« Pourquoi ce livre ? Parce que Mein Kampf est un objet historique qui, depuis sa publication en 1925-1926, n’a jamais été expulsé du présent, jamais totalement rejeté dans le passé, ce passé barbare dont on souhaiterait qu’il soit à la fois révolu et lointain. Depuis près d’un siècle, et pour de très longues années encore, le livre d’Adolf Hitler est le contemporain du monde qui l’entoure –  notre monde. On pourrait même dire concernant la période d’après-guerre que, depuis l’avènement d’internet il y a un quart de siècle, il n’a jamais été aussi facilement disponible, aussi largement diffusé, sinon lu. Deux clics suffisent pour en trouver une version numérique, sur des sites parfois douteux (…) On préférerait que le livre ait disparu (…) On doit vivre avec Mein Kampf. Du moins peut-on, doit-on combattre ce mal-ci en pariant résolument sur l’intelligence du lecteur. Il s’agira donc ici d’historiciser le Mal. »

 Une édition critique exceptionnelle

Ainsi s’ouvre l’introduction générale d’un ouvrage exceptionnel, par son projet éditorial (lancé il y a dix ans), par son contenu, par sa forme, par l’immense travail collectif dont il est l’aboutissement. L’ouvrage distribué par les éditions Fayard est « une adaptation et un prolongement » de Hitler. Mein Kampf. Eine kritische Edition, publié sous la direction de Christian Hartmann, Thomas Vordermayer, Othmar Plöckinger et Roman Töppel par l’Institut für Zeitgeschichte, à Münich, en 2016. Il a été réalisé sous l’égide d’un comité scientifique international et a bénéficié du soutien et de financements de diverses institutions publiques de recherche françaises et allemandes. C’est un gros livre, grand format (25 X 31), à la typographie et à la mise en page remarquables.

Le procédé de commercialisation est particulier dans la mesure où le livre doit être commandé chez un libraire et est vendu à un prix élevé afin que la démarche éditoriale puisse être expliquée au lecteur potentiel qui comprendra qu’il ne s’agit pas d’une simple réédition de Mein Kampf, ce qui serait contre-productif en ces temps de montée des populismes et de diverses forme d’obscurantisme, de complotisme et de refus de la science. La totalité des bénéfices de ce livre sera versée à la Fondation Auschwitz-Birkenau, chargée de la conservation du site du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-I et d’Auschwitz-II Birkenau.

L’édition aujourd’hui facilement disponible de Mein Kampf est la traduction publiée en 1934 par les Nouvelles éditions latines dont les défauts n’ont jamais été corrigés. Elle est précédée depuis 1980 d’un avertissement au lecteur de huit pages, en application d’un jugement de la cour d’appel de Paris. En Allemagne, l’ouvrage a été interdit de réédition en 1945, et cette interdiction a été maintenue jusqu’à l’expiration de la propriété intellectuelle en janvier 2016. Les droits de Mein Kampf, qui étaient la propriété de Hitler,  avaient été transférés dans les années 1960 au ministère bavarois des Finances qui veilla à ce que l’ouvrage ne puisse faire l’objet d’une exploitation commerciale ou politique.

Mais des éditions pirates s’ajoutèrent aux exemplaires en circulation des éditions antérieures à la Seconde Guerre mondiale, avec parfois de très forts tirages. Internet amplifia encore la diffusion. En 2016, Mein Kampf allait tomber dans le domaine public, conformément à la législation européenne ; le ministère bavarois des Finances ne pourrait plus s’opposer à une réédition. C’est dans ces conditions que l’Institut für Zeitgeschichte opta pour une édition critique. Elle demanda quatre ans de travaux et sortit en janvier 2016 : un livre de 1966 pages comportant plus de 3500 notes.

