La revue Parlement[s]. Revue d’histoire politiqueCréée en 2003 sous le titre Parlement[s], Histoire et politique, la revue du CHPP change de sous-titre en 2007 pour affirmer sa vocation à couvrir tous les domaines de l’histoire politique. Chaque volume est constitué pour l’essentiel d’un dossier thématique [Recherche], composé d’articles originaux soumis à un comité de lecture, qu’ils soient issus d’une journée d’études, commandés par la rédaction ou qu’ils proviennent de propositions spontanées. Quelques [Varia] complètent régulièrement cette partie. La séquence [Sources] approfondit le thème du numéro en offrant au lecteur une sélection de sources écrites commentées et/ou les transcriptions d’entretiens réalisés pour l’occasion. Enfin, une rubrique [Lectures] regroupe les comptes rendus de lecture critiques d’ouvrages récents. Enfin, la revue se termine systématiquement par des résumés et des contributions écrites en français et en anglais (suivis de mots-clés). Cette revue a été publiée successivement par plusieurs éditeurs : Gallimard (n° 0) en 2003, Armand Colin (n° 1 à 6, H-S n° 1 et 2) de 2004 à 2006, Pepper / L’Harmattan (n° 7 à 20, H-S n° 3 à 9) de 2007 à 2013, Classiques Garnier (n° 21 et 22, H-S n° 10) en 2014 et, enfin, les PUR (depuis le n° 23 et le H-S n° 11) à partir de 2016. n° 40 a pour thème : Les gauches et à l’international au XXe siècle. Ce quarantième dossier a été coordonné sous la direction de Mathieu Fulla (Docteur en histoire, chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po – CHSP – et enseignant à Sciences Po Paris) et Michele Di Donato (Università di Pisa, Dipartimento di Civiltà e Forme del Sapere, 56126, Pise, Italie). Comme d’habitude, le dossier se compose de deux éléments distincts : une première partie consacrée à la [Recherche] (avec 7 contributions de 7 chercheurs ou chercheuses, jeunes ou confirmées : Camille Buat et Quentin Gasteuil, Denis Charbit, Judith Bonnin, Eugenia Palieraki, Marie-Laure Geoffray et Ettore Costa ; la seconde à des [Sources] (au nombre de 5) commentées par cinq enseignants-chercheurs : Constance Bantman, Elara Bertho et Hilal Mame Fatoumata Diallo, Michele Di Donato, Victor Pereira et Mathieu Fulla. De plus, dans ce numéro, nous trouvons deux [Varia] (avec les contributions de Julien Rycx, Christophe Lévêque et Emmanuel Petit) sans oublier une partie nouvelle intitulée [Échos de l’histoire] (avec les deux contributions de Lukas An-Son, Capucine Bourbier et Clara Troncy ainsi que celle de Martin Lefranc) et enfin, la rubrique [Lectures] (au nombre de 9) critiquées par neuf historiens (Olivier Andurand, Jean-François Figeac, Maria Betlem Castella I Pujols, Marieke Polfliet, Thomas Vaisset, Emmanuel Jousse, Ralph Schor, Bryan Muller et, enfin, Jean El Gammal) puis résumées depuis le deuxième numéro de 2011 (le n° 16) par Jean-François Bérel, auteur des recensions de la revue Parlement[s]. Revue d’histoire politique pour le compte de « La Cliothèque », rubrique du site de l’association « Les Clionautes ».

Avec une introduction (p. 11-34) intitulée Les internationalismes de gauche et la mondialisation de la politique au XXe siècle, Mathieu Fulla et Michele Di Donato présente le dossier intitulé Les gauches et à l’international au XXe siècle. L’internationalisme est au cœur de l’identité de la gauche depuis sa naissance autour de 1789. Héritages du XIXe siècle, la solidarité et l’entraide constituent des valeurs centrales de cette famille politique en dépit de toutes les limites constatées dans les pratiques de ses différents acteurs politiques, syndicaux et associatifs. Ces engagements au-delà de la nation et de l’État ne disparaissent pas avec la Deuxième Internationale (1889-1914), qui échoue à prévenir le déclenchement de la Première Guerre mondiale. À partir de la Révolution bolchevique, tournant majeur de cette histoire, communistes, socialistes, gauches libérales et alternatives consacrent une partie de leur énergie à construire des réseaux transnationaux entretenant souvent de fortes rivalités les uns avec les autres. Des élites partisanes et syndicales aux simples militants, l’international constitue une ressource clé pour ces acteurs engagés dans des luttes à toutes les échelles du politique, du local au global. Ce dossier de Parlement[s] veut mettre en lumière la variété et la complexité des internationalismes de gauche face aux grands défis du XXe siècle. Il montre les circulations de pratiques, d’imaginaires et d’acteurs, du simple militant au responsable de haut niveau en passant par le « professionnel de l’international », qui contribuent ainsi, chacun à leur manière, aux recompositions multiples de leurs réseaux et de leurs cultures politiques au cours de la période.

