Frédéric Maupomé rencontre Stéphane Sénégas à la librairie « Terres de légendes » de Toulouse au début des années 2000. Tous les deux ont une trentaine d’années. Le premier, qui a fait des études de mathématiques, est originaire de Bordeaux ; le second, ancien élève de l’école Émile Kohl de Lyon, est de Carcassonne. Depuis longtemps, Maupomé veut écrire pour la jeunesse, Sénégas cherche un auteur. Les deux se lancent dans l’aventure d’écrire ensemble et cela marche plutôt bien. Leur premier ouvrage commun sort en 2004 chez Kaléidoscope. Il s’agit de Pirateries, un album qui relate les aventures d’un petit garçon, Nico, en colonie de vacances. La collaboration entre Maupomé et Sénégas devient dès lors fructueuse : un deuxième album chez Kaléidiscope en 2006, Jungleries, une bande dessinée en 6 volumes, Anuki, et bien d’autres créations toujours à deux voix.

            La Ligne, chez Frimousse, est un album particulier dans lequel le texte occupe une part très discrète et où les images sont très fortes, s’appuyant sur un trait agressif et sombre sans aucune couleur. Le sujet traité est lui-même assez grave dans la mesure où il évoque l’origine possible des conflits interpersonnels et mondiaux à partir d’une relation entre deux enfants : une histoire somme toute cross-over, susceptible d’interroger à la fois les enfants et leurs parents. Sophie Corvaisier, éditrice chez Frimousse en 2009 confiait à Clément Solym du magazine en ligne ActuaLitté : « C’est important pour moi de faire en sorte que les adultes aussi prennent plaisir à la lecture. C’est dès le plus jeune âge que les enfants prennent goût au livre et ils ressentent le plaisir de leurs parents[1] ».

            L’album est dédié à tous ceux qui franchissent la ligne. Mais quelle est donc cette ligne que l’on nous invite à franchir … ou à ne pas franchir ? Il s’agit de celle que les individus tracent entre eux pour s’approprier des territoires et s’isoler, des frontières et des murs que les hommes érigent pour se protéger de l’altérité. Le décor de la parabole est affiché dans la troisième page : nous sommes dans une cour d’immeubles, un petit carré de cour ceinturé par des murs très hauts et à laquelle on accède par une porte unique. La cour est à moitié dans l’ombre. Dans la petite partie encore éclairée, sur un banc, sous l’arbre unique, un jeune garçon est en train de lire. Quand soudain, surgissant de nulle part, une fillette arrive en courant dans la cour : elle crie, s’ébat joyeusement.

            « Il suffit de bien peu, deux désirs opposés. Envie d’un peu de calme contre envie de jouer. Il suffit de bien peu et la ligne paraît. » Le jeune garçon se met à tracer au sol une ligne qu’il entend être infranchissable et qui devrait lui assurer la tranquillité désirée. Et le « nous se distend ». La co-présence prend la place de la co-habitation. Les deux enfants se disputent alors le tracé de la ligne, cette division d’un espace commun. Dès lors, entre les deux enfants, tout est question de gestion des distances, d’appropriation d’espace, … de géographie.

            Le tracé de cette ligne étant si problématique pour les deux enfants, sujette à friction, que la contiguïté en devient vite insupportable. Progressivement, deux tracés crénelés se font face et dessinent un no man’s land entre les deux territoires, un couloir donnant accès à la porte de sortie. « Et le mur s’agrandit. Et le gouffre s’empire ». À ce moment-là de l’histoire, toute la cour se trouve plongée dans l’ombre. Mais, les lignes clivantes ne suffisent pas et les insultes pleuvent entre les deux camps opposés : « Le discours se fait bruit, le bruit devient fureur ».

            En épilogue cependant, une porte ouverte apparaît en fin d’histoire : « Parfois, l’histoire finit bien ». Cette issue positive est illustrée par une main tendue d’un des deux partis et la lueur apparaît, créant une voie de lumière dans la cour de l’immeuble. L’image d’un pont dessiné entre le jeune garçon et la fillette devient le symbole d’un vivre ensemble dans lequel les frontières du village-monde deviendraient inutiles.

            L’ouvrage de Maupomé et Sénégas est un ouvrage de référence pour traiter la question de la frontière et du vivre-ensemble dans les classes de primaires voire du secondaire. Il pose question, propose une fin possible mais laisse la porte-ouverte à d’autres. Il interroge sur l’altérité, sur la co-habitation ou sur l’habiter collectif.

[1]https://www.actualitte.com/article/monde-edition/les-editions-frimousse-concentre-de-jeunesse-et-de-fraicheur/8708