La noblesse, thème de prédilection de l’historien Philippe Contamine, est au cœur de son dernier ouvrage Nobles et noblesse en France (1300-1500) paru aux éditions du CNRS en mai 2021. Membre de l’Institut et professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne, l’auteur est devenu au fil des années et de ses recherches un grand spécialiste de la guerre, des pouvoirs, mais également de la noblesse à la fin du Moyen Âge. Il a déjà écrit à plusieurs reprises sur le sujet, notamment dans une synthèse intitulée La noblesse au royaume de France de Philippe le Bel à Louis XII paru en 1997 aux Presses universitaires de France. Il y expliquait le fonctionnement d’une société au sein de laquelle l’existence de « l’état de noblesse » s’imposait comme une évidence.

Un recueil d’articles


L’ouvrage, organisé en treize chapitres, est un recueil d’articles et d’études publiés entre 1985 et 2011 dans différentes revues et plusieurs ouvrages collectifs. Bien que le corpus soit chronologiquement disparate, les textes qui le composent forment un ensemble cohérent permettant de mettre en avant différentes réflexions que l’auteur a menées durant ses recherches. Les études ont toutes été « amendées » et « complétées » par de nouvelles lectures, et prennent en compte les évolutions de la recherche historique. L’auteur vise, en publiant ses articles « les plus significatifs » à ses yeux, à montrer la persistance du rôle central joué par la noblesse française du XIIIe au XVe siècle dans le royaume de France, malgré les crises, les mutations et les « imperceptibles glissements » qu’elle traverse.

La noblesse française des XIIIe, XVIe et XVe siècle, un objet d’étude


Au cours des derniers siècles du Moyen Âge, les dimensions féodales et seigneuriales perdent de leurs forces, ce qui s’explique en partie par les circonstances économiques, démographiques et politiques souvent défavorables. La noblesse forme un groupe minoritaire qui ne représente qu’environ 2% de la population pendant la période étudiée, mais avec d’importantes disparités régionales. D’une manière générale, c’est un groupe qui, tant en proportion qu’en chiffre absolu, voit sa population diminuer tout au long de la période. Parfois contesté, mais plus ouvert et plus contrasté qu’il n’y paraît, Philippe Contamine laisse entrevoir une noblesse qui n’a pas totalement « perdu de son pouvoir féodal, de sa réputation militaire, de son prestige culturel et même de sa fortune ». L’historien justifie l’intérêt de consacrer encore une fois un ouvrage à la noblesse car il lui semble « indispensable d’étudier une société donnée pour ce qu’elle est et aussi pour ce qu’elle dit d’elle-même ».

Une découverte de la noblesse dans les sources historiques


Dans l’introduction, Philippe Contamine revient sur ce qu’il appelle « sa première vraie rencontre » avec la noblesse française du Moyen Âge tardif. Cette rencontre a notamment lieu lors de ses « lectures assidues » de sources qui ont peu à peu tenu un rôle essentiel dans sa volonté d’approfondir le sujet. Parmi elles, l’auteur cite Les chroniques de Jean Froissart qui évoque avec « complaisance » et « indulgence » le milieu chevaleresque. C’est avec le Quadrilogue Invectif de Jean Chartier que l’historien « touchai[t] du doigt la division tripartite de la société médiévale ». Dans cette source de 1422, une France personnifiée adresse ses reproches au clergé, au peuple et aux chevaliers. Toutefois c’est surtout lors de ses travaux de recherche sur les armées du roi de France pendant et après la guerre de Cent ans jusqu’à la fin du XVe siècle que l’auteur découvre, dans divers manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de France, des sources importantes pour une étude détaillée de la noblesse française comme les comptes des trésoriers des guerres et des clercs des arbalétriers. De nombreux documents rassemblés dans le « cabinet des titres » à la BnF permettaient de vérifier les titres de noblesse des familles qui prétendaient aux honneurs de la cour.