[RECHERCHE]

R 1- « Vers une politique des nationalités. Le Parti communiste indien et la question régionale (années 1920-années 1950) (p. 37-56)

Camille Buat (doctorante au Centre d’Histoire de Sciences Po Paris et au Center for Modern Indian Studies de l’Université de Göttingen)

Si les historiens ont remis en question de façon décisive la focalisation nationale qui a longtemps caractérisé l’étude de la gauche indienne, le rapport des mouvements de gauche à des projets politiques infranationaux, fondés sur la mise en valeur d’identités culturelles, ethniques et linguistiques, a fait l’objet d’une attention plus limitée. En retraçant les mutations de la politique du Parti communiste indien vis-à-vis de la question des « nationalités » entre les années 1920 et les années 1950, il montre la façon dont le développement d’une ligne politique « régionale » par le PCI fut le produit de deux processus parallèles : d’une part, une réflexion de longue durée et conduite à l’échelle transnationale sur la question des « nationalités », dans laquelle le modèle de l’Union Soviétique occupe une position dominante et, d’autre part, les mutations politiques, territoriales et administratives marquant la transition postcoloniale en Asie du Sud. Dans ce contexte, l’émergence d’un « principe des nationalités » comme élément central de l’arsenal politique communiste reflète une mutation de la physionomie du mouvement, qui tend à se régionaliser et se territorialiser, sans pour autant renoncer à sa politique de mobilisation sur la base de la classe.

R 2- Une politique coloniale pour le socialisme européen. Socialistes français et travaillistes britanniques au congrès de Bruxelles (1928) (p. 57-74)

Quentin Gasteuil (École normale supérieure Paris-Saclay – ISP, UMR 7220 Sorbonne Université – Centre d’histoire du XIXe siècle, EA 3550)

En 1928, le congrès de l’Internationale ouvrière et socialiste (IOS) à Bruxelles inscrit à son ordre du jour la politique socialiste vis-à-vis de la question coloniale, une première depuis 1907. La préparation du congrès, son déroulement comme ses lendemains témoignent de la place occupée par la question coloniale dans le PS-SFIO et le Labour Party britannique, deux formations inscrivant leur action dans les principaux empires coloniaux du temps, ainsi que ses échos à l’échelle européenne.

R 3- Israël et le Tiers-Monde, entre intérêt national et internationalisme : le rôle de l’Institut afro-asiatique (1958-1973) (p. 75-95)

Denis Charbit (Professeur de science politique à l’Open University d’Israël)

La centrale syndicale de la Histadrout a ouvert en 1958 un institut destiné à former à l’action coopérative et syndicale des leaders venus de pays émergents d’Afrique et d’Asie. Les échanges noués entre les formateurs israéliens et leurs interlocuteurs ont suscité une pratique et une conscience internationaliste spécifique au sein de la Histadrout complémentaire de la poursuite de l’intérêt national recherchée parallèlement par la diplomatie israélienne.

R 4- Robert Pontillon : l’internationalisme socialiste français au temps de la guerre froide (p. 97-116)

Judith Bonnin (Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Bordeaux Montaigne, Centre d’étude des mondes moderne et contemporain – (CEMMC)-)

À travers la carrière militante de Robert Pontillon (1921-1992), socialiste depuis les années 1930 qui fut entre autres maire de Suresnes (1965-1983) et Secrétaire national aux relations internationales du Parti socialiste français (1971-1979), l’article étudie l’articulation des différentes échelles du militantisme socialiste de guerre froide, en posant la question du poids politique de l’expertise et de l’engagement internationaliste tant au sein du socialisme français (municipal, national) qu’international (jumelages, Internationale socialiste). Sa trajectoire permet notamment de montrer combien, de la SFIO au PS, l’IS perd sa centralité : majeure pour l’élu suresnois, elle n’est pour François Mitterrand qu’une portion de son « domaine réservé » présidentiable.

R 5- Cuba et son tiers-monde (1959-1976). Idées, acteurs et pratiques de l’afro-asiatisme cubain (p. 117-136)

Eugenia Palieraki (université Paris I Panthéon-Sorbonne)

Depuis 1959, l’action de l’État cubain au-delà des frontières – soutien aux guérillas, relations avec l’URSS et les États-Unis, « tiers-mondisme » – n’a de cesse d’interpeller les sciences sociales. Utilisant la presse, des entretiens et les archives de l’Organisation de solidarité des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine et se focalisant sur les relations de Cuba avec le monde afro-asiatique de 1959 à 1975, cet article montre qu’elles ont contribué à forger l’action globale cubaine.

R 6- L’Internationale socialiste et la révolution cubaine (1972-1989) (p. 137-158)

Marie-Laure Geoffray (Maîtresse de conférences en science politique à la Sorbonne Nouvelle, laboratoire Creda)

Alors que l’Internationale socialiste avait pris des positions critiques de la révolution cubaine dès 1960, celles-ci évoluent dans la décennie suivante. Cet article montre que ces évolutions sont en partie le produit d’un contexte général de gauchisation tiers-mondiste de l’Internationale, mais surtout l’œuvre de jeunes cadres politiques internationalistes. Ceux-ci, issus de différents partis sociaux-démocrates européens, agissent en interne afin de relégitimer le processus politique cubain.

