Depuis Christophe Colomb, l’Amérique symbolise un monde à découvrir, l’espoir d’une nouvelle vie. Partir aux Amériques – Les minorités religieuses et le peuplement du Nouveau Monde XVe-XIXe siècles réunit quelques chercheurs pour une étude des motivations des migrants. Quelle place la religion tient-elle dans ces motivations : recherche d’un paradis terrestre, construction d’une nouvelle Église, liberté de culte ? Différentes étapes, depuis la plus célèbre avec les pèlerins du Mayflower, jalonnent cette histoire. Quelle fut la politique des États face à ce phénomène ?

L’ouvrage est organisé en trois parties : Partir, De la tolérance religieuse aux Amériques et L’intégration dans la société coloniale par la religion. L’approche, plus chronologique que géographique conduit aussi bien dans l’Amérique espagnole qu’en Nouvelle-France ou dans les colonies anglaises et hollandaises.

Partir

La politique migratoire des Habsbourg d’Espagne et l’exclusivisme religieux

Alain HugonAlain Hugon était professeur d’histoire moderne à l’université de Caen Basse-Normandie, ancien membre de la Casa de Velázquez et auteur de nombreuses études sur l’histoire de l’Espagne moderne et du Siècle d’Or. rappelle le poids de la religion dans l’Espagne de la fin du XVe siècle. Les lois édictées par les rois catholiques soulignent l’importance accordée à la religion dans le choix de ceux qui sont envoyés vers le Nouveau Monde, au XVIe comme au XVIIe siècle et la mission de diffusion du christianisme.

Dès 1520, un contrôle de l’émigration se met en place avec la création de la Casa de contratacion à Séville. Malgré un contrôle toujours plus précis, les entorses à la règle furent nombreuses. Des procès, en Amérique, mentionnent des migrants protestants, conversos ou musulmans. Au-delà de la lutte contre les hérésies, c’est un contrôle des mœurs qui est installé, en vue d’une société fondée sur les valeurs de la famille catholique : à partir de 1550, les hommes mariés devaient emmener leur épouse ou obtenir d’elle une autorisation écrite. La situation des femmes restées en Espagne, mineures en droit, était source de difficultés. Les autorités, et notamment l’Inquisition, font, en Amérique, une véritable chasse à la bigamie.

Pour l’autorité royale, le contrôle des religieux pose aussi problème, car s’ils sont les acteurs de la christianisation et les auxiliaires du contrôle des migrants, ils peuvent devenir des critiques de la politique de colonisation comme Mendieta ou Las Casas.

Malgré la volonté royale, l’exclusivisme religieux n’a jamais été total.

Les premiers protestants anglais au Mexique

Bernard GrunbergHistorien spécialiste de la Nouvelle-Espagne, de la conquête de l’empire aztèque, des débuts de la colonisation et de l’Inquisition apostolique mexicaine. montre, à partir de l’exemple de Robert Tompson, le contrôle et la politique d’exclusivisme évoquée dans l’article précédent, quand des étrangers sont autorisés, sous Charles Quint, à émigrer. Quelques procès mettent en lumière la lutte contre les luthériens. Dans le cas de Robert Tompson, en 1559, on peut se demander si ce qu’on lui reproche est sa religion ou son ascendance anglaise.

L’auteur rapporte l’histoire de ce marchand et la replace dans le contexte de l’époque : la confirmation de l’Église anglicane.

Moros, moriscos et berberiscos

En 1522, Charles Quint interdit à tout Morisque, nouveau converti et à ses enfants d’émigrer vers l’Amérique. Cette mesure réaffirme le Reconquête et l’intransigeance religieuse.

Éric RouletProfesseur à l’Université du Littoral Côte d’Opale, spécialiste de l’histoire de l’Amérique coloniale, de l’histoire indigène de l’Amérique recherche les traces des migrants musulmans comme Martin Romero poursuivi, en 1570, par l’Inquisition. Elles sont rares : les suspicions, les dénonciations pour propos anti-chrétien ou pour l’observance de rites musulmans sont la règle.

Qui sont-ils ? Des esclaves suivant leur maître, des artisans, des médecins fuyant la discrimination dont ils sont victimes en Espagne. La réussite sociale semble être le moteur de la migration. Ils ne représentent que 0,6 % de la population de l’Amérique espagnole.

La mémoire encombrante des « Pères pèlerins »

Lauric HennetonSpécialiste de l’histoire et de la civilisation américaine, Lauric Henneton est maître de conférences à l’Université de Versailles-Saint-Quentin. revient sur l’épopée du Mayflower. Il rappelle les débats sur la date de l’arrivée au cap Cod et le contexte du quatrième centenaire, entre polémique sur l’élection de Biden et covid.

