On ne présente plus Benjamin Stora qui a publié de très nombreux livres sur la guerre d’Algérie. Ici, c’est un ouvrage un peu différent car il s’agit d’une réflexion menée à la lumière de son « travail de mémoire visuelle », entrepris depuis plus de trente ans, au fil des films de fiction et documentaires auxquels il a contribué. Mentionnons aussi ses ouvrages récents déclinés en bande dessinée.

Pour commencer

Contrairement à ce que l’on a beaucoup écrit, la guerre d’Algérie a été montrée par toutes sortes d’images. C’est pourtant la sensation inverse qui s’est longtemps imposée. Cette sensation s’explique en partie par la censure des images à l’époque de la guerre. L’Algérie a ensuite disparu des mémoires après le conflit. A partir des années 2000, les choses changent. Comme le dit l’auteur, « ici je veux raconter un autre travail, celui d’un historien qui tente, à partir des images, de restituer une mémoire visuelle enfouie ». L’ouvrage est organisé en trois parties autour de la photographie, des fictions et des documentaires. Chacune est composée de plusieurs entrées.

Les photographies

En février 1962, le visage ensanglanté de la petite Delphine Renard bouleverse l’opinion publique. Cependant, la mémoire photographique de cette période est largement dominée par l’armée française. L’auteur présente le fonds Combier, photographe et imprimeur de cartes postales pour la France et l’Algérie. Les photographies ont un pied dans la restitution des lieux, un autre dans l’immémorial sur un art de vivre de ces années d’avant la guerre. Il cite aussi les clichés d’Etienne Seid réalisés en 1951.

La profusion des images de guerre

Plus d’une cinquantaine d’albums de photographies de la guerre d’Algérie ont été publiés, en France principalement, de 1962 à 2022. Parmi eux, Benjamin Stora évoque Marc Flament qui montre des guerriers soudés en un collectif uni. René Bail, photographe de la Marine en Algérie, a conservé tous ses clichés et les a exploités depuis les années 70 dans différentes publications. Dans le camp des opposants à la guerre, on peut mentionner Marc Garanger. Il existe aussi des clichés pris dans la vie quotidienne, que ce soit par des professionnels ou des amateurs. Plus récemment, l’exposition « Photographier la guerre d’Algérie » en 2004 a suscité un grand intérêt de la part du public. Les fonds d’archives s’ouvrent également. Durant la guerre, les deux camps  ont fabriqué des images, mais l’inégalité de moyens entre la France coloniale et l’Algérie se retrouve aussi dans le nombre de photographies.

Rareté des images photographiques d’une tragédie à huis-clos

A la guerre d’indépendance est venu s’ajouter le temps de la décennie sanglante entre 1990 et 2000, opposant les islamistes à l’Etat algérien. A part « la Madone de Bentahla », c’est une guerre qui est restée dans l’obscurité alors que les moyens de réaliser des photographies étaient incroyablement plus nombreux qu’au début des années 60. Benjamin Stora évoque le travail de Yann Arthus-Bertrand qui consiste à photographier après la guerre. En 2004, il montre une Algérie des bords de mer, villes, campagnes, montagnes et désert.

Le cinéma

Le « silence » du cinéma français n’est qu’apparent car il existe plus de quarante films qui ont abordé la guerre d’Algérie dans les années 1960-1970. En revanche, il est vrai que de 1955 à 1962, dix-huit films français ont été censurés ou reportés dans leur diffusion. Cette censure massive a provoqué aussi de l’auto-censure. L’Algérie de 1830 à 1950 n’existe quasiment pas dans les films. L’auteur évoque ensuite plusieurs films qui ont constitué des étapes comme « Le coup de sirocco » en 1979, mais il constate aussi un cloisonnement des mémoires y compris dans le cinéma.

Le cinéma algérien : donner des images au passé

L’absence de «  mélancolie » du temps ancien embelli dans le cinéma algérien apparait comme une différence centrale avec les films français. L’auteur évoque le cas du film « La bataille d’Alger », un film italo-algérien réalisé en 1965 mais qui n’a fait un retour en salles en France qu’en 2004. alors qu’il avait reçu le Lion d’or à Venise en 1966. La longue invisibilité de ce film est significative du rapport entretenu entre la société française, la guerre d’Algérie et sa représentation au cinéma. Il faut bien préciser que le film n’a pas connu une censure officielle rendant sa diffusion impossible. Elle est plutôt venue des groupes porteurs de la mémoire de l’Algérie française. La guerre du Vietnam a été filmée en direct par la télévision américaine et le cinéma raconta donc une histoire déjà connue. En revanche, le cinéma de la guerre d’Algérie traite d’une guerre mal connue.

Les fictions dans l’après-indépendance en France et en Algérie

De 1993 à 1999, six longs métrages de fiction ont été réalisés par des cinéastes dont trois Français et trois Algériens. La majorité des films de fiction des deux côtés semblent accréditer l’idée que la guerre en Algérie se décline toujours sur le mode de l’intimisme, de l’analyse psychologique, « coupés du réel ». Benjamin Stora revient ensuite sur la reconnaissance sur les écrans du 17 octobre 1961. Il mentionne un film comme « La trahison » sorti en 2005 et qui évoque un aspect peu connu, celui du déplacement des populations paysannes par l’armée française. D’autres films sont évoqués dont «  Hors-la-loi » de Rachid Bouchareb.

Mes documentaires

La troisième partie de l’ouvrage commence par une réflexion sur son premier documentaire intitulé «  Les Années algériennes » en 1991. La parole était donnée aux anonymes qui avaient vécu la guerre. C’était à la fois un travail d’historien et une enquête subjective. Il raconte comment s’est fait le travail pour ce documentaire . Il confie avoir été surpris par la virulence de certaines réactions. Il évoque ses différentes autres contributions dont le film documentaire « La déchirure » sorti en 2012. Le défi est toujours de clarifier en deux heures sans verser dans le simplisme. L’auteur parle également de « C’était la guerre d’Algérie » en 2022. Il s’intéresse ensuite à ce qu’il appelle « L’indépendance aux deux visages : le point de vue algérien. » La dernière entrée s’arrête sur l’histoire de l’après indépendance. Avec « Notre histoire », il revient, vingt ans après les Années algériennes, à un récit historique à partir de son parcours personnel croisé avec celui de Jean-Michel Meurice avec qui il avait déjà travaillé. Ce documentaire est le plus personnel de tous ses récits audiovisuels.

Cet ouvrage propose donc un panorama sur le travail de Benjamin Stora et ses multiples déclinaisons.