R 7- Prospérité, socialisme ou écologisme ? Retour sur le débat de l’Internationale socialiste de 1977 sur l’énergie et le nucléaire (p. 159-178)

Ettore Costa (Professeur assistant en histoire, Scuola Superiore Meridionale, Naples)

En 1977, l’Internationale socialiste débat de la question énergétique, devenue centrale à la suite du choc pétrolier de 1973. Les sociaux-démocrates suédois et le Parti social-démocrate ouest-allemand (SPD) privilégient l’énergie nucléaire, qu’ils considèrent comme le meilleur moyen de garantir une énergie bon marché et qu’ils entendent mettre au service d’un modèle de développement fondé sur la redistribution et la croissance. Les socialistes français et italiens s’alignent quant à eux sur des « Nouveaux mouvements sociaux » hostiles au nucléaire, décentralisateurs et très sensibles aux problématiques environnementales. Sous leur influence, ils proposent une transformation socialiste reposant sur de nouveaux modèles de production et de consommation érigeant le développement du Tiers-monde en objectif central.

[SOURCES]

S 1- La série londonienne du Père peinard, une fenêtre sur les réseaux anarchistes transnationaux (p. 181-188)

Constance Bantman (Université du Surrey, School of Literature and Languages, GB)

Le fonctionnement transnational du mouvement anarchiste d’avant-guerre est désormais amplement reconnu, ainsi que le rôle central des imprimés comme support essentiel pour cet activisme. Malgré l’originalité et la qualité des brochures de cette série londonienne, et l’impact à long terme de cet exil dans la réorientation stratégique du mouvement, Pouget est loin d’être le principal activiste qui vient à l’esprit si l’on évoque ce militantisme transnational. Ceci tient notamment à l’orientation en apparence très franco-centrée de ce Père peinard si difficilement traduisible, notamment en comparaison avec des périodiques anarchistes contemporains affichant une volonté internationaliste très claire, comme par exemple Le Révolté, La Révolte et Les Temps Nouveaux, édités à Paris par Jean Grave et diffusés dans le monde entier, Freedom en Grande-Bretagne, ou encore les périodiques italiens implantés aux États-Unis La Cronaca Sovversiva et Questione Sociale. Le Père peinard a cependant été déterminant pour l’essaimage de l’anarchisme dans les communautés francophones dans le monde entier, notamment aux États-Unis, par l’intermédiaire des groupes francophones de mineurs de Pennsylvanie et des périodiques édités par l’émigré français Louis Goaziou. Par ses contenus promouvant la solidarité et l’organisation internationales, la mise en relation et l’autoprotection des groupes anarchistes, Le Père peinard constitue ainsi un des nombreux maillons de la diaspora anarchiste mondiale, ainsi qu’un exemple de la très riche culture de l’imprimé dans le mouvement anarchiste, dans ses dimensions à la fois politiques, créatives et affectives.

S 2- Plus socialiste que les voisins. Le journal guinéen Horoya et la révolution culturelle, en compétition internationale pour un leadership panafricain (p. 190-199)

Elara Bertho (Les Afriques dans le Monde – (LAM) -, CNRS, Bordeaux, France) et

Hilal Mame Fatoumata Diallo (Directrice Adjointe de Horoya / CNRS)

Senghor enchaîné à Pompidou, dans une posture dégradante de maître à esclave : la glose de cette caricature anonyme surenchérit cette sujétion de l’image, moquant le « socialisme » du président sénégalais placé entre guillemets. Le théoricien du « socialisme africain » se paie uniquement de mots, selon son aile gauche, dans un tract sénégalais repris par un journal guinéen, Horoya, qui entame une campagne virulente contre le Sénégal. La compétition fait rage pour savoir qui sera plus socialiste que l’autre, entre la Guinée et le Sénégal. Cette caricature, issue de la gauche de Senghor, relayée dans la presse guinéenne, s’enracine donc dans le contexte très précis des répressions politiques guinéennes de 1971. Elle continue pourtant d’exprimer de très actuelles émotions politiques : une nostalgie pour les utopies politiques socialistes des années 1970 ainsi qu’une dénonciation de la mainmise de la France dans le jeu diplomatique et économique africain.

S 3- Rapport de Giorgio Amendola à la direction du Parti communiste italien après un voyage à Genève et Paris (septembre 1971) (p. 201-213)

Michele Di Donato (Università di Pisa, Dipartimento di Civiltà e Forme del Sapere, 56126, Pise, Italie)

