Giorgione et Antonello : deux peintres majeurs de la Renaissance italienne, tous deux décédés prématurément, à l’œuvre aussi marquante que parcellaire, à la vie nimbée de mystère et tissée de légendes. Dans sa nouvelle œuvre intitulée La vision de Bacchus, publiée aux éditions Delcourt, Jean Dytar (il est possible de consulter : http://www.jeandytar.com/la-vision-de-bacchus/ ; il est possible d’écouter : http://www.youtube.com/watch?v=ja19XWjygdY) invite à suivre ces deux maîtres et propose une immersion dans le milieu artistique italien de la Renaissance.
Le récit se déroule à Venise, en 1510. Le milieu artistique apprend avec émoi que Giorgione souffre de la peste qui frappe durement la population. Giorgione jette ses dernières forces dans l’achèvement d’un tableau qui l’obsède. Cherchant à reproduire un tableau découvert dans sa jeunesse à l’origine de sa vocation de peintre, il se mesure à l’œuvre de son maître Antonello de Messine, mort en février 1479…
Des années auparavant, au beau milieu de l’effervescence des ateliers des grands créateurs artistiques du Quattrocento finissant, Antonello semble avoir percé les secrets des artistes flamands et notamment ceux de Jan Van Eyck. La capacité d’Antonello à transcender le réel, en alliant techniques italiennes et flamandes, est telle, qu’un jour, un riche banquier lui propose d’immortaliser la beauté de sa jeune épouse…
Le récit est captivant. Les descriptions du milieu artistique vénitien sont remarquables. Le lecteur visite l’atelier de Bellini, lieu d’apprentissage et de production dans lesquels le maître dispense un savoir appris par des élèves qui rêvent à leur tour d’ouvrir leur propre atelier. Le lecteur s’invite aux inaugurations. Il y découvre le rôle joué par les princes dans le développement de l’art mais aussi les rivalités et les jalousies qui opposent les maîtres parfois à la recherche des honneurs. Le lecteur découvre les techniques picturales utilisées en autant de ressorts dramatiques : la camera oscura qui permet de saisir les traits de la personne à peindre et d’affiner la ressemblance et la maîtrise de l’huile qui permet de diluer les pigments et d’obtenir un ton de peinture subtil grâce au jeu des transparences.
Les dessins rendent hommage à l’art renaissant. Le trait simple, les contours gras, les ombres et les reliefs modelés par une colorisation douce et subtile offrent un récit apaisant malgré la violence de la passion. Les dessins multiplient les allusions aux tableaux des maîtres italiens tel Piero della Francesca. Les postures traduisent la subtilité ou la brutalité des émotions.
Le récit présente une réflexion passionnante sur le lien entre l’art, la passion amoureuse et le génie. Antonello, subjugué par la beauté de son modèle dont il tombe amoureux, en perd son art. Comment dépasser la simple ressemblance ? Comment créer une image de la perfection ? Comment faire de l’image le signe de la beauté mais aussi de l’émotion que cette beauté suscite ? Antonello, après des nuits blanches, trouve l’illumination…
Certes les spécialistes d’histoire de l’art débattent encore sur la véracité de certains faits de la vie d’Antonello transmis par la biographie de Vasari et repris par Jean Dytar. Certes, le récit relève plus certainement du romanesque que de la vérité historique. Mais cet ouvrage, qui vient de recevoir le prix Cheverny 2014 de la BD historique, est un chef d’œuvre. Il servira précieusement aux enseignants qui préparent une séquence sur l’art renaissant. Il passionnera, sans aucun doute les amateurs de BD et les amateurs d’art mais plus généralement tous les amoureux de la beauté. Cette lecture est un moment de grâce.

Jean-Marc Goglin