En 1989, Yves Frémion publiait un ouvrage intitulé « Images interdites » et, plus de trente ans après, il continue de creuser ce sillon en s’intéressant cette fois à la censure au XXIème siècle. Il propose un panorama thématique, richement illustré. Cet angle d’approche n’empêche pas la chronologie à l’intérieur de chaque chapitre. Chaque exemple est situé et expliqué en quelques lignes avec, le plus souvent, une image de ce qui a provoqué la censure. On trouve, par ailleurs, quelques flashs sur des thèmes ou situations précises.

La censure au XXIe siècle

L’auteur conçoit bien que le livre ne peut prétendre à l’exhaustivité mais, en tout cas, il offre de très nombreux éclairages sur la question. Pour chacun d’eux on trouve de multiples exemples. Yves Frémion note que, grâce à Internet, chacun peut devenir censeur. Il assume le fait que ce livre prenne parti, c’est-à-dire parti contre l’esprit de sérieux, contre les pouvoirs autoproclamés et contre les GAFA alliés des dictatures.

Les fous de censure

Cinq entrées sont proposées : les dictatures et régimes autoritaires, les « fascistlamistes », les autres autorités religieuses, les féministes réac et les GAFA. Ce regroupement sous la même étiquette peut interroger ou surprendre surtout pour la dernière entrée. Le livre commence par se pencher sur le cas d’Erdogan avec de multiples exemples ou encore sur celui de Xi Jinping ou de Jair Bolsonaro. Les exemples contextualisés dans la catégorie « fascislamistes » sont particulièrement intéressants. Les autres religions sont abordées y compris avec des cas parfois moins documentés comme celui des extrémistes religieux indiens. Quant aux GAFA, c’est l’interdiction de la nudité qui est leur grand cheval de bataille. On apprend aussi que les modérateurs de Facebook enlèveraient deux millions de contenus polémiques par jour ! Yves Frémion note que nous sommes parfois désormais censurés par des robots qui ne voient pas la différence entre un nu pornographique et un nu artistique issu d’un tableau. Le livre propose aussi parfois des arrêts ciblés comme sur Walmart et sa liste de ce qu’il refuse de vendre.

Les autorités en place

Ici sont abordés les chefs d’Etat qui se considèrent comme offensés, que ce soit Donald Trump, Nicolas Maduro, Abdelaziz Bouteflika ou encore Jacob Zuma. On découvre des images parfois jamais vues si on n’est pas familier par exemple de la presse et des artistes de ces pays. On en trouve une notamment de Poutine qui constitue d’ailleurs la couverture de l’ouvrage. La deuxième entrée est pour les instances officielles et les élus avec un encart spécial sur le Japon. 

Les bêtes noires des censeurs

Il s’agit là d’un « hors chapitre » qui rassemble plusieurs angles. Il commence par l’affaire des caricatures de Mahomet puis montre plusieurs exemples issus de Plantu. Sans doute moins connu, à propos des dessins animés de Tex Avery, on apprendra que dans un coffret de 2003, tous les passages avec des Noirs ont été coupés. L’auteur parle également d’une pochette de disque de Saez, d’une photographie d’Aï Weiwei ou encore de Musa Kart, le plus célèbre des satiristes turcs.

Les usurpateurs de censure

Le regard porte d’abord sur les administrations et organisations officielles : armée, anciens combattants, polices, justice ou encore écoles qui sont examinées à la loupe. « Le dictionnaire fou du corps », pourtant couvert de prix, est pointé du doigt à propos d’une planche anatomique ancienne utilisée en collage. Comme souvent, l’affaire tourne au ridicule d’autant que François Morel s’empare de la situation et en fait l’objet d’une chronique qui ridiculise les censeurs. Ensuite, l’auteur aborde les agences et « autorités » autoproclamées avec, par exemple, la RATP qui refuse d’afficher la campagne du troisième salon gay et lesbien Rainbow attitude. Des affiches de films font parfois l’objet des mêmes réticences et interdictions.

Les diffuseurs de culture

Yves Frémion passe ici en revue plusieurs exemples issus des chaines de télévision. Les cas sont parfois ici plus connus car davantage médiatisés. Se souvient-on néanmoins qu’en 2004 TF1 ampute un tiers du film « Hitler, la naissance du mal » de Christian Dugay en enlevant tous les discours antisémites du dictateur ? Les magazines de presse ne sont pas en reste comme pour effacer une bague trop voyante de Rachida Dati. Le livre montre aussi une affiche d’un spectacle de Patrick Timsit, interdite un temps dans le contexte de janvier 2015, puis autorisée quelques mois plus tard. 

Le politiquement correct

L’auteur tient à dire que « ce ne sont plus les censeurs qui font la censure, c’est la lâcheté des censurés ». Le tour du monde passe par la Chine, le Japon, le Rwanda ou encore la Frandre-Wallonie. Dans ce dernier cas, on s’aperçoit que la question de la langue reste particulièrement sensible. 

Les censures les plus stupides

Comme le dit l’auteur, on atteint là parfois «  des sommets himalayens de sottise ». Un robot des GAFA met de côté un album de Tchoupi en 2012 car il a repéré le mot nique dans le titre «  Tchoupi part en pique-nique ». Si vous ne la connaissez pas, vous verrez également une bouilloire assimilée à Hitler ou encore le pourquoi de l’interdiction en Chine de Winnie l’ourson. 

Les images de marque

La loi française interdit depuis peu toute critique contre les marques, entreprises ou produits sous prétexte de « dénigrement ». Beaucoup de censures se font donc au nom de l’atteinte à l’image de marque. En octobre 2020, Remédium sort un témoignage sur les enseignants. Le ministre de l’éducation exige la suppression de certaines cases alors que la même semaine le ministre fait la une des médias en proclamant son engagement en faveur de la liberté d’expression. 

Les prétextes bien pratiques

Yves Frémion pointe enfin comment certaines censures s’abritent derrière de fallacieux prétextes. Ainsi, la lutte anti-tabac conduit à modifier une image de Jacques Tati car, ô horreur, il fume. La loi anti-tabac est assouplie en 2011 « pour exception culturelle ». Au nom de la lutte contre le racisme,  une grande toile d’Hervé Di Rosa est dénoncée. Quand on connait le travail du peintre dans les pays africains pour aider les artistes locaux, l’attaque apparait pour le moins à côté de la plaque. On remarque aussi que toute allusion aux symboles du nazisme, même pour le dénoncer, est parfois assimilée à une apologie par certaines organisations. Un ultime chapitre s’arrête sur quelques cas exceptionnels comme cette affiche imaginée par le Front national pour dénoncer la droite et la gauche avec une jeune beurette. De façon plus grave, le livre se termine par une galerie de dessinateurs et caricaturistes qui ont payé de leur vie leur engagement. 

En conclusion, l’auteur dit qu’il n’y a « jamais eu autant de gogos pour obéir à ces nouveaux dirigeants de la pensée ni de patrons de presse pour se coucher devant eux sous des prétextes de sécurité ». Le livre se conclut sur cet appel : « Choisis ton camp camarade ! ». Cet ouvrage propose donc un panorama, quelque peu effrayant, mais surtout très documenté et envisage de multiples pays et situations.