Dans son rapport de voyage, Giorgio Amendola se confronte à de nouvelles dimensions de l’interdépendance et de la coopération internationale. Il s’intéresse notamment à l’intégration économique à l’échelle européenne et mondiale, ainsi qu’aux institutions internationales qui sont mobilisées pour la maîtriser. Son appréciation de la capacité de l’internationalisme communiste à faire face à ces développements est très négative. D’autres formes de coopération internationale lui semblent plus efficaces : celles des « gouvernements capitalistes », des « gouverneurs des banques centrales », ou encore des « partis socialistes et sociaux-démocrates ». Les communistes, au contraire, semblent être incapables d’aller au-delà des « réunions préfabriquées » et des « initiatives de propagande ». Dans le document rédigé par Giorgio Amendola, on observe également les efforts déployés par le Parti communiste italien pour sortir de cette situation. Le PCI participe désormais activement aux institutions européennes, tente de mobiliser les autres partis communistes occidentaux et élargit ses interactions à d’autres forces de gauche, telles que les socialistes français. Cet effort annonce l’action du parti dans les années à venir, celles de l’« eurocommunisme », de son essor électoral et de son arrivée au seuil de la participation au gouvernement, entre 1976 et 1979. Mais le PCI ne parvient jamais à surmonter complètement les difficultés soulignées par Giorgio Amendola. Ni l’internationalisme communiste, ni celui des autres forces de gauches avec lesquelles les communistes italiens essayaient de collaborer ne réussissent à laisser une trace véritable dans les structures de gouvernement de la mondialisation qui émergeront en réponse au « choc du global » des années 1970.

S 4- « Vive la lutte des peuples des colonies portugaises ». Soutenir les mouvements anticolonialistes et dénoncer l’impérialisme dans la France des années 1968 (p. 214-225)

Victor Pereira (Historien, chercheur à l’Instituto de História Contemporânea da Universidade Nova de Lisboa)

Un poing levé et serré qui empoigne résolument une kalachnikov ; un regard tourné vers un horizon lointain, celui de la victoire ; une bouche ouverte, probablement pour crier le slogan révolutionnaire « Vive la victorieuse lutte des peuples des colonies portugaises ». Cette affiche sérigraphique, réalisée par l’atelier populaire de la faculté de Vincennes au début des années 1970 (vraisemblablement en 1971), reprend des éléments incontournables de l’imaginaire graphique anti-impérialiste des années 1960-1970. Ses auteurs – non identifiés – s’inspirent d’un double héritage, à la fois global et hexagonal. On retrouve les éléments centraux de la propagande diffusée par l’Organisation de solidarité des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine (OSPAAL) fondée à la Havane après la tenue de la Conférence tricontinentale en janvier 1966. Mais de nombreux Portugais en France, craignant la présence d’informateurs de la police politique portugaise, se tiennent à l’écart de tout ce qui leur apparait comme de la propagande politique. Comme l’attestent l’affiche et les caricatures publiées dans une partie de la presse confectionnée par les exilés portugais, en dépit de l’usage d’un langage graphique censé être accessible à une population peu lettrée, la méfiance et la peur exportées par la dictature maintiennent une partie des Portugais en France éloignés de l’engagement politique.

S 5- Derrière l’image de Cancún. Les socialistes français et l’impossible refonte de l’ordre économique international (22 au 23 octobre 1981) (p. 226-241)

Mathieu Fulla (Docteur en histoire, chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po – CHSP – et enseignant à Sciences Po Paris)

Œuvre du service photographique de l’Élysée, la photo réunit les très proches du nouveau président socialiste de la République française, François Mitterrand, au cours d’une visite privée du site archéologique de Chichén Itzá, capitale religieuse et politique incontestée de l’empire maya de la période postclassique ancienne (900-1200). Située au nord de la péninsule du Yucatan, à environ 200 km de la fameuse ville balnéaire de Cancún, la visite de ce « sommet de l’urbanisme maya » vient clore un cycle de visites officielles aux États-Unis et en Amérique latine du 17 au 24 octobre 1981. Le président de la République est également coutumier des moments d’introspection comme celui de Chichén Itzá. Les mines songeuses de son entourage en attestent ; l’état de grâce se dissipe et les difficultés s’accumulent sur tous les fronts, du plus politique au plus intime. François Mitterrand y oppose un air impénétrable. D’ailleurs, ce grand admirateur de García Márquez prend un certain plaisir à arborer ce visage marmoréen propre à susciter le trouble jusque parmi ses plus proches qui, tout au long des deux septennats, ne cesseront de spéculer « sur ce qu’avait voulu dire le président lorsqu’il avait dit oui, ou sur ce qu’il avait voulu dire quand il avait dit non, et, par la même occasion, faire des suppositions sur ce que le président était en train de penser lorsqu’il disait quelque chose de tout à fait différent.

[VARIA]

V 1- La « traversée du désert » en politique à l’aube du XXe siècle. Le cas Georges Laguerre (p. 245-266)

Julien Rycx (professeur agrégé au collège Pierre-Mendès-France (Arques), doctorant, Université Lille 3, IRHiS.)

S’apparentant au type même du « nouvel entrepreneur », l’homme politique moderne goûte bien vite aux saveurs, mais aussi aux excès d’une activité en voie de professionnalisation ; excès menant parfois à une phase de rupture que les commentateurs politiques se plaisent à nommer « la traversée du désert ». Loin de se réduire à une simple séquence d’exclusion, le concept renvoie à la cristallisation d’une multitude de représentations reflétant les conflits idéologiques qui marquent la période. Pourquoi, alors, ne pas s’arrêter sur le cas Georges Laguerre qui, par sa fougueuse et insolente ascension, puis sa lente déchéance, offre un éclairage inédit sur les logiques de survie en politique.

