Yvan Gastaut est un historien spécialiste du football, maître de conférences à l’université de Nice. Il a créé, avec Stéphane Mourlane, Paul Dietschy et Christophe Messalti, l’association « We Are Football », qu’il préside. Il revient dans le petit ouvrage paru aux Editions Autrement sur la victoire de l’équipe de France dans la Coupe du Monde 1998 et plus particulièrement sur la question de l’intégration. Dans la préface de ce livre, Lilian Thuram attribue une partie de la victoire à ce métissage de joueurs d’origines ethniques différentes ayant une expérience à l’étranger, et se retrouvant autour d’un socle culturel commun.
Après avoir brièvement rappelé en introduction le contexte politique, Yvan Gastaut estime que le moment 1998 offre une réponse à la question identitaire de la France. Il se propose de l’étudier, en utilisant prioritairement la presse écrite et en élargissant la périodisation à une phase allant de 1996 à 2002. La démonstration est réalisée en cinq étapes.
Dans un premier temps, l’auteur aborde « l’équipe de France et le débat sur la diversité culturelle ». Au cours de l’Euro 1996, Jean-Marie Le Pen « remet en cause la légitimité nationale de certains joueurs ». Au cours de cette compétition, 15 joueurs sur 22 sélectionnés ont des origines étrangères, tels Sabri Lamouchi, Youri Djorkaeff, Eric Di Meco, Corentin Martins ou Patrick Loko. Un semblant d’unité nationale apparaît alors derrière l’équipe de France, contre les attaques de Le Pen. En 1998, alors que la France accueille « une compétition prônant l’Universel », la multiethnicité de l’équipe de France apparaît « comme une facteur de valorisation d’une identité française renouvelée ». Certes la communion nationale derrière l’équipe et la mise en place d’une « fête antiraciste » furent progressives, mais le caractère multicolore est perçu comme un facteur essentiel de la victoire. Yvan Gastaut cite ainsi un article de L’Equipe paru le 13 juillet 1998, énumérant le nom de plusieurs joueurs et leurs origines, soulignant qu’ils ont « uni leur destin pour la grandeur d’un pays dont ils sont tous les mêmes enfants de grande volonté », texte qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le « Ca fait d’excellents Français » interprété par Maurice Chevalier presque 60 ans auparavant. De cet ensemble composite émerge évidemment la figure tutélaire de Zinedine Zidane.
Zizou président ?
Dans une deuxième partie, l’auteur évoque la « mobilisation populaire ». Sans équivalent depuis la Libération, les manifestations gigantesques qui ont suivi le coup de sifflet final du 12 juillet 1998 ont touché villes et villages de métropole et d’outre-mer mais aussi communautés françaises à l’étranger. Certains y voient un événement prétexte, un défouloir, d’autres (comme Henri Tincq) dresse un parallèle avec les J.M.J. qui se déroulèrent à Paris en 1997. L’aspect liturgique est souligné, la célébration joyeuse tissant un « fil citoyen » au sein de la société française. Derrière ces festivités populaires, revient l’idée de « moment antiraciste ». L’effervescence d’alors semble pouvoir tout balayer et l’antiracisme se fait sentir jusque dans les discours médiatiques. Nombreux sont les exemples de fraternisation entre populations a priori peu prédisposées à s’entendre. Le déclin du racisme aide la question de l’intégration, qui semble alors possible tant la victoire de l’équipe « black-blanc-beur » a démontré l’intérêt de la multiethnicité. Cependant, Yvan Gastaut qualifie le moment 1998 de « parenthèse antiraciste ».
La troisième partie est consacrée aux liens entre le football et la notion de patrie. La victoire de l’équipe de France en 1998 et les scènes de liesse qui la suivirent participent du retour du sentiment national. Cette joie mettrait fin à un « quart de siècle de sentiment de déclin » et permettrait aux Français d’exprimer un « bon nationalisme » comme l’écrit alors Françoise Giroud. Même Alain Peyrefitte vante les mérites d’une France multiraciale. Si nombreux sont ceux qui voient derrière la victoire de l’équipe de France celle de la France elle-même, quelques voix discordantes viennent nuancer le propos, telles celles d’Alaint-Gérard Slama ou d’Alain Griotteray, mais aussi de Benjamin Stora ou de Zaki Laïdi.