La présente édition française est « une adaptation et un prolongement » de l’édition allemande ; Andreas Wirshing, le directeur de l’édition allemande assume la codirection de l’édition française. En France, le chantier collectif fut lancé en 2015, avec trois objectifs majeurs :

  • « Donner une nouvelle traduction française du texte original de Hitler, qui soit conforme aux critères actuels en matière de traduction des textes historiques, et qui intègre la singularité du texte», ce qui signifie en particulier, de ne pas rendre la prose de Hitler plus fluide et plus agréable en la faisant passer de l’allemand au français.
  • « Adapter pour le lectorat français l’appareil critique élaboré par nos collègues allemands dont la richesse confinait parfois à la profusion
  • « Accompagner notre lecteur (…) au moment d’aborder ce texte à la fois complexe, rétif et souvent répulsif». L’édition allemande confronte le lecteur avec les 27 chapitres des 800 pages des deux tomes de Mein Kampf, les notes constituant l’appareil critique. L’édition française ajoute à l’introduction générale, une introduction spécifique pour chacun des chapitres « de manière à ce que le lecteur puisse, sil le souhaite, saisir rapidement le contenu et se trouver mieux armé pour saisir ses enjeux et déjouer ses pièges ». Les auteurs affirment dès l’introduction générale que « la présente édition est « critique » également en ceci qu’elle ne cesse de prendre position, de dénoncer les mensonges, de rétablir les faits, de souligner l’inanité ou la barbarie de tel ou tel énoncé ».

L’édition Fayard comprend donc trois composantes : le texte de Hitler dans une nouvelle traduction d’Olivier Manonni, l’appareil critique adapté de l’édition allemande, et l’ensemble des introductions. Le texte de Hitler ne représente que la moitié de l’ensemble de l’ouvrage.

Les conditions de rédaction de Mein Kampf et les objectifs de son auteur

 Une partie de l’introduction générale retrace la genèse du livre et les conditions de sa rédaction. Deux jours après l’échec du putsch du 9 novembre 1923, au cours duquel Hitler échappa de peu à la mort, il fut arrêté, puis jugé, et condamné à cinq ans  de prison, alors qu’il encourait la condamnation à mort. « La justice bavaroise fit preuve à son endroit, comme envers ses coaccusés, d’une mansuétude scandaleuse. » Il bénéficia dans la forteresse de Landsberg de conditions de détention extrêmement favorables. Il pouvait recourir à des domestiques pour les tâches ménagères, correspondre avec l’extérieur et recevoir des visites.

Les responsables nazis internés pouvaient se promener, lire, faire du sport, manger ensemble, fumer, boire de l’alcool, décorer les salles communes de symboles nazis. Ses admiratrices et admirateurs lui adressaient des dons, fleurs, vins, chocolats, livres précieux. Depuis sa cellule, Hitler pouvait continuer à diriger son camp politique, et ne reçut pas moins de 524 visites entre le 11 novembre 1923 et le 20 décembre 1924, date à laquelle il bénéficia d’une libération anticipée.

Il bénéficia donc de bonnes conditions pour rédiger son livre. Mais ce ne fut pas une tâche aisée compte tenu de ses compétences très limitées en la matière. « Le début de la rédaction de  Mein Kampf  fut à la fois complexe et difficile. La suite à la vérité ne le fut guère moins.  Le processus connut des interruptions, des reculs, des remaniements, du fait par exemple de l’introduction de nouveaux éléments théoriques. Il s’étendit, au bout du compte, sur plus de deux ans et demi. Cet état de fait explique en partie la construction chaotique de l’ouvrage et ses multiples redondances. » Il travailla d’abord seul sur son manuscrit, tapant lui-même à la machine à écrire. Plus tard, pour le second volume, il put disposer d’une secrétaire. Il voulait « rédiger un manifeste politique exhaustif sous la forme d’une autobiographie ».

