On ne présente plus Jean Radvanyi. Cet agrégé de géographie, docteur d’Etat, est professeur à l’INALCO et directeur de l’Observatoire des Etats Post-soviétiques. 2007 voit la parution de la quatrième édition de la Nouvelle Russie chez Armand Colin. Jean Radvanyi propose à intervalles réguliers un nouveau texte sur ce pays qui ne cesse d’interroger par les cheminements qu’il emprunte depuis 1991. Les Clionautes se sont faits l’écho des moutures précédentes. (Gilles Fumey en 2000, Jean Philippe Raud Dugal en 2006). Pour Jean Radvanyi, il apparaît impossible de fournir les mêmes grilles de lecture pour comprendre un pays en permanente métamorphose et de se limiter à réviser le texte précédent. La version 2007, au-delà d’être nouvelle, est enrichie avec des cartes originales, des statistiques et des photographies. L’auteur met, toutefois, en garde ses lecteurs sur la fiabilité des chiffres disponibles. Si leur accès est plus important que sous la période soviétique, cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient fiables.
L’ouvrage, comme dans les éditions précédentes, s’organise en 2 grandes parties : géographie générale et géographie régionale. On trouvera ci-dessous le condensé de quelques développements clés du texte.
La Russie : un Etat continent en quête d’identité
Depuis 1991 et l’éclatement de l’URSS, tout l’enjeu est, pour la Fédération de Russie, de prendre la mesure de son unité et de son identité. Les rapports de la Russie avec son « étranger proche » s’inscrivent dans le cadre de la redéfinition de son rôle en Eurasie. L’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en 2000 s’est accompagnée d’une réaffirmation du patriotisme russe. Ce discours s’est rigidifié avec les Révolutions de velours entamées en 2004.
Atouts et contraintes d’un espace meurtri
L’auteur examine les traditionnels aspects de l’espace russe à la lumière du réchauffement climatique. Signataire de la Convention de Rio (1992), la Russie a tardé à ratifier celle de Kyoto (1997). C’est fait depuis 2004 même si son appareil industriel est peu adapté à une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les héritages écologiques de la période soviétique sont d’autant plus lourds à gérer que dirigeants et simples citoyens sont peu sensibilisés à la problématique du développement durable.
Peuplement et peuples de Russie
La crise démographique russe ne date pas de la Perestroïka et de l’éclatement de l’URSS. Elle est bien antérieure en raison de la faiblesse des moyens sanitaires et techniques mis à disposition des populations. La baisse démographique est réelle malgré le retour des populations russes dans le giron russe et l’arrivée de clandestins venus de Chine, du Moyen Orient et d’Asie du SE. Les inégalités sociales, si elles sont criantes, ne doivent pas occulter l’apparition d’une classe moyenne nombreuse qui a su tirer son épingle du jeu depuis 1991.
L’expérimentation du modèle libéral en Russie
Après les balbutiements économiques et politiques de l’ère Eltsine, les 8 années des mandats Poutine amènent les observateurs internationaux à s’interroger sur la particularité du modèle libéral russe où l’Etat demeure omniprésent. Le système économique en place s’apparente à un système OPEP (contrôle des secteurs clés par l’Etat) et s’accompagne d’une grande méfiance vis-à-vis des IDE.
Longtemps parent pauvre des réformes économiques soviétiques, le secteur agricole a connu bien des difficultés depuis 1991. La privatisation engagée des terres n’a que peu bouleversé la donne. Le mode de gestion collective perdure avec succès dans les régions aux terres à haut rendement. L’essor de l’agriculture de lopins a permis aux Russes de faire face à la transition mais son maintien est une marque d’archaïsme. Le secteur agro-alimentaire a fortement souffert des importations de produits étrangers. Faute d’investissements, il ne réponds que partiellement à la demande.
Des contrastes régionaux accentués
Les évolutions économiques précédemment développées ont eu comme effet d’accentuer les contrastes géographiques. Les zones rurales sont de plus en plus enclavées et sous-équipées alors que les zones urbaines concentrent population et appareil productif. La Russie a mis fin à la politique de colonisation qu’elle avait engagée et se résout à abandonner certains espaces.
Pour analyser l’espace russe, Jean Radvanyi retient 7 ensembles régionaux, qui s’apparentent, au premier abord, aux districts fédéraux mis en place en 2000 par Poutine et qui sont dirigés depuis par des super-préfets nommés par ce dernier. Dans les faits, le découpage retenu n’est pas le même car ces districts manquent d’unité géographique et ont surtout été créés dans un but géopolitique (notamment pour mâter certains nationalismes). On regrettera l’absence d’une carte reprenant les découpages retenus par l’auteur et qui aurait du, comme annoncé plusieurs fois dans le texte, figurer en troisième de couverture ! Ainsi, il distingue :
– le Centre : région industrielle exceptionnelle organisée autour de Moscou, capitale tentaculaire mais dont la partie agricole peine à redémarrer après l’expérience des agro-villes.
– La région située entre la Baltique et la mer Blanche, objet de projets multiples visant à apporter à la Russie une façade maritime propre et dont le dynamisme est insufflé par Saint Pétersbourg.
– Les terres noires et le Caucase, qui ont en commun, au-delà du profil agricole de grandes exploitations, d’accueillir de nombreux réfugiés en raison de la proximité de points chauds (Tchéchénie, Ingouchie…)
– La double région Volga-Oural, vu par certains géographes (Bradshaw, Prendergrast, Treivish), comme le nouvel heartland russe même si elles doivent faire face au double défi de l’épuisement de leurs ressources et de la pollution de celles-ci.
– La Russie d’Asie, autrement appelée « usines à devises » qui peine à développer son territoire de manière autonome.
– La Sibériade structurée par le transsibérien. A l’écart de cet axe, l’occupation humaine ponctuelle est calquée sur l’exploitation des ressources minières et énergétiques.
– L’extrême Orient, comme la Sibériade, souffre de la suppression des tarifs préférentiels de transport qui permettait de désenclaver ces périphéries. Tentée par la Sécession, la région cherche des débouchés commerciaux chez ces voisins.
Cette somme sur la Russie est une lecture indispensable pour les candidats au CAPES – Agrégation 2008. On conseillera ce livre en deuxième approche après la lecture du livre de Denis Eckert (plus généraliste mais aussi plus court). Très documenté, l’ouvrage de Jean Radvanyi apporte une mine de renseignements sur ce pays et en donne les clés d’analyse. L’ensemble est très actualisé tant au niveau des chiffres que de l’édition. Ainsi, le livre de Franck Tétart consacré à Kaliningrad est non seulement cité dans l’une des bibliographies qui clôt chacun des chapitres mais fait l’objet d’un développement. La seconde partie du livre consacrée à la géographie régionale est la plus intéressante. L’auteur propose des descriptions très complètes des différents espaces régionaux et « fait voyager » son lecteur. De même, tout au long du texte, il compare la situation actuelle avec celle de l’époque soviétique, voire celle de Eltsine. Cela apporte beaucoup et permet de bien voir les évolutions.
Des encarts ponctuent l’ensemble. Ils sont très bienvenus pour approfondir certains points de détail. De nombreuses cartes ont été insérées au texte. Si leurs pictogrammes apparaissent au premier abord kitch (petits derricks), ils s’avèrent bien pratiques pour comprendre l’essentiel d’autant qu’ils sont semblables d’une carte à l’autre.
La lecture de cet ouvrage sera aussi très utile aux professeurs du secondaire, enseignant la Russie dans le cadre des programmes.
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CR de Catherine DIDIER – FEVRE, professeure au collège du Gâtinais en Bourgogne à Saint Valérien