L’article est une réflexion sur les rapports entre histoire, mémoire et commémoration.
L’auteur présente les motivations économiques, culturelles et religieuses des Pèlerins, à leur départ des Provinces Unies. Il montre la différence entre les Puritains de 1620 et les colons du Massachusetts de 1630, les difficiles relations avec les Amérindiens. La geste fondatrice du Mayflower n’apparaît qu’au début du XIXe siècle.

De la tolérance religieuse aux Amériques

Les négociants protestants de La Rochelle et la Nouvelle-France

Didier Poton de XaintraillesProfesseur émérite d’histoire à l’université de La Rochelle, CRHIA, président de l’Association des amis du musée rochelais d’histoire protestante. montre que les huguenots rochelais furent des acteurs tolérés des échanges maritimes entre la France et le Canada.

Si la Charte de la Compagnie des Cents-Associés prévoit, en 1627, l’interdiction aux non-catholiques de participer à l’aventure de la Nouvelle-France, la réalité fut un peu différente. Certes, les protestants sont suspectés d’être favorables aux Anglais, notamment pendant l’occupation par Kirke ( 1628-1631), mais depuis le XVIe siècle les marchands, les pêcheurs et les marins rochelais s’intéressent à cette région. La concurrence normande et catholique et le ralliement de Champlain imposent un repli sur la pêche à Terre-Neuve et l’Acadie.

La chute de La Rochelle face à Richelieu a ruiné la villeLa communauté protestante passe de 23 000 à 6 000 personnes (p.92). La flotte reconstituée au cours du XVIIe siècle est désormais tournée vers les AntillesNavigation en droiture grâce aux capitaux protestants.

L’auteur évoque les contrats avec le Québec pour le commerce des fourrures. Grâce à des accords avec des catholiques, les marchands protestants n’ont pas été évincés lors de la révocation de l’Édit de Nantes. Les navires voyagent au nom d’un affréteur catholique, mais les capitaux sont protestants. D’autre part, l’exil de certains protestants élargit l’aire commerciale des familles (Europe du Nord, Boston).

La Nouvelle-France ne peut se passer des marchands rochelais, qu’ils soient nouveaux convertis ou protestants, leur place dans le commerce s’accroît au XVIIIe siècle. On les retrouve aux côtés des patriotes américains, dans l’espoir de retrouver la Nouvelle-France perdue en 1763.

Des justiciables comme les autres ? Les Protestants en Nouvelle France

La politique à l’égard des protestants oscille entre répression, avec Monseigneur Laval, l’évêque de Québec, et tolérance, la migration croit au XVIIIe siècle.

Éric WenzelMaître de conférences en histoire du droit et des institutions à Avignon Université, spécialiste de l’histoire de la justice pénale et de l’histoire du droit colonial. étudie les archives judiciaires, sources importantes pour déterminer l’attitude des autorités, même si les protestants sont peu présents dans les affaires judiciairesIls ne représentent que 10 % de la population européenne de la colonie..

L’auteur montre une absence de discrimination même si quelques mesures vexatoires peuvent être constatées.

Les fidèles catholiques et leurs prêtres dans la région de Détroit

Luca CodignolaProfesseur d’histoire de Saint Mary’s University, et associé au département d’histoire de l’Université de Montréal propose une étude de la place des catholiques à la fin du XVIIIe siècle dans la région frontalière de Détroit. Il met en regard deux curés, deux sensibilités, deux réalités sociales et deux vécus de la religion. L’un d’eux est rattaché à l’évêque de Québec, l’autre à celui de Baltimore, mais la collaboration est indispensable pour ces évêques éloignés des communautés de Canadiens-Français installés de part et d’autre de la frontière. L’auteur évoque la loyauté du clergé canadien envers la couronne britannique ou les autorités américaines, mais aussi la grande pauvreté de ces catholiques de Détroit. Il décrit les relations des curés avec leurs paroissiens.

Les communautés juives dans les colonies néerlandaises des Caraïbes

Après un rappel rapide des tentatives néerlandaises de colonisation en Amérique du Sud et dans les Caraïbes, Guy SaupinSpécialiste des villes à l’époque moderne. Professeur d’histoire moderne à l’université de Nantes, il travaille sur l’évolution des villes atlantiques en Europe. s’intéresse à la migration juive vers le Surinam et Curaçao, aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il étudie l’intégration des migrants séfarades, originaires d’Anvers, dans un contexte de tolérance religieuseNotamment sous le gouvernorat de Jean-Maurice de Nassau-Siegen 1637-1643 et leur implication dans la Compagnie des Indes orientales.