V 2- L’épisode boulangiste à la Chambre des députés (janvier-avril 1889) : de la crainte contrôlée à la peur panique (p. 267-288)

Christophe Lévêque (membre du Groupe de recherche en économie théorique et appliquée (GREThA) à l’université de Bordeaux.) et

Emmanuel Petit (Professeur de sciences économiques à l’université de Bordeaux et membre de Bordeaux Sciences Économiques – (BSE, UMR CNRS 6060)-)

Les décideurs politiques s’appuient sur leurs émotions pour agir. Cet article mobilise l’épisode boulangiste (notamment janvier-avril 1889) pour illustrer comment la peur – une émotion méprisée en politique – peut s’avérer utile. En s’appuyant sur des méthodes quantitatives et qualitatives, les auteurs montrent d’abord l’importance des émotions dans la Chambre des députés. Nous mettons ensuite en évidence le contraste entre la peur panique qui saisit et paralyse le camp boulangiste avec la peur modérée, utile à l’action, qui secoue le camp républicain.

[ECHOS DE L’HISTOIRE]

E 1- Regards critiques d’historiens et de géographes sur Une histoire du conflit politique de Julia Cagé et Thomas Piketty, Paris, Tallandier, 2022, 524 p. par Lukas An-Son (Masterant en Histoire à l’Institut d’études politiques de Paris), Capucine Bourbier et Clara Troncy (Masterantes en Histoire à l’Institut d’études politiques de Paris) (p. 291-297)

À l’occasion de la publication de l’ouvrage de Julia Cagé et Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France. 1789-2022, la Société française d’histoire politique (SFHPo) a organisé un temps d’échanges et de débat avec les auteurs et des chercheurs en histoire et en géographie. La discussion, animée par Jean Vigreux, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, s’est déroulée dans les locaux de Sciences Po, le 20 novembre 2023. Elle s’est ouverte par une première présentation des conclusions de l’ouvrage par les deux auteurs, s’est poursuivie ensuite par les interventions des discutants, Gilles Richard, historien du politique et président de la SFHPo, Christophe Batardy, docteur en histoire et ingénieur en analyse de données en sciences humaines, et Frédéric Salmon, géographe, auteur de l’Atlas électoral de la France (1848-2001), paru au Seuil en 2001. Le débat s’est s’achevé par un temps d’échanges entre les auteurs et les discutants, et avec la salle. Cette étude se veut un objet intellectuel aux usages multiples : un ouvrage clair accompagné d’une cartographie simplifiée pour guider le débat contemporain ; des annexes mises en ligne autorisant des pistes interprétatives plus complexes ; enfin, une base de données qui se présente autant comme un outil qu’un support de travail offert aux chercheurs, appelés à compléter les lacunes méthodologiques et à poursuivre la construction de la base.

E 2- Que doit l’histoire de France à Zeev Sternhell ? par Martin Lefranc / Doctorant à l’Université d’Orléans, Laboratoire POLEN – EA 4710 (p. 299-303)

Trois ans après la mort de l’historien israélien Zeev Sternhell, un colloque organisé dans les locaux de l’École normale supérieure et de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne a dressé, à l’initiative de l’Institut d’Histoire moderne et contemporaine, un premier bilan de son œuvre. Les 14 et 15 décembre 2023, treize chercheurs ont retracé certains de ses principaux apports à l’histoire de France et exposé les perspectives qu’a ouvert son inlassable travail de mise en doute des modèles explicatifs traditionnels de l’histoire contemporaine française. Les différentes contributions ont permis de discuter aussi bien de sa conception de la droite française que de son analyse des Anti-Lumières, conçues comme un vaste courant de pensée opposé à tout principe universel depuis le milieu du XVIIIe siècle. Ce colloque a mis en lumière la façon dont son œuvre originale a suscité l’intérêt de chercheurs de nombreux pays, aussi bien en histoire moderne qu’en science politique et en histoire du temps présent. Aujourd’hui, ses travaux offrent des modèles stimulants pour expliquer la montée en puissance d’un vaste mouvement réactionnaire qui menace les démocraties occidentales.

[LECTURES]

L 1- Valentin Morassi, Gouverner la crise (1730-1732). Dans la crise politique, la contribution du secrétaire d’État de l’absolutisme au XVIIIe siècle, Paris, L’Harmattan, 2022. par Olivier Andurand / MéMo, Université de Paris Nanterre (p. 307-309)