A partir de juin 1924, il rédigea des réflexions de nature idéologique qui aboutirent aux chapitres 10 et 11 du premier tome, « Les causes de l’effondrement » et « Peuple et race ». En mars-avril 1925 il opta pour une refonte totale de l’ouvrage en le divisant en deux tomes. Le premier volume parut le 18 juillet 1925 et le second, le 10 décembre 1926. Toutes les éditions jusqu’en 1939 furent imprimées en caractère typographiques gothiques ; en 1939 parut la première édition en caractères romains.

Hitler a rédigé seul les 800 pages de l’ouvrage. « Mélangeant les genres, le livre est confus : le récit autobiographique et celui de l’histoire du parti alternent maladroitement avec des développements idéologiques, des consignes tactiques » et des propositions programmatiques. « D’où les défauts manifestes de l’ouvrage : redondances fréquentes, longueurs, digressions, contradictions, ruptures de ton ou dans la narration, défauts logiques. Le tout rendait la lecture pénible, voire décourageante. » « Pour autant, il est parvenu à faire émerger une construction idéologique dotée d’une grande cohérence. »

Selon l’historien Ian KershawMein Kampf est « l’exposé le plus clair et le plus ample (que Hitler) ait jamais présenté de ses vues ». La sincérité de Hitler « pour ce qui concerne les buts politiques qu’il poursuit et les voies qu’il envisage pour y arriver, n’est pas douteuse (…) Ce livre est le seul à même de donner la mesure du projet nazi dans son ensemble ». Les deux volumes de Mein Kampf, publiés en 1925 et 1926 ont connu une diffusion massive en Allemagne : 1122 éditions se sont succédées jusqu’en 1945 ; 12,5 millions d’exemplaires ont été imprimés, distribués, vendus. La présence du livre était massive et le matraquage de la propagande était tel, qu’il était impossible à un Allemand de ne pas en connaître le contenu.

Mein Kampf : « Un récit de vie stylisé, une histoire orientée du parti »

Mein Kampf est d’abord une autobiographie qui a pour but de présenter l’auteur comme une personnalité historique de premier plan : écolier, travailleur, peintre, soldat, militant politique, chef de parti, propagandiste. Il tient beaucoup à ce dernier aspect et consacre deux chapitres à la question de la propagande. Il est particulièrement fier de ses talents d’orateur et aussi de son nouveau statut d’écrivain. Par cette qualité, il tient une revanche sociale : « Hitler était tardivement parvenu à accomplir quelque chose. Et cet accomplissement répondait aux critères bourgeois de la réussite, ne serait-ce qu’en permettant à l’auteur de gagner de l’argent ». L’ensemble de l’ouvrage vise à faire de Hitler un grand homme, venu de nulle part.

A 26 reprises dans les deux premiers chapitres, il évoque le « destin » et la « providence » qui l’ont porté à devenir un grand chef. Les analyses de l’introduction générale de cette édition critique montrent que Hitler s’inspire de la tradition allemande du roman d’apprentissage et que la plupart des qualités dont il se pare étaient très prisées des milieux nationalistes où on les considérait comme les qualités typiques de la « race aryenne » ou « nordique ».

 De même qu’il s’éloigne beaucoup de la vérité quand il écrit sa biographie, Hitler construit une histoire mythique du parti nazi. L’objectif est d’affirmer vis-à-vis des organisations concurrentes « un primat organisationnel et idéologique ». Mein Kampf a aussi pour objectif de permettre à Hitler de s’affirmer au sein du NSDAP et de se positionner, lui et son parti, au sein du camp nationaliste, multiple et divisé.

Mein Kampf : un monstrueux projet ouvertement exposé

Il existe un lien entre l’ouvrage théorique rédigé en 1925-1926 et la pratique du pouvoir hitlérien, au sein du parti d’abord, puis au sein de l’Etat entre 1933 et 1945. Les auteurs de l’édition critique se gardent évidemment de toute téléologie et ne prétendent pas que le « IIIe  Reich » était inscrit dans Mein Kampf. Mais ils montrent que Hitler expose dans son ouvrage des principes qu’il promet de mettre en œuvre quand il aura pris le pouvoir, et dont plusieurs furent effectivement appliqués. Il ne dissimule pas le caractère monstrueux de ses théories.