Alors que la pression espagnole incite les Juifs à chercher refuge à Amsterdam, un renouveau messianique les pousse à la migration vers le Nouveau monde, quand, au XVIIIe siècle, le refuge amsterdamois est surchargé par les réfugiés d’Europe centrale.

L’auteur montre leur rôle dans l’économie de plantation esclavagiste au Surinam et l’importance de l’identité juive dans ces communautés.

L’intégration dans la société coloniale par la religion

L’effacement volontaire chez les réfugiés huguenots nord-américains

Owen StanwoodProfesseur associé au Boston College, spécialiste de l’histoire de l’Amérique coloniale. étudie la « disparition » des communautés huguenotes de la fin du XVIIe siècle, dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre, de New-York, en Virginie et dans les Carolines. Cet effacement volontaire, pour survivre dans les colonies anglaises où ils sont perçus tantôt comme des espions catholiques, tantôt comme des concurrents n’empêche pas un désir d’autonomie. Les exemples de Manhattan et de Manakin town en Virginie montrent que les pratiques religieuses évoluent vers l’observance des rites anglicans.

L’intégration des Irlandais dans la société montréalaise

Jonathan Duchesne s’intéresse à l’arrivée et à l’intégration des migrants irlandais, au XIXe siècle, au Québec. Si leur catholicisme facilite leur intégration, l’élite anglophone de la province les courtise pour garantir leur loyauté à la couronne britannique. L’auteur montre comment les mariages sont une forme d’intégration.

L’identité huguenote de Gabriel Bernon, marchand en Nouvelle-Angleterre

Leslie ChoquetteProfesseure d’histoire et directrice de l’Institut français à l’Assumption College (Worcester, Massachusetts). pose la question de l’intégration des huguenots dans les colonies anglaises à la fin du XVIIe siècle, à partir de l’exemple de Gabriel Bernon, protestant rochelais parti au lendemain de la révocation de l’Édit de Nantes. C’est une migration religieuse, mais aussi économique. Il est d’abord en affaire avec ses contacts en Nouvelle-France, il intègre les réseaux commerciaux anglais et évolue vers l’anglicanisme sans rompre avec les communautés huguenotes de New-York et de Boston. L’autrice note qu’il conserve l’usage du français dans sa vie publique comme dans sa vie privée, mais que sa seconde épouse est anglaise. C’est une acculturation incomplète puisque sa descendance concourt au renouveau de l’identité huguenote, au XIXe siècle, aux États-Unis.

La conversion des esclaves africains au catholicisme dans les Antilles françaises

Astrid GiraudElle prépare, à l’Université de Montréal, une thèse sur Le rôle des esclaves dans la formation d’une culture créole aux Antilles françaises au XVIIe siècle. analyse les effets sociaux de la christianisation des esclaves. Après un rapide rappel de l’histoire des Antilles françaises, et de l’arrivée des esclaves, majoritairement animistes, elle décrit la permanence, malgré les risques encourus, des cultures traditionnelles lors des enterrements, dans la pratique des danses et le recours aux marabouts et sorciers.

Si le baptême est gage d’intégration dans la société coloniale, puisque son inscription atteste de l’existence même du baptisé, les esclaves sont plus réfractaires au mariage religieux plus éloigné de leurs structures sociales d’origine.

Franc-maçonnerie et régulation des sociétés coloniales dans les Petites Antilles

Éric Saunier Maître de conférences en histoire moderne à l’université Le Havre Normandie, co-directeur du pôle maritime de la MRSH à l’université de Caen Normandie, spécialiste en histoire urbaine, à travers l’étude de la franc-maçonnerie et de la traite atlantique en Normandie. s’intéresse à la place des élites franc-maçonnes dans la régulation des sociétés coloniales au XVIIIe siècle. Après un tour d’horizon des loges maçonniques dans les Antilles françaises et de leurs obédiences, l’auteur concentre son propos sur la Guadeloupe et la Martinique et la régulation de la vie spirituelle dans cette société, car les prêtres sont nombreux dans les loges, mais leur influence limitée.

Dans le contexte révolutionnaire, les loges purent faire face à la pression des libres de couleur et des petits blancs pour rejoindre la société franc-maçonne, grâce à deux outils : les « frères-servants » et la « mère-loge » qui permirent de conserver aux élites leur rôle premier.

 

Conclusion :

Si les minorités religieuses ont bien participé au peuplement des Amériques, les parcours des migrants sont variés. Leur attachement à leur origine demeure malgré la nécessité de se fondre dans la société coloniale.

Un ouvrage, qui par la variété des contributions, ouvre des pistes de réflexion tant sur l’histoire des communautés religieuses que sur les migrations, leurs effets sur les personnes et les sociétés.