parisien d’extrême gauche. Il ressort de cet inventaire une extraordinaire capacité du mouvement boulangiste à utiliser l’antiparlementarisme, dans ces différentes et fluctuantes acceptions, comme un thème récurrent et systématique de remise en question des élites républicaines.

Bertrand Joly : L’antiparlementarisme des nationalistes antidreyfusards :

Au moment de l’affaire Dreyfus, la Ligue des patriotes a vainement tenté un coup de force le 23 février 1899 puis en a préparé un second à l’été suivant, avant d’être paralysée par la répression policière. Déroulède voulait allier l’insurrection populaire à l’appel au sabre et estimait réunies les conditions nécessaires : une situation de crise mobilisant l’opinion parisienne, une ligue forte et résolue, des complicités civiles et militaires nombreuses, un gouvernement chancelant. Son échec s’explique autant par l’absence de ces facteurs que par une stratégie blanquiste archaïque et des lacunes tactiques insurmontables. Cet échec illustre les rapports complexes que le nationalisme a toujours entretenus avec l’idée d’insurrection.

Vivien Bouhey : L’antiparlementarisme des anarchistes au moment de l’affaire de Panama :

Au moment du scandale de Panama, la France connaît une flambée d’antiparlementarisme et les anarchistes ne sont pas en reste. Ce sont en effet des antiparlementaristes militants, qui n’hésitent pas à développer leurs théories dans leurs journaux, leurs brochures, au cours de réunions publiques, voire à travers quelques actions d’éclat comme l’attentat perpétré par Auguste Vaillant à la Chambre. Cet antiparlementarisme est d’abord un antiparlementarisme idéologique qui s’inscrit dans une réflexion déniant tout droit à l’existence de l’État. C’est ensuite un antiparlementarisme vécu au sein même du mouvement, dans son fonctionnement, puisque les compagnons refusent tout système de représentation fondé sur le vote et de toute autorité institutionnalisée.

Julien Bouchet : Dépasser l’affaire Dreyfus : des recompositions inabouties de l’antiparlementarisme « césarien » au temps de la « République radicaliste » (1899-1906) :

L’argumentaire des droites extrêmes remodèle le champ de l’antiparlementarisme français au crépuscule de l’affaire Dreyfus. Nonobstant une crise apparente des forces « césariennes » (bonapartistes, anciens boulangistes, nationalistes et maurrassiens), ces antiparlementaires recomposent leur protestation en formant l’avant-garde de l’opposition au gouvernement Combes constitué après les élections législatives du printemps 1902. Alors que semble écartée la violence du coup de force, leur principal mode d’action réside en la création puis la diffusion d’une représentation chargée illustrant un antiparlementarisme de circonstance, le combisme, qui fait, en miroir, du parlementarisme l’un de ses caractères génériques. En dépit de l’échec de cette stratégie protestataire, la mémoire à charge d’une Belle Époque en trompe-l’œil a capté la représentation du combisme pour en faire le parangon de l’autoritarisme démocratique.

Mathias Bernard : L’antiparlementarisme de droite dans la France des années 1930 :

Dans les années 1930, l’antiparlementarisme de droite, tout en continuant d’exploiter les mêmes thèmes depuis le boulangisme et l’affaire Dreyfus, rencontre un écho plus important auprès des organisations politiques et de l’opinion publique. En témoignent la journée du 6 février 1934, « la dérive réactionnaire » de certains modérés comme André Tardieu, et l’occupation du terrain par les ligues. Cet article explique ainsi les facteurs de ce regain d’antiparlementarisme de droite, tels qu’une tradition nationaliste et autoritaire, l’effritement du modèle libéral à l’échelle de l’Europe, une culture du conflit et la crise morale du parlementarisme. Puis il en décrit les principales manifestations dans le discours et la pratique.

David Bellamy : Le gaullisme fut-il une critique du régime d’Assemblée ? :

Le gaullisme fut-il un antiparlementarisme ? Répondre à cette interrogation nécessite de revenir à l’évolution des conceptions institutionnelles de De Gaulle, depuis l’expression de critiques vigoureuses du régime d’assemblée pendant la Grande Guerre, jusqu’à l’apogée de l’antiparlementarisme gaulliste sous la Quatrième République puis l’application de ce que l’on peut appeler un antiparlementarisme d’État avec la Constitution de 1958. L’antiparlementarisme de De Gaulle fut avant tout un refus de la mainmise des partis sur le gouvernement de la République par le biais du Parlement.

Jean El Gammal : L’antiparlementarisme et les évènements de mai 1968 : essai de mise en perspective :

À première vue, l’antiparlementarisme ne se rapporte guère aux événements de mai 1968 et à l’extrême gauche. Pourtant, celle-ci a souvent exprimé son hostilité au système politique et aux délibérations parlementaires traditionnelles, jugées décalées et trompeuses par rapport aux enjeux sociaux et aux aspirations de la jeunesse. Il n’en convient pas moins de mettre en perspective les événements de mai, ainsi que des formes diffuses d’antiparlementarisme, en relativisant la part de celui, fort minoritaire, de l’extrême gauche, qui s’engage d’ailleurs par la suite à sa manière dans des luttes électorales.

Sources :

Maïté Bouyssy : Des assiettes antiparlementaires ? (Quelques assiettes de faïence commentées) :

La politique électorale est le lieu de la « mésentente », pour reprendre l’expression de Jacques Rancière, et c’est du conflit que vit la démocratie. Or l’assiette à dessert de faïence imprimée est par excellence le lieu de la complaisance à soi et aux autres, un moment pacifié à l’heure de la satiété retrouvée des fins de repas un peu festifs.

Alexandre Niess : Une série d’affiches antiparlementaires placardées lors des élections législatives de 1910 :

La série d’affiches présentée provient des fonds des Archives départementales de la Marne (ADM) et est conservée sous les cotes Aff. El V 612 à 618. La cohérence de ce petit corpus documentaire tient dans le fait que ces sept affiches antiparlementaires ont été placardées lors de la campagne des élections législatives de 1910.

Lectures :

L’antiparlementarisme dans l’historiographie allemande Paris par Nicolas Patin :

Dès 1952, fut fondée, en Allemagne de l’Ouest, une Commission pour l’histoire du parlementarisme et des partis politiques : elle avait pour objectif, dans le contexte des premières années du nouveau régime, de mieux comprendre l’histoire politique allemande, notamment les phénomènes qui avaient conduit sous la première République, de 1918 à 1933, à la victoire du national-socialisme.

Jean-François Bérel © Les Clionautes