Ainsi Hitler ne cache-t-il nullement sa volonté de lancer le pays dans une guerre dont il affirme ouvertement qu’elle sera d’une violence extrême. Hitler voulait la guerre. Une guerre pour l’« anéantissement » de la France, « l’ennemi mortel de notre peuple » puis pour conquérir un espace à l’Est aux dépens de l’Union soviétique. Ce qui impliquait l’alliance avec l’Angleterre et avec l’Italie.

Les considérations géostratégiques de Hitler sont néanmoins limitées : aucune réflexion sur le rôle des Etats-Unis ni sur celui du Japon ; rien sur la question maritime, rien sur la dimension technologique des combats (chars, avions, gaz) ni sur la dimension économique de la guerre moderne. Par contre un chapitre entier est consacré au maintien du moral du peuple en temps de guerre, qui sera assuré par la propagande, mais aussi par l’oppression et la terreur. Hitler voulait anéantir l’ensemble de ses opposants politiques, à commencer par la gauche marxiste (dont il a une conception très vague et extensive) « dont il accusait le judaïsme d’être la force motrice ».

On trouve aussi dans Mein Kampf la défense d’une politique nataliste et de mesures eugénistes. Mais « rien ne surpasse en radicalité l’antisémitisme de Hitler ». La « question raciale » est pour lui « la clef de l’histoire du monde ». La « race juive » est l’incarnation du mal, un « parasite dans le corps d’autres peuples », dont les moyens son le capitalisme, le bolchevisme, le marxisme, la démocratie, le contrôle de la presse, de la Bourse, des banques, des grands magasins, voire de la prostitution.

Cette haine viscérale implique une conclusion radicale : « liquider la vermine », « exterminer cette pestilence ». « Il est important de ne pas surinterpréter ces phrases à la lumière tragique des événements ultérieurs. La Shoah s’est développée dans un contexte spécifique que les acteurs étaient bien incapables d’anticiper. Pour autant Mein Kampf montre que Hitler avait précocement envisagé l’élimination physique de Juifs, sinon des Juifs » « Il n’y eut pas de ligne droite vers Auschwitz », mais Mein Kampf « constitua cependant une étape sur le chemin qui y conduisit ».

Les principes de l’édition critique

Pendant très longtemps, et jusqu’à une date récente, la seule édition intégrale de Mein Kampf en traduction française a été celle  de 1934, publiée par Les Nouvelles éditions latines  de Fernand Sorlot, éditeur de la droite nationaliste. Attiré par le fascisme, il n’était pas pronazi, mais il était antisémite, et désirait attirer l’attention sur les menaces du projet hitlérien pour la France. Hitler ne souhaitait pas, pour la même raison, qu’une traduction intégrale soit disponible en France. Il s’agissait donc d’une édition violant la propriété intellectuelle, et Les Nouvelles éditions latines furent attaquées et condamnées en juin 1934 à un franc symbolique de dommages et intérêts. La traduction française fut interdite de distribution, ce qui n’empêcha pas la continuation de sa diffusion. C’est cette édition que l’on peut encore aujourd’hui acquérir : depuis 2003, plus de 70 000 exemplaires ont été vendus. Pendant l’Occupation, Sorlot adhéra au Parti populaire français de Jacques Doriot, soutint la collaboration et continua d’éditer.

Sa condamnation en 1948 pour indignité nationale ne l’empêcha pas de continuer, et il accueillit dans son catalogue des écrits négationnistes (à commencer par ceux de Paul Rassinier, fondateur de cette doctrine), et autres ouvrages des nostalgiques de la collaboration et de l’extrême droite renaissante. Cette diffusion du négationnisme incita la Ligue contre l’antisémitisme à intenter en 1978 une action judiciaire visant à faire précéder d’un avertissement l’édition réimprimée depuis 1934. Dans les éditions actuelles on peut lire un texte introductif et critique de huit pages, en grande partie rédigé par Léon Poliakov, historien de la Shoah et de l’antisémitisme.

