Cet ouvrage envoyé par le service de presse de Sciences-po a suscité au départ une certaine perplexité. En quoi ce type d’ouvrage, a priori très spécialisé, pouvait-il intéresser la Cliothèque, même si nos champs d’intervention sont déjà extrêmement larges ?


Ce que l’on sait habituellement de la diète méditerranéenne, c’est plus ou moins la forme d’alimentation de la population au bord de la grande bleue, le fameux « régime crétois » qui a longtemps été à la mode chez les nutritionnistes et les diététiciens. A priori, cela peut déjà commencer à intéresser, mais en réalité, le sujet est absolument passionnant. L’historien et le géographe, au même titre que le médecin, l’agronome, le spécialiste de la consommation, peuvent y trouver leur compte. On trouve dans ce recueil d’articles et de contributions de haute tenue de très nombreuses références à ce qui est devenu en 2010 une composante du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Car la cuisine, les formes d’alimentation, sont des marqueurs importants de différentes organisations sociales qui se caractérisent tout de même sur les rivages de la Méditerranée par une certaine forme d’homogénéité.

Une façon de vivre

La diète désigne des régimes alimentaires spécifiques prescrits par un professionnel de la santé ayant la plupart du temps un caractère limitatif et visant une finalité thérapeutique et ou esthétique. La diète désigne étymologiquement une manière de vivre, un régime de vie. Existe-t-il pour autant une seule diète méditerranéenne ou une multitude, les différents auteurs se gardent bien de trancher dans ce débat.
La diète méditerranéenne est un héritage auquel les habitants les peuples de la Méditerranée ajoutent révoquent des pratiques, des savoirs, des produits, des goûts qui peuvent avoir des origines communes, mais qui ont pu à certains moments être séparés par différentes vicissitudes de l’histoire.
Enfin cette diète méditerranéenne est un modèle alimentaire qui a été construit par les scientifiques à partir des années 60, dans des études menées à grande échelle qui montrait que les régimes alimentaires des régions méditerranéennes se caractérisaient par une consommation plus élevée de céréales, de fruits, de légumes et de poissons et une consommation beaucoup plus faible de pommes de terre, de viande de produits laitiers d’oeuf et de sucreries. À noter également une grande consommation d’aliments à base de plantes et d’huile d’olive comme source principale de graisses mono insaturées. Plusieurs études sont ainsi présentées avec l’évolution de ce que l’on appelle la pyramide méditerranéenne qui met à la base l’activité physique quotidienne, le repos approprié, c’est-à-dire la sieste, et la convivialité. Ces notions somme toute fort sympathiques font face à la biodiversité et à la saisonnalité de produits traditionnels locaux dans le respect de
l’environnement. À cela s’ajoutent des activités culinaires.

Indissociable de la convivialité

Alors évidemment, les auteurs de l’institut européen de la Méditerranée Sénen Florensa et Xavier Aragall évoque forcément les mutations des sociétés méditerranéennes et l’impact de celle-ci dans la consommation alimentaire. Cela se traduit par des phénomènes qui sont perceptibles sous toutes les latitudes, à savoir la réduction de la durée consacrée à la convivialité et à la confection culinaire.
Si l’Unesco a inscrit en 2010 la diète méditerranéenne patrimoine culturelle immatérielle de l’humanité, cela a été le résultat d’un patient travail visant à obtenir la reconnaissance d’un mode de vie, la signification première du terme de « diète », comme le fruit d’une évolution historique marquée par les échanges depuis l’aube du néolithique. Les travaux archéologiques sur la rive nord de la Méditerranée, du côté de Béziers, ont montré les voies de pénétration par des navigateurs venus des îles du nord de la Sicile des céréales. Cela se passait au néolithique ancien. Le système culinaire méditerranéen se définit à travers un ensemble d’ingrédients, de condiments et de procéder. Associant céréales et légumineuses, fèves, pois chiche, haricots secs et lentilles, puis des ingrédients secondaires, source de protéines, comme les viandes caprines et ovines, et le poisson, ce système culinaire méditerranéen suppose une intervention et une transformation avant consommation. Les diverses formes d’accommodation donnent lieu à différentes cuisines et les systèmes culinaires peuvent ainsi se décliner en de nombreuses cuisines et produire de multiples résultats. Dans cet ouvrage, on trouvera de très nombreuses pistes de réflexion, notamment dans le domaine de la consommation responsable. La douceur du climat, la longue période d’activité agricole, permettent des productions variées et, dès lors que l’on fait le choix de promouvoir une agriculture respectueuse de l’environnement, d’excellente qualité.

