Stéphanie Thiébault, dans cet ouvrage La forêt, vulgarise, avec efficacité, la connaissance des écosystèmes forestiers, l’histoire des relations avec les sociétés humaines, en France, en Europe et dans le monde.

La forêt française occupe 17 millions d’hectares en métropole auxquels il faut ajouter 8,3 M ha dans les territoires ultra-marins. Le but de Stéphanie Thiébault est de faire connaître les forêts pour mieux les protéger.

Qu’est-ce que la forêt ?

Partant de l’origine du mot, l’autrice montre qu’il existe plusieurs définitions de forêt.

Selon la FAO : «  Une surface contiguë de plus de 0,5 ha, d’une largeur supérieure à 20m, composée d’arbres d’au moins 5 m de haut à l’âge adulte ert dont le feuillage couvre au moins 10% de la surface au sol. » (p.13)

La forêt est surtout un écosystème dont elle rappelle les caractéristiques générales, l’importance du sol, du climat et les différentes composantes. Les différentes forêts du globe permettent d’aborder différents écosystèmes : les forêts tropicales, la forêt méditerranéenne, les forêts tempérées, la taïga, la mangrove.

Le constat est alarmant, le recul des forêts primaires s’élève à 81 M ha entre 1990 et 2020.

Un paragraphe est consacré aux forêts urbaines, un concept récent né au Canada. Pour l’autrice, les forêts comestibles, jardins et vergers appartiennent aux écosystèmes forestiers.

Une histoire plurimillénaire

La forêt est le produit de la très longue évolution de la vie sur terre depuis le Dévonien. Cette très longue histoire est racontée à grands traits : effondrement de la forêt tropicale du Carbonifère, un témoin très ancien, le ginkgo biloba, les cycles climatiques du Quaternaire et leurs conséquences sur les forêts jusqu’aux premières atteintes par l’homme avec les défrichements du Néolithique.

Les hommes ont façonné les paysages et la forêt. Le bois indispensable à la fusion des métaux est pour longtemps la principale source d’énergie. L’actrice s’appuie sur les travaux qui ont quantifié le bois nécessaire à la production du fer : 200 kg/personne/an à l’âge du ferStéphanie Thiébault est spécialiste d’archéologie environnementale, sa thèse, soutenue en 1983, L’Homme et le milieu végétal s’appuie sur l’identification de plus de 10 000 charbons de bois issus de six gisements des Pré-alpes sud‑occidentales..

Dès l’Antiquité, le bois est un produit de commerce à longue distance. Cette période connut de grands déboisements, la forêt primaire a disparu dans le Bassin méditerranéen, et même en Gaule. Dès le IIIe siècle le bois manque. On utilise des troncs de faible diamètre. À la fin de l’Empire romain, la culture du taillis domine.

Au Moyen Âge, après un retour du bois, les défrichements à partir de l’An Mil retrouvent des espaces déjà colonisés à l’époque antique. Ces défrichements prennent de l’ampleur aux XI et XIIe siècles jusqu’en altitude.

Pour connaître la forêt médiévale, il est utile de s’intéresser à la gestion royale des forêts. Dès le IXe siècle, des espaces sont mis en réserve. Philippe Auguste est le premier à utiliser l’expression « Eaux et Forêts » (1219).

L’autrice évoque les fluctuations du couvert forestier en fonction de la démographie et des guerres.

À la fin de l’époque moderne, par surexploitation de cette ressource énergétique, la forêt en France est très dégradée.

En quelques pages, Stéphanie Thiébault montre la mise en place du Code forestier de Philippe IV le Bel à nos jours. Un paragraphe est consacré à la réforme de Colbert et l’ordonnance de 1669 qui définissait la juridiction des « Eaux et Forests », les droits d’usage dans les forêts royales, mais qui s’appliquent aussi aux forêts seigneuriales et ecclésiastiques. Cette réforme, un modèle pour l’Europe, est surtout connue pour la vision à long terme sur les besoins de la marine.

Le XIXe siècle est celui de la reforestation, à partir du Code forestier de 1827. C’est l’occasion d’une présentation de la forêt des Landes. Au début du siècle, la forêt française métropolitaine couvrait 8 M ha.