Historiciser le Mal est une édition critique de l’ouvrage fondée sur trois principes majeurs :

  1. Proposer l’édition originale de chacun des deux volumes.

 Il n’existe plus aucune dactylographie originale de Mein Kampf. En 2006 quelques fragments rescapés sont néanmoins réapparus, un manuscrit autographe de cinq feuillets ainsi que 18 feuillets de notes préparatoires, aujourd’hui en possession d’un collectionneur américain. Il était nécessaire de revenir à la version de l’édition originale car beaucoup de rééditions ont été faites en changeant à chaque fois la version précédente, souvent pour améliorer le texte, mais aussi pour le rendre plus lisible et moins rébarbatif, sans que Hitler ne prenne part à ces opérations

  1. Proposer une traduction qui refuse d’améliorer un texte « confus, incohérent et difficile à lire »

Sorlot avait confié la traduction « à deux intellectuels germanophones animés de sensibilités politiques différentes », l’un pronazi et l’autre antinazi, entourés d’une équipe d’assistants. Confrontés à un texte mal écrit, maladroit, rempli de défauts syntaxiques, stylistiques et langagiers, les traducteurs cherchèrent à l’améliorer, à le rendre plus accessible, plus fluide, moins désagréable à lire. La nouvelle traduction proposée dans cette édition et réalisée  par Olivier Mannoni prend le parti opposé.

Il s’agit d’une « traduction plus littérale, visant à rendre aussi exactement que possible les choix syntaxiques et lexicaux opérés par l’auteur dans la langue allemande ». « Un certain inconfort de lecture », résulte de ce refus d’améliorer le texte en gommant ses défauts. Le lecteur pourra ainsi constater que beaucoup de phrases sont « interminables » et « inutilement alambiquées », que le texte « regorge d’aberrations et de formulations malheureuses ou incorrectes », que les répétitions sont parfois presque insupportables, que le texte de Mein Kampf est « confus, incohérent et difficile à lire ».

  1. « Apporter les éléments contextuels nécessaires à la compréhension (…) et à la démystification (…) du texte»

 L’apport essentiel de la présente édition critique, et de l’édition allemande qui l’a précédée tient à la quantité considérable de connaissances et d’analyses mises à la disposition du lecteur dans l’appareil critique, les introductions partielles et l’introduction générale. Les auteurs de cet appareil critique affirment dans l’introduction, que sa réalisation n’était pas seulement une nécessité tenant à la science historique, mais que c’était aussi « un impératif moral autant que politique ». « Ce dont il s’agit » précisent-ils « c’est de déconstruire Mein Kampf, de le présenter avec toutes les informations nécessaires à sa démystification ». La question est fondamentale. L’ouvrage « véhicule une idéologie criminelle qui a fait, principalement sur le sol européen, des dizaines de millions de victimes » ; il faut donc que le lecteur puisse se distancier du texte, prendre conscience des falsifications historiques et scientifiques exposées comme des vérités établies. « L’ouvrage de Hitler (…) est partie prenante d’une vaste entreprise de propagande visant à manipuler les individus et dont l’efficacité, hier, n’est plus à démontrer. Proposer une édition critique de Mein Kampf, c’est contrer cette manipulation, éviter qu’un lecteur non averti puisse aujourd’hui encore y succomber ».

Les paratextes sont donc essentiels. Dans l’édition allemande, les notes infrapaginales étaient deux fois plus longues que le texte de Hitler. L’édition française a réduit de moitié le paratexte (qui est donc d’un volume équivalent à celui du texte de Mein Kampf) et ne l’a pas limité aux notes infrapaginales. Il est constitué de trois éléments : une introduction générale, 27 introductions de chapitres, et des centaines de notes infrapaginales.