Produits de santé et de longue vie

Un article rédigé par un chercheur grec de l’université Aristote de Thessalonique, Dimitrios Boskou, montre avec beaucoup de pertinence l’intérêt des produits alimentaires méditerranéens en matière de recherche-développement. Des produits connus depuis des millénaires, déjà cultivés dans le croissant fertile, comme les olives n’ont pas encore fini de livrer tous leurs secrets et surtout leur potentiel en matière d’antioxydants qui jouent un rôle majeur d’un point de vue nutritionnel. Le caroube, dont la fève est appelée joliment « pain de saint Jean-Baptiste » est un produit qui a été utilisé pendant des siècles par l’homme comme source alimentaire. La gousse de caroube a été consommée crue comme de fruits doux par les populations de la Méditerranée, elle participe aujourd’hui sous forme de gomme à l’épaississement des produits alimentaires proposés par l’industrie. (Confiseries – glaces industrielles par exemple.)

Parmi les aliments évoqués dans cet article on trouve une référence à l’une des plus anciennes préparations de l’humanité, le houmous que connaissent bien les amateurs de cuisine méditerranéenne, dans la variante libanaise, juive, grecque ou turque. L’utilisation de poids chiche est attestée dans l’Égypte antique depuis plus de 7000 ans. Et cette culture semble y avoir débuté au cinquième millénaire le poids chiche, associé à lui d’olive, au jus de citron, à lui de sésame, présente des bénéfices appréciables en termes de santé en raison de sa teneur élevée en acides gras mono insaturés et en phénols. Enfin le houmous est une source appréciable de fibre soluble, qui contribuerait à abaisser le taux de cholestérol, de façon naturelle. De très nombreuses études montrent l’énorme potentiel des fruits sauvages de la Méditerranée comme l’églantier, l’arbousier, l’aubépine, et même la ronce qui possède des propriétés phénoliques et par voie de conséquence anti oxydante intenses. L’ouvrage trait également, de la diffusion du modèle méditerranéen d’alimentation. Dans un article de Fatiha Fort de l’université de Montpellier, Supagro, un constat peut apparaître comme inquiétant. L’alimentation méditerranéenne et de moins en moins pratiquée en Méditerranée et de plus en plus ailleurs dans le monde. La dérive du modèle de consommation alimentaire provoquée par la mondialisation des produits agro-industrielle, trop riche en calories et en Grèce, provoquent lentement l’apparition de pandémie potentiellement très coûteuse en termes humains, sociaux et économiques. La diète méditerranéenne, longtemps la base de l’alimentation est considérée comme une norme nutritionnelle par l’organisation mondiale de la santé, et menacé par un mode de consommation à l’occidentale, sous la pression de changement économique comme l’urbanisation, mais aussi le développement du travail des femmes.

Cet ouvrage ouvre donc de très nombreuses pistes de réflexion et peut permettre de s’interroger sur de très nombreuses questions. Il peut présenter un grand intérêt pour un géographe qui souhaiterait s’intéresser à la question de l’alimentation dans le monde, et dans l’actuel programme des lycées la question « nourrir les hommes » pourrait être ainsi illustrée, en synergie avec un cours de sciences de la vie de la terre. Mais on peut trouver dans cet ouvrage des études historiques, sociologiques, notamment dans cette histoire des alimentations méditerranéennes présentées par Mohamed Yacine Essid, de la faculté des sciences humaines et sociales de Tunis. Un article particulièrement bien documenté qui présente l’intérêt, à propos de la Tunisie, de montrer comment les populations juives du pays se sont intégrées au niveau culinaire en utilisant les prescriptions de la loi mosaïque tout en s’adaptant aux productions locales. L’alimentation demeure un signe fort de coexistence, un lieu de convergence et un syncrétisme modelé par des échanges quotidiens intenses. Un beau symbole qui a été celui de mon enfance, dans mon pays natal, on me permettra d’y faire référence pour conseiller la lecture de ce très intéressant recueil d’articles.

Bruno Modica