Que connaissons-nous réellement de la Lorraine et de son passé ? Henry Bogdan, agrégé d’histoire, s’étant intéressé à la Guerre de Trente Ans, à l’histoire de l’Allemagne ou des Hohenzollern, remarque que notre connaissance de cette région est limitée à son passé proche, celui des XIXe-XXe siècles. Il est, pourtant, important de souligner que la Lorraine ne devient française qu’au XVIIIe siècle et qu’elle a eu une existence propre avant cette date.
Ce duché a apporté beaucoup dans les domaines artistiques (Jacques Callot, Claude Gellée, Mansuy Gauvain), a donné trois papes (Léon IX, Etienne IV et Urbain IV). Ce passé a été longtemps évoqué par des ouvrages qui n’ont intéressé que des Lorrains, en général. Henry Bogdan veut, dans cet ouvrage, faire connaître une histoire de la Lorraine, à travers celle des ducs. Sept siècles d’histoire qu’il convient de comprendre et d’expliquer. Comment la Lorraine, demeurée sur le plan juridique à la fois un fief du royaume de France pour ses marches occidentales et un fief impérial pour le reste, a-t-elle pu conserver aussi longtemps son identité dans le cadre d’une souveraineté sans cesse remise en cause par des souverains voisins ? Sa force : ses ducs.
Dans une introduction, l’historien nous propose une définition de l’espace lorrain : la Haute-Lorraine correspond à peu près au territoire de l’actuelle région de Lorraine, avec quelques légères différences. A une diversité politique s’ajoute une diversité des paysages, qui en fait un « pays entre-deux » entre l’Empire et le royaume de France. Dans un second temps, Henry Bogdan aborde la naissance du duché de Lorraine avec la nomination en 1048 par l’empereur Henri III de Gérard d’Alsace comme duc héréditaire, en évoquant l’histoire de la Lorraine avant cette date, l’histoire du duché de Lotharingie.

Les ducs de Lorraine entre l’Empire et le royaume

Depuis la restauration impériale de 962 au profit d’Otton le Grand, le duché de Lorraine fait partie intégrante de l’Empire, tout particulièrement du royaume de Germanie. L’empereur nomme un duc qui, au début, n’était qu’un haut fonctionnaire impérial. Au XIe siècle, la fonction ducale a eu tendance à devenir héréditaire et le duc est devenu le véritable souverain du duché. Jusqu’au milieu du XIIIe siècle, les ducs de Lorraine se sont considérés comme des princes du Saint Empire. A cette date, le Saint Empire entre dans une période de crise, dite époque du « Grand interrègne ». Le duc de Lorraine prend un peu plus d’autonomie et entretient des rapports plus étroits avec le royaume de France. En 1431, le duc Charles II récupère le duché de Bar.

Les Grandes Heures de la Lorraine ducale (1431-1624)

Le mariage en 1420 de la dernière descendance directe de la maison d’Alsace, Isabelle de Lorraine, avec un prince français, René d’Anjou, puis l’accession en 1431 du jeune couple au trône ducal, élargissent l’horizon lorrain. Le duché de Lorraine se trouve ainsi intégré à l’Empire angevin. René II (1473-1508), fils du comte Ferry VI de Vaudémont et d’Yolande d’Anjou, fille de René Ie, fait figure de héros lorrain. Il a manifesté un vif intérêt pour son duché, reconstruisant un pays dévasté par les guerres successives (guerre de Cent Ans), luttant contre Charles le Téméraire, qui avait réussi à occuper le duché en 1475-1477. Le règne d’Antoine le Bon (1508-1544) marque une période de paix et de prospérité à l’issue de laquelle le duché obtient de l’empereur Charles Quint le statut d’Etat indépendant en 1542, sous la protection du Saint Empire. Il lutte contre les luthériens lors de la guerre des Rustauds en 1525 et agrandit le duché par des héritages (13 000 km²). Sous les règnes de François Ier et de Charles III, l’influence française se renforce : en 1552, les trois évêchés (Toul, Metz, Verdun) deviennent des points d’appui des rois de France face à l’empereur germanique.

Le siècle de tous les malheurs (1624-1697)

1624 est un tournant important dans l’histoire de la Lorraine. Henri II de Lorraine meurt et le duché est convoité par Louis XIII. C’est aussi le début de la guerre de Trente ans, six ans plus tôt. En 1634, la Lorraine vit sous le régime de l’occupation française et des poches de résistances émergent dans les campagnes lorraines. Entre 1641 et 1670, la Lorraine est encore sous la tutelle française : en 1662, un traité est signé dans lequel il est indiqué qu’à la mort de Charles IV, le duché revient à la France. En 1670, Louis XIV exile Charles IV provoquant le mécontentement des puissances européennes. Charles V, héritier du duché de Lorraine, privé de son héritage, passe sa vie au service de l’empereur Léopold Ier à combattre contre les Turcs alors que la Lorraine est aux mains des Français quand il décède en 1690.

La fin programmée de la Lorraine

Son fils, Léopold-Joseph, en 1697, retrouve son duché sous certaines conditions françaises (fortifications de Nancy, Hombourg détruites, serment à prêter pour le Barrois mouvant). Il épouse la nièce de Louis XIV, Elisabeth-Charlotte d’Orléans. Il réforme, reconstruit la Lorraine et permet le rayonnement culturel et artistique de la Lorraine. En 1729, François III succède à son père et épouse l’héritière du Saint Empire, Marie-Thérèse d’Autriche, en 1736. La succession de Pologne entraine une guerre entre Louis XV et l’empereur, en 1734. En 1735, est conclu entre la France et l’Autriche que le roi Stanislas renonce au trône de Pologne au profit d’Auguste III mais reçoit à titre viager les duchés de Bar et de Lorraine auxquels doit renoncer François III au moment où il deviendrait grand-duc de Toscane à la mort de Jean-Gaston de Médicis. En tant que dot de Marie Leszczynska, les duchés de Bar et de Lorraine reviennent à la France à la mort de Stanislas. En 1736 et 1766, Stanislas devient le duc nominal mais c’est la couronne française qui administre et perçoit les taxes, impôts. En 1766, Stanislas meurt et dès le lendemain, la Lorraine est réunie au royaume de France.

Synthèse claire et complète des sept siècles d’histoire de la Lorraine en tant que duché. Une histoire politique passionnante et malheureusement méconnue, loin des images d’Epinal (Jeanne d’Arc n’étant pas lorraine)!

Aurélie Musitelli © Clionautes