Chaque introduction de chapitre comprend un chapeau de présentation annonçant les principales thématiques qui y sont traitées et permettant au lecteur de s’orienter dans le texte du chapitre. Une seconde partie, philologique, reprend les indications disponibles sur la rédaction et la publication de chaque chapitre. Vient ensuite un résumé critique du chapitre. L’objectif des auteurs est que l’ensemble des résumés offre au lecteur « une vison assez précise de tout ce que Mein Kampf contient ». Ici encore le choix a été fait de suivre le texte de très près, « dans ses répétitions et ses maladresses ». La fin de chaque introduction de chapitre est consacrée à l’analyse, au commentaire et à la mise en perspective

L’introduction générale développe longuement la typologie des notes. Elles ont des objectifs multiples et complémentaires : recouper les informations biographiques de manière à déconstruire le récit autobiographique en s’appuyant sur la recherche la plus récente ; réinscrire la doctrine de Hitler dans son contexte en identifiant ses sources ; mettre en évidence les filiations idéologiques ; retracer l’origine des concepts idéologiques ; reconstituer le contexte historique en expliquant nombre d’allusions évidentes pour les contemporains ; relever les erreurs factuelles (« l’ignorance de Hitler est souvent abyssale ») ; démêler dans le récit de Hitler « ce qui relève du mensonge, de la distorsion, de l’insinuation, de la demi-vérité ou de l’affirmation avérée, afin de dégager les intentions de l’auteur » ; confronter les annonces faites dans l’ouvrage aux réalisations sous le « IIIe Reich ».

Ce dernier objectif pose la question centrale de la dimension programmatique de Mein Kampf. Sans verser dans un travers téléologique, il faut montrer qu’il y eut effectivement des continuités entre les propositions faites dans l’ouvrage et les mesures réellement mises en œuvre après 1933 : politique eugéniste, conquête de l’« espace vital », tout en mettant aussi en évidence les discordances entre promesses et réalisations (en ce qui concerne par exemple la justice sociale et le fédéralisme)

La mise en page des 2800 notes est remarquable. L’ouvrage est de grand format afin que les notes puissent être réparties dans les deux colonnes latérales de chaque double page, ainsi que sous le texte. Chaque double page a été traitée comme une unité, incluant le texte et les notes qui s’y rapportent. La présentation est agréable et la lecture plus facile.

L’édition allemande proposait une bibliographie de 4000 titres, la grande majorité des références étant en allemand. La présente édition contient une bibliographie renouvelée de 2200 ouvrages et articles, essentiellement française et anglaise. Les 36 pages de la bibliographie sont suivies d’un index onomastique, d’un index géographique et d’un index des institutions

« Avec l’appareil critique, les introductions et la bibliographie, le lecteur dispose ainsi d’un formidable gisement d’informations, d’analyses et de ressources. ». Le lecteur dispose des armes nécessaires pour comprendre le contexte, les stratégies argumentatives de Hitler, le fond idéologique et programmatique. L’ouvrage s’adresse d’abord aux universitaires, aux étudiants, aux professeurs qui pourront le montrer et le commenter aux lycéens, ainsi qu’aux citoyens intéressés. Sont prix est très élevé (l’édition allemande en deux gros volumes est presque deux fois moins chère), ce qui peut être un frein, même si l’éditeur ne réalisera aucun profit sur la vente de l’ouvrage. Il sera offert à de nombreuses bibliothèques et il serait bon que les CDI de nos lycées puissent aussi en disposer.

Pour autant, nous en sommes persuadés, aucun projet de vie sensé ne rend indispensable la lecture de Mein Kampf, et moins encore sa lecture intégrale. Si le lecteur néanmoins s’y lance, qu’il sache que nous partageons avec lui une conviction : abandonner en cours de route parce que le livre lui tombe des mains ou parce que son contenu raciste et antisémite l’indigne trop constitue en soi un véritable acte d’intellection. »

© Joël Drogland pour les Clionautes