L’impact de la Première Guerre mondiale est lié à la consommation de bois pour les tranchées et la destruction d’espaces forestier, surtout dans le Nord et l’Est. Dans le même temps, la forêt gagne sur les surfaces agricoles abandonnées par l’exode rural.

Au lendemain de la Seconde Guerre, la politique prévoit des reboisements sur les terres agricoles peu productives pour satisfaire la demande toujours croissante de pâte à papier. La plantation de résineux dans les forêts privées est subventionnée sur 2,3 M ha entre 1946 et 1999.

Aujourd’hui, un nouveau regard est posé sur la forêt entre valorisation économique et protection de la biodiversité.

L’autrice consacre un paragraphe à l’ONF créé en 1965, héritage de l’administration des Eaux et Forêts. Elle rappelle la baisse des effectifs des agents qui, d’autre part, dénoncent « la spéculation financière » et la « démarche de privatisation » de l’office.

Un enjeu planétaire

La forêt est un acteur du changement climatique comme acteur du cycle du carbone : puits ou source de gaz à effet de serre (GES) selon les régions

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Schéma p. 147

Le renouvellement des peuplements, après exploitation, peut être l’occasion de planter des espèces plus adaptées au réchauffement climatique. D’autre part, le CO2 piégé dans le bois de construction est aussi un puits de carbone.A l’opposé, les incendies, les tourbières, les mangroves sont des sources de GES. Les vieilles forêts émettent moins d’oxygène que les forêts jeunes.

Plus la biodiversité d’un écosystème est grande, meilleure est la santé de la forêt. En Europe, l’appauvrissement génétique des forêts est une préoccupation depuis 1990Conférence ministérielle pour la protection des forêts à Strasbourg.

La diversité génétique est indispensable à l’adaptation au changement climatique. À l’échelle mondiale, la FAO dresse un inventaire des ressources génétiques forestières tous les cinq ans.

L’autrice aborde la question des services rendus ou services écosystémiques marchands ou non-marchands. Au premier rang, on trouve, bien sûr, le bois auquel il faut ajouter les ressources non-ligneuses : gibier, champignons, plantes et fruits comestibles, miel, ressources pharmaceutiques et cosmétiques.

D’autre part, il existe des biens d’usage : cultuels, culturels, de loisirs. La biodiversité est un atout touristique. Ces services sont difficilement quantifiables.

Les écosystèmes forestiers sont aussi des régulateurs des cycles bio-géochimiques (carbone, eau, air).

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Schéma p. 165

L’autrice aborde les aspects économiques de la filière bois française : emplois directs et indirects, revenus financiers, politique de soutien à l’investissement. Elle décrit une forêt mal exploitée et un manque d’intégration de la filière. Les activités sylvicoles sont parfois mal comprises par certains usagers de la forêt.

Le bois, ressource énergétique représente 36 % des énergies renouvelables, en France (66 % pour le chauffage). La consommation de bois-bûche décline au profit des granulés. L’augmentation de la demande doit être surveillée.

La forêt, placement financier, l’aliénation des forêts domaniales a commencé dès le XIVe siècle. L’autrice rappelle l’histoire de cette privatisation de la forêt. Les forêts privées représentent 75 % de la forêt métropolitaine française.

La politique forestière est présentée à grands traits. Une politique, aujourd’hui, piégée entre économie, écologie et bien-être de la population. La loi du 22 août 2021 introduit la notion de changement climatique et la recherche de résilience (« Îlots d’avenir »).

Les représentations de la forêt

Elles évoluent dans le temps et sont différentes selon les lieux.

La Galia commata, c’est la Gaule chevelue de Pline l’Ancien et Suétone, une forêt protectrice face à César, si on en croit La Guerre des Gaules. Information que l’autrice compare aux données dendrochronologiques.

La forêt, bien au-delà de la Gaule est le lieu des mythes. De nos jours encore, bois et forêts sacrés sont célébrés en Afrique ou en Inde. Dans l’Antiquité, la forêt est la demeure de divinités, dryades, nymphes et au Moyen Age, Brocéliande tient une grande place dans la légende arthurienne.

L’autrice évoque ces différents moments où la forêt est le lieu, à la fois, de mystère et de pouvoir, et comment les mythes sont restés vivants au fil du temps : le chêne de Saint-Louis, la forêt des contes (la Belle au bois dormant, Boucle d’or…), elle abrite trolls, lutins et loups-garous.