L’ouvrage de Valentin Morassi est issu d’un Master 2 soutenu à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la direction d’Hervé Drévillon. Son intention est à la fois simple et complexe. Il n’ambitionne que de comprendre le rôle de la crise de 1730-1732 dans la construction de la monarchie « au travail sur elle-même », selon les mots de Denis Richet, en se fondant sur la production du secrétaire d’État à la Maison du roi. En même temps, cet objectif est d’une infinie difficulté tant l’écheveau des problèmes politiques, religieux, institutionnels et administratifs est complexe. Le livre s’organise autour de trois grandes parties clairement structurées. La première s’intéresse à la dynamique de l’absolutisme à l’œuvre. Le deuxième moment de l’ouvrage est centré sur les agissements concrets de Maurepas dans la crise. Enfin, troisièmement, à travers l’étude de la situation de défiance entre le roi et les Parlements, l’auteur prend place dans le débat historiographique sur le développement de l’espace public au XVIIIe siècle. Finalement, le livre de Valentin Morassi est riche et dense. Sa bonne connaissance des sources et de l’historiographie lui permet de dresser un tableau très pertinent de la crise politique, religieuse et parlementaire que traverse le royaume entre 1730 et 1732. Ce travail laisse augurer le meilleur pour une thèse à venir et on ne peut qu’en attendre avec impatience les futurs résultats.

L 2- Thomas Frinault, Pierre Karila-Cohen, Erik Neveu, Qu’est-ce que l’opinion publique ? Paris, Gallimard, 2023. par Jean-François Figeac / Docteur en histoire et responsable éditorial de l’encyclopédie EHNE, Sorbonne Université (p. 309-311)

Cette belle synthèse cherche à faire un bilan de la littérature sur une notion à la fois très utilisée et très controversée dans le domaine des sciences humaines et sociales. Pour cela, les trois auteurs jouent la carte de l’interdisciplinarité pour effectuer un bilan exhaustif de la littérature produite sur l’opinion publique et pour rendre à l’expression toute sa polysémie. La première partie de l’ouvrage cherche à redonner une profondeur historique à la manière dont « l’opinion publique » est saisie depuis l’Antiquité. L’enjeu de la deuxième séquence de l’ouvrage consiste ainsi à faire l’inventaire de ce rôle joué par les sondages en démocratie. Enfin, les sondages tendent à renvoyer à l’idée d’une unité de l’opinion publique, laquelle est d’autant plus factice que l’espace public ne cesse de se fragmenter depuis plusieurs décennies. C’est ce que montre la troisième et dernière partie du livre, en soulignant les recompositions induites par l’ère du numérique. Ce bel ouvrage, en articulant une profondeur historique aux questionnements les plus récents, constitue désormais un vade-mecum indispensable pour tout chercheur en sciences humaines et sociales qui souhaiterait s’informer sur les enjeux épistémologiques liés à la notion d’opinion publique.

L 3- Mikel Urquijo, “El elegido de los elegidos”. La presidencia del parlamento español en la época contemporánea (1810-2019), Madrid, Sílex, 2022. par Maria Betlem Castella I Pujols / Universitat Pompeu Fabra (p. 312-314)

« L’Élu des élus ». La présidence du parlement espagnol à l’époque contemporaine (1810-2019) ou, pour intituler le livre différemment, « Le Portrait du président. La présidence du Parlement espagnol en deux siècles, huit constitutions, 30 règlements, 180 biographies et 137 tableaux prosopographiques » est le nouvel ouvrage de Mikel Urquijo, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université du Pays basque. Il s’agit d’une monographie bien planifiée qui explore le poste, l’élection, les fonctions et les biographies de ceux qui ont occupé la présidence du Parlement espagnol, parfois monocaméral, parfois bicaméral, Congrès et Sénat, entre les Cortes de Cadix et la XIIIe législature des Cortes. D’un point de vue historique et non juridique, le livre étudie la présidence dans dix grandes périodes historiques au cours desquelles sont analysées à la fois les assemblées parlementaires qui se sont succédé entre 1810 et 2019, ainsi que les assemblées corporatives qui ont été établies sous les dictatures de Primo de Rivera et Francisco Franco. À savoir : 1) la présidence dans le modèle du parlementarisme de Cadix (1810-1814, 1820-1823 et 1836-1837) ; 2) la présidence dans le nouveau modèle du parlementarisme bicaméral (1834-1836) ; 3) la formation du modèle de double présidence : élective et désignée (1837-1844) ; 4) la présidence dans le modèle du parlementarisme conservateur (1845-1868) ; 5) la présidence dans le modèle du parlementarisme démocratique (1869-1874) ; 6) la présidence dans le retour du modèle du parlementarisme conservateur (1876-1923) ; 7) la présidence de l’Assemblée corporative de la dictature (1927-1930) ; 8) la présidence dans le modèle du parlementarisme rationalisé (1931-1939) ; 9) la présidence dans le retour de l’Assemblée corporative de la dictature (1939-1977) ; et 10) la présidence dans le modèle du parlementarisme démocratique (1977-2019). Ces considérables informations extrêmement bien présentées à travers des tableaux et magistralement bien synthétisées, tant dans les rubriques individuelles que dans les conclusions initiales et la conclusion générale, font de ce livre avec ses 289 pages et sa liste alphabétique des présidents du parlement espagnol entre 1810 et 2019, un ouvrage de référence dans le monde académique et une leçon sur la prosopographie et la méthodologie de recherche.