Football et appartenance nationale
L’ensemble de la classe politique se retrouve en communion avec l’effervescence populaire, au point que Charles Pasqua crée la surprise en proposant de régulariser massivement les immigrés clandestins car, « quand la France est forte, elle peut être généreuse ». Au contraire de l’ancien ministre de l’Intérieur, Jean-Marie Le Pen voit dans la victoire du 12 juillet un « épiphénomène, même si cela a été un moment sympathique ». Il tente maladroitement de rattraper le mouvement populaire en affirmant que cette victoire n’était pas celle d’une équipe métissée car « l’équipe métissée, c’est le Brésil », puis de le récupérer en voyant dans l’utilisation des symboles de la Nation au cours des manifestations de joie une « certaine lepénisation des esprits ».
Le quatrième temps aborde les conséquences de l’évènement sur le court terme, à savoir dans les deux années qui suivirent. Yvan Gastaut tente de dresser les contours d’un « effet coupe du Monde ». Dans les mois qui suivent juillet 1998, les éditorialistes sont nombreux, sans le dire clairement, à se demander si le soufflé n’est pas en train de retomber. Ils sont presque déçus d’avoir à redire les noms des joueurs victorieux pour commenter des matchs qui les font retomber dans le quotidien, étonnés de constater que les problèmes de la banlieue persistent. Philippe Sollers utilise dès janvier 1999 l’expression « France moisie » pour décrire « une France essoufflée, sans projet ni enthousiasme ». Parmi les conséquences immédiates de la victoire, l’auteur relève le « football boom », phénomène d’explosion du nombre de nouveaux licenciés, et le « vedettariat des champions du monde », peoplisation qui touche les joueurs comme ce fut rarement le cas jusqu’alors. Economiquement, l’effet mondial se fait aussi sentir avec le succès des produits dérivés. Politiquement, le thème de l’immigration semble être devenu moins brûlant. Avec bonheur, l’équipe de France réussit à remporter le championnat d’Europe suivant, en 2000. Le contexte est alors favorable à la relance de la question de l’intégration.
Le footeux people
Dans sa cinquième et dernière partie, l’auteur clôt son sujet par ce qu’il considère comme un « anti-12 juillet 1998 ». Le match France-Algérie du 6 octobre 2001 apporte en effet un démenti violent à ceux qui espéraient que l’intégration n’était plus un problème. Cette rencontre est à la croisée de trois phénomènes : elle est à placer dans le cadre de relations diplomatiques entre les deux pays ; elle touche une population troublée dans son identité ; elle a pour contexte immédiat les attentats contre les tours du World Trade Center. La Marseillaise sifflée, le terrain envahi, des jeunes tenant des propos favorables à Ben Laden sont autant de démentis brutaux à la thèse de l’intégration. La mise en place du match n’était certes guère favorable, entre la psychose des attentats et la très forte supériorité numérique des supporters algériens dans le Stade d’une France qui ne s’y attendait pas. Cependant, personne ne pouvait prévoir un tel « fiasco de l’intégration ». Malgré la nécessaire dédramatisation, certains observateurs voient a posteriori dans cet événement un facteur d’explication du 21 avril 2002. « Du cauchemar politique au cauchemar sportif », il n’y a qu’un pas qu’une équipe de France inefficace franchit aisément en étant éliminée dès le premier tour de la phase finale de la Coupe du Monde 2002.
L’ouvrage d’Yvan Gastaut est passionnant. D’une plume alerte et agréable, il réussit à faire la synthèse de la presse écrite autour d’un événement sur lequel il fut beaucoup écrit. Sa démonstration est convaincante et laisse un goût amer au lecteur. D’un rêve d’un autre possible, la victoire de 1998 n’a finalement guère profité à d’autres qu’aux joueurs eux-mêmes, devenus starlettes plutôt que porteurs de l’espoir.
© Les Clionautes CR d’Anne-Sophie Lacoustille