Une définition de la noblesse


Pour Philippe Contamine, les personnes qualifiées couramment de nobles étaient « des hommes et des femmes qui jouissaient de par leur naissance à titre héréditaire, d’un statut reconnu, d’un statut avantageux et, dans les conditions normales, d’une reconnaissance à la fois naturelle et culturelle de la part du commun ». L’auteur rappelle également que les mots de noble et noblesse renvoient aux notions d’excellence, de magnificence, de vaillance, de générosité, de courtoisie, de piété et d’humanité. La noblesse forme toutefois un monde de l’entre-soi. Cependant, lors des deux derniers siècles du Moyen Âge, le taux d’extinction des familles est assez élevé. Il était donc important pour cette noblesse qu’un renouvellement soit opéré, même si des distinctions perduraient entre les anciennes familles et les nouvelles qui apportent « du sang neuf » à un groupe qui se définit par le sang.

La noblesse : évolutions, cadre de vie et activités


Plusieurs textes ont été choisis pour apporter une meilleure compréhension de la noblesse française du Bas Moyen Âge. Ainsi une comparaison est opérée entre les aristocraties française et anglaise. La nobility et la gentry apparaissent nettement mieux établies dans les domaines politique et économique car elle sont davantage mêlées à la vie urbaine et au monde des marchandises. Malgré des évolutions significatives permettant l’apparition d’un véritable statut juridique, la noblesse française est quant à elle étroitement liée au prince pour le service de la guerre en contrepartie de ses avantages juridiques, fiscaux et économiques. Elle peut toutefois se flatter d’un avantage culturel sur sa voisine d’outre-Manche, notamment pour son art de vivre. Parmi les membres de la noblesse française, certains nobles étaient pairs de France. Les pairs étaient au nombre de douze, six ecclésiastiques qui restèrent identiques pendant la période médiévale contrairement aux six pairs laïques dont cinq pairies ont été rattachées au domaine royal (Normandie, Champagne, Toulouse, Bourgogne et Guyenne). Ainsi de nouvelle pairies ont été créées par la volonté royale. Contrairement aux pairs britanniques, les pairs laïques en France n’ont plus qu’un rôle cérémoniel, que le pouvoir royal doit cependant concilier.

Plusieurs textes de l’auteur ont pour objectif de présenter le cadre de vie de l’aristocratie. À la fin de la période étudiée, l’espace français s’organise encore en une multiplicité de seigneuries, sources de pouvoir et de revenus, dont les familles nobles s’enorgueillissent de porter le nom. Les seigneurs doivent cependant faire face à la montée en puissance des pouvoirs royaux et princiers, mais également au rôle croissant des communautés urbaines et rurales. Le château, symbole du lieu de pouvoir, est également un lieu de consommation et de commercialisation des redevances en nature qui entrent dans les dépendances.

Enfin, plusieurs études portent sur les activités pratiquées par des membres de la noblesse. Apparus dans l’ouest de la France au XIe siècle, les tournois surtout sous la forme de joutes demeurent nombreux jusqu’à la fin du Moyen Âge, malgré les tentatives de l’Église pour les interdire en raison notamment des risques qu’ils faisaient courir aux participants. Il s’agit de véritables moments de divertissement au cours desquels l’identité nobiliaire sortait renforcée, notamment pour des personnes en quête de prouesses chevaleresques.

À noter enfin que deux textes contribuent à l’histoire des femmes dans la haute aristocratie. Le premier présente l’espace privé dont ces femmes disposaient ou qui leur était assigné, le second aborde leurs multiples déplacements à cheval.

Conclusion


Avec cet ouvrage, l’auteur nous livre ses réflexions sur un sujet qui l’a accompagné tout au long de sa carrière d’historien. Le lecteur peut au gré de ses envies réaliser des allers-retours entre les différents textes, sans pour autant entraver la bonne compréhension des différents thèmes abordés. L’ensemble est fluide, agréable et le texte est ponctuellement agrémenté d’extraits de sources exploitées par l’auteur. Nobles et noblesse en France (1300-1500) est au final un bon complément à la synthèse La noblesse au royaume de France de Philippe le Bel à Louis XII déjà réalisée par l’auteur en 1997.