L 4- Emmanuelle Perez-Tisserant, Nuestra California, une histoire politique de la Californie mexicaine. De Zorro à la ruée vers l’or, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023. par Marieke Polfliet / CMMC, Université Côte d’Azur (p. 314-317)

Le présent ouvrage constitue une démarche originale et bienvenue, portant sur un angle mort de l’histoire de la Californie, couvrant les quatre décennies séparant les débuts de l’indépendance mexicaine (1810-1821) de l’annexion par les États-Unis en 1848. Il participe à la fois à la nouvelle histoire de l’Ouest américain et des zones de frontière – ou Borderlands – et au vaste champ des révolutions hispano-américaines menant des empires aux indépendances. Il s’insère également dans une perspective multi-scalaire d’histoire atlantique voire connectée. S’appuyant sur une historiographie non seulement continentale mais atlantique, l’auteure mobilise à de nombreuses reprises un comparatisme éclairant les spécificités du terrain californien comme les problématiques communes à d’autres espaces – notamment les États-Unis, le Texas ou les autres régions mexicaines. Le retour aux sources mexicaines originales constitue un apport notable en comparaison de l’historiographie étatsunienne qui s’est longtemps appuyée sur des compilations traduites. Le croisement entre archives publiques à différentes échelles, sources privées et témoignages postérieurs offre plusieurs angles d’appréhension d’une histoire politique locale marquée par une grande instabilité. En somme, outre une monographie opportune, Nuestra California constitue une précieuse contribution au renouvellement de l’histoire politique des Amériques au XIXe siècle, mettant en lumière les tensions entre les dimensions impériales et nationales des nouvelles républiques issues de l’ère des révolutions.

L 5- Sébastien Nofficial, La marine au Parlement 1871-1914. Une histoire politique de la marine militaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023. par Thomas Vaisset / Agrégé et docteur en histoire, maître de maître de conférences en histoire à l’université Le Havre-Normandie (UMR idees-CNRS 6266) (p. 317-320)

Cet ouvrage consacré à la Marine sous la Troisième République, et en particulier aux questions navales au Parlement, est la version remaniée d’une thèse de doctorat soutenue à l’université de Bretagne Sud en 2015. À la confluence de l’histoire navale et d’une histoire parlementaire renouvelée dans le sillage de laquelle Sébastien Nofficial revendique s’inscrire, cette étude des rapports entre l’autorité navale et le pouvoir législatif s’organise en deux parties. La première, de 1871 à la fin de la décennie 1880, correspond à une période qui voit le ministère de la Marine disposer d’une importante marge d’autonomie à l’égard du contrôle des deux assemblées. La seconde période identifiée par l’auteur s’étend de 1889 à la veille de la Première Guerre mondiale. Au cours de celle-ci, qui correspond à la mise en place à la Chambre puis au Sénat de commissions permanentes de la Marine, le Parlement exerce un contrôle bien plus étroit sur les affaires navales et pousse à des réformes d’ampleur du ministère de la Marine. Cependant, cette opposition n’est pas propre à l’administration de la marine de guerre. Elle renvoie au débat fondamental en régime républicain sur l’articulation entre l’idée démocratique et la compétence technique, particulièrement prégnant dans le domaine militaire, que l’ouvrage aurait gagné à davantage rappeler. Malgré ces réserves, le livre de Sébastien Nofficial demeure utile pour qui s’intéresse aux relations politico-militaires en général et à la Marine sous la Troisième République en particulier.

L 6- Henri Galli, Journal politique de la Grande Guerre. La IIIe République sur le vif, édition présentée et commentée par Pascal Henri-Galli et Philippe Nivet, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022. par Emmanuel Jousse / Enseignant contractuel à l’ENS Ulm (chercheur associé au Centre d’histoire de Sciences Po et à l’IHMC). (p. 320-323)

Le Journal politique de la Grande Guerre, issu des mémoires manuscrits du député et conseiller municipal parisien Henri Galli (1853-1922), constitue, selon les termes de Philippe Nivet qui en signe l’introduction, un « document exceptionnel » (p. 23) par son statut et par son ampleur. Le texte, manuscrit puis dactylographié dans le cadre familial, est publié avec le soutien de la Mission du centenaire à l’initiative de son petit-fils, Pascal Henri-Galli, qui donne à l’ensemble un avant-propos particulièrement éclairant sur les origines familiales et le parcours politique de son aïeul. Très marqué par la défaite de 1870-1871 vécue en Champagne, le journaliste proche de Paul Déroulède et de sa Ligue des Patriotes est élu conseiller municipal de Paris en 1900 et député en 1914, suivant une carrière proche – quoiqu’en mode mineur – de celle de Maurice Barrès dont les Chroniques de la Grande Guerre viennent d’être publiées. Les mandats exercés par Galli en font un témoin privilégié de la guerre vécue au cœur des assemblées parlementaires. Plus qu’un témoignage sur les représentations d’un nationaliste ou les pratiques d’un élu, c’est sa dimension sensible qu’il convient de souligner. Les pages bruissent de rumeurs, comme les « nouvelles de paniques » mentionnées le 27 août 1914 (p. 122). Le Journal politique de la Grande Guerre d’Henri Galli fera donc saisir au lecteur les bruits de la guerre, à la fois par les discours et les pratiques politiques qu’elle entraîne, et par les rumeurs et le quotidien vécu. C’est en cela qu’il participe d’une histoire indissociablement politique et sociale de la Première Guerre mondiale.

