Hitler assassiné en 1938 ? Et si Maurice Bavaud avait réussi ?
La Part de l’ombre se décline en deux volumes dont l’action se situe entre 1955 et 1956, entre Berlin-Est et Berlin-Ouest. Il n’existe pas encore de mur entre les deux parties de la ville, et les personnages circulent d’une zone à l’autre sans difficulté particulière. Le différentiel de niveau de vie entre les deux parties de Berlin ne paraît pas évident. Seule peut-être la musique que l’on entend dans les bars apparaît comme plus entraînante à l’ouest.
Cette période entre 1955 et 1956, – Staline est mort en 1953 – a permis Nikita Khrouchtchev de s’imposer contre ses adversaires, Malenkov et Molotov, et il souffle comme un vent de liberté, un espoir de réforme dans le bloc communiste. On notera que dans cette action qui se déroule à Berlin il n’y a aucune évocation des émeutes ouvrières de Berlin-Est de 1953.
Émeutes ouvrières Berlin-Est – 1953
Cette contestation du régime communiste de RDA a pu être réprimée, et la responsabilité de son déclenchement a été attribuée, au sein du Politburo, à Laurenti Beria. Cela a permis son élimination, décidée par consensus au sein de l’instance dirigeante du parti communiste d’Union soviétique à l’encontre du chef de la police politique.
Cette police politique qui s’appelle encore NKVD et que l’on connaîtra jusqu’en 1991 sous le nom de KGB occupe d’ailleurs une place assez centrale dans le scénario de Patrice Perna tout comme celle d’un binôme d’agents de la CIA, assez peu subtils d’ailleurs et largement bourrés de préjugés.
Le personnage central est un jeune suisse, Maurice Bavaud, qui a effectivement voulu tuer Hitler en 1938. Condamné à mort et exécuté en 1941, il est à nouveau condamné post-mortem par la
justice d’Allemagne de l’Ouest, à cinq ans de prison, pour tentative d’assassinat contre un citoyen allemand. L’histoire semble assez incroyable, mais rigoureusement authentique, et révèle d’ailleurs les ambiguïtés de la confédération helvétique à l’égard du régime nazi, tout comme celle de la RFA dans cette période des années 50. Cet article permet de comprendre ce jugement condamnant l’action d’un homme qui aurait probablement pu changer l’histoire.
Johannes Schmid Après la dénazification, la « renazification » ? La réintégration des magistrats en Allemagne d’après-guerre (1945-1968) Droit et société 2016/1 (N° 92), pages 159 à 179
L’histoire qui se déroule sur les deux albums est donc inspirée de faits réels, même si une partie est très largement imaginaire. Pour autant le récit est très réaliste et il faut même une certaine concentration pour comprendre le double jeu de ce journaliste est-allemand, ancien policier, juif, sans sympathie particulière pour le nazisme, qui s’identifie à ce jeune suisse au point d’envisager l’assassinat de Nikita Khrouchtchev.
Soyons clair, le scénario est particulièrement bien construit. Dans le déroulé de cette histoire, différents personnages apparaissent et avec des retours en arrière on arrive à comprendre comment l’histoire de Maurice Bavaud a pu inspirer les auteurs de cette bande dessinée mais également des auteurs comme Rolf Hochhuth.
Il ne serait pas convenable de spolier les rebondissements de ces deux albums. La trajectoire de Maurice Bavaud, jeune séminariste, plus ou moins inspiré par un de ses camarades illuminé, au point de se prendre pour l’héritier du trône de Russie, le conduit à imaginer pouvoir attenter à la vie du chancelier Hitler, avec un simple 6,35, une arme de poche à la précision parfaitement aléatoire au-delà de 5 mètres. Arrêté pour une absence de billet lors de son retour en train, Maurice Bavaud est exécuté en 1941, et curieusement, les autorités de la confédération helvétique n’ont entamé aucune démarche pour éviter à leur concitoyen la peine de mort.
L’action des personnages se situe dans cette période extrêmement riche qui précède le 20e congrès du parti communiste d’Union soviétique, pendant lequel, avec le rapport secret, Nikita Khrouchtchev dénonce les crimes de Staline. Cette partie est directement abordée dans l’album. Sans actions particulières, en dehors de quelques scènes de filature, à la base de tout roman d’espionnage, l’histoire permet d’aborder une rumeur qui circule parfois, à propos d’un fils caché d’Adolf Hitler.
Mais il convient de ne pas en dire plus, et de s’interroger au final sur les motivations de ce jeune suisse d’à peine 20 ans, probablement torturé entre les exigences de sa foi et la volonté d’agir sur l’histoire, pour imaginer une uchronie avec la réussite de cet attentat en 1938. Parmi les éléments à prendre en compte, la remise en cause par Hitler de la place de l’église catholique dans la société allemande ont pu venir apporter des éléments de justification au geste de Maurice Bavaud
La famille du jeune homme est intervenue au moment de la rédaction du scénario de cet album, et il faut noter au passage que c’est seulement en 1988 que En 1998, le Conseil fédéral a reconnu que le gouvernement suisse et ses représentants, y compris sa délégation à Berlin, ne s’étaient à l’époque pas suffisamment engagés en faveur de Bavaud et avaient donc exercé leurs responsabilités de façon largement insuffisante. C’est seulement en 2008 que les autorités helvétiques ont rendu hommage à leur concitoyen en marquant l’anniversaire de la tentative d’assassinat perpétré par Maurice Bavaud contre Adolf Hitler. Une stèle a été inaugurée à Neuchatel en sa mémoire.
Maurice Bavaud a voulu tuer Hitler, De Nicolas Meienberg Zoé, 2021
La Part de l’ombre – Tome 1 – Tuer Hitler
La Part de l’ombre – Tome 2 – Rendre justice