L’arbre de la Liberté, quand la Révolution cherche un emblèmeLe premier aurait été planté en mai 1790 à Saint-Gaudent (Vienne), d’après l’Abbé Grégoire, ce sont 60 000 arbres qui auraient été plantés.

Un autre aspect des représentations est la forêt, représentation du sauvage.

Les usages de la forêt

L’autrice aborde sans ce chapitre différents usages de la forêt. Elle commence par la production de charbon de bois, une pratique répandue en Europe depuis l’Antiquité.

Le four, c’est aussi le lieu de travail des chaufourniersProducteurs de chaux, les premiers fours, d’après les fouilles de Jéricho, remontent à 9 000 avant notre ère. Les verriers furent, eux aussi, de grands consommateurs de bois. Ce qui a le plus conduit à la déforestation des XVIIe et XVIIIe siècles, ce sont les forges.

Les besoins de la marine, tant pour les coques que pour la mâture sont évoqués de l’Antiquité au XIXe siècle. Un usage auquel on ne pense guère, la production de sel, dans les régions éloignées du littoral comme à Salins, a largement puisé dans les ressources forestières. Les petits métiers : écorceurs, gemmeurs, sabotiers, fagotiers… complètent le tableau.

Tous ces thèmes sont abordés en 3 à 5 pages illustrées de documents iconographiques de qualité.

La construction en bois débute dès le Néolithique pour le génie civil comme les bâtiments, notamment les cathédrales. Le transport se faisait par flottage.

Enfin les autres usages : chasse, cueillette, lieu de ressourcement sont rapidement présentés.

Les menaces sur de la forêt

Si dans quelques régions du monde les surfaces forestières progressent, la forêt, à l’échelle mondiale, est aujourd’hui menacée.

La déforestation pour l’agriculture industrielle ou vivrière représente 80 % du total30 à 35 % pour l’agriculture vivrière et pour 20 % : les mines et l’urbanisation. Un encart traite de la « déforestation importée ».

Seconde menace : les incendies, en raison de périodes de canicule associées à la sécheresse, mais 75%s sont liés à l’activité humaine.

Les tempêtesIntéressant extrait de texte daté de 1739, plus nombreuses, sont une menace.

La sécheresse met en difficulté certains massifs forestiers dans les Vosges, par dépérissement des arbres. Une fragilité qui favorise les ravageurs, les bio-agresseurs comme l’oïdium du chêne ou le cynips du châtaigner, un insecte venu de Chine.

En France, face aux menaces, la politique vise à implanter des essences nouvelles, des essences exotiques (issues d’un autre environnement). Cette solution a fait l’objet d’un livre blanc. Certaines implantations se sont révélées néfastesComme l’eucalyptus australien, dans la péninsule ibérique, à l’origine de feux catastrophiques., envahissantes occasionnant des coûts d’intervention élevés.

Face au changement climatique, si la forêt a un rôle à jouer comme puits de carbone, elle est aussi menacée comme le montre les rapports du GIEC et de l’IPBES.

Un avenir de solutions

Ce dernier chapitre aborde les solutions pour les forêts pour les forêts entre conservation, adaptation et ingénierie écologique.

« Laissez la forêt tranquille », c’est le cas de la forêt de Bialowieza, sanctuaire forestier à protéger, sans aucune intervention humaine. Dans le monde, des projets utilisent les arbres contre l’avance du désertAlgérie, Désert de Gobi en Chine, Grande muraille verte en Afrique sub-saharienne.

En France, Il existe quelques « réserves de vie sauvage » et des « forêts d’exception »Label créé par l’ONF en 2008. qui visent à concilier exploitation et préservation : Forêts de Fontainebleau, de Verdun (lieu de mémoire), de la Grande Chartreuse, de la Montagne de Reims…).

Les conventions internationales, qui se sont réunies depuis Roi en 1972, n’ont pas totalement établi un droit juridique international pour les forêts, malgré la Déclaration de New-York23 septembre 2014 dont l’autrice rappelle les objectifs.

Elle termine sur une note plus positive avec le green deal européen.

 

Un ouvrage de vulgarisation de qualité, précis sans être austère, facile à lire qui mérite d’être placé dans tous les CDI.