L 7- Michel Grunewald, Olivier Dard, Uwe Puschner (dir), Confrontations au national-socialisme en Europe francophone et germanophone, vol. 5.2 : Catholiques et protestants francophones – Juifs allemands et français, Bruxelles, Peter Lang, 2022. par Ralph Schor / Historien, professeur émérite, Université Côte d’Azur, Nice, France (p. 323-325)

Le national-socialisme fut une idéologie qui s’incarna dans une pratique politique en Allemagne après l’accession d’Hitler au pouvoir en 1933. C’est à la perception de ce phénomène dans l’Europe francophone et germanophone qu’est consacré un riche ouvrage collectif paru en 2022 et s’inscrivant dans une série. Les catholiques fondèrent leur analyse sur l’encyclique Mit brennender Sorge publiée par le pape Pie XI en mars 1937 et sur le Syllabus dans lequel les autorités romaines recensèrent les erreurs du nazisme. En France, l’Institut catholique de Paris organisa un cycle de conférences, « Races et Christianisme », à partir de 1939. Ce livre intelligent, subtil, tout en nuances, aide à mesurer le défi que le national-socialisme lança à la conscience morale et politique collective. Ce qui surprend le plus, ce n’est pas la variété des choix idéologiques et des engagements, réalité banale dans le domaine de l’histoire des idées, mais la difficulté qu’éprouvèrent beaucoup d’intellectuels et de religieux à percevoir la nature nouvelle du phénomène raciste hitlérien. Quand la lumière se fit, certains se muèrent en résistants, décidés à combattre ce qu’ils assimilaient au mal. D’autres restèrent des admirateurs du nazisme en raison de leur anticommunisme. Céline préférait « douze Hitler plutôt qu’un Blum omnipotent ». De la difficulté d’associer lucidité et morale.

L 8- Pierre Manenti, Albin Chalandon. Le dernier baron du gaullisme, Paris, Perrin, 2023. par Bryan Muller / Certifié d’histoire-géographie, docteur en histoire contemporaine et chercheur associé au CRULH, Bryan Muller est ATER à l’Université Picardie Jules Verne (p. 325-329)

Normalien et directeur adjoint du cabinet de l’ancienne ministre des Collectivités territoriales et de la Ruralité Dominique Faure, Pierre Manenti réalise la première biographie d’une figure méconnue et sous-estimée du gaullisme, Albin Chalandon. Résistant à vingt-quatre ans en 1944, inspecteur général des Finances, promoteur de l’aéronautique française puis banquier sous la IVe République, alternant plusieurs fois la charge de député et de ministre avec celle de directeur d’entreprises publiques (notamment Elf-Aquitaine) et privées sous la Ve République. L’historien s’appuie sur de nombreuses sources publiques et privées. Il bénéficie des archives encore inexploitées de la famille Chalandon et de témoignages originaux d’anciens collaborateurs et amis de l’ancien gaulliste. La bibliographie est modeste mais pertinente et tient relativement compte de l’actualité de la recherche. La biographie suit un schéma classique avec un plan strictement chronologique et une écriture rythmée agréable à lire. Cette biographie possède des atouts certains et contribue à l’enrichissement de l’historiographie du gaullisme.

L 9- Florian Michel, Yann Raison du Cleuziou (dir.), À la droite du Père. Les catholiques et les droites de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, 2022. par Jean El Gammal / Université de Lorraine, CRUHL (p. 329-332)

Depuis le début du siècle, paraissent de nouvelles études et synthèses axées sur les relations entre religions et politique. En 2012, Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel ont dirigé À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours. Symétriquement, même si les protestants ne sont pas pris en compte dans l’ouvrage dont il est ici question, le même éditeur consacre, dix ans plus tard, un volume à la composante opposée du champ politique. Dirigé par un historien, Florian Michel, et un politiste, Yann Raison du Cleuziou, ce livre comporte deux parties de longueur inégale, la plus longue reposant sur un plan chronologique, associé à des césures politiques classiques (1958, 1974, 1997), une autre, assez novatrice dans ce type d’ouvrage et nettement plus brève, correspondant à un dictionnaire thématique aux nombreuses entrées, relevant des « cultures des droites catholiques ». Respectivement introduit et conclu par ses deux maîtres d’œuvre, l’ouvrage rassemble les contributions d’une trentaine d’auteurs appartenant à différentes générations et le plus souvent spécialistes d’histoire religieuse. Cet ouvrage apparaît très utile et permet d’aborder certains caractères souvent méconnus de l’histoire religieuse et politique depuis 1945, notamment en termes de militantisme, dans divers sens du terme y compris sous des formes nouvelles, parfois confidentielles, dans le cas de « l’écologie intégrale ». Il atteste aussi un certain regain de l’histoire et de la sociologie politique très contemporaine des religions ou du « fait religieux ».

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)