Cet ouvrage éclaire la question du grand reportage sous l’angle des femmes. Il donne à voir les quelques figures connues mais surtout il s’emploie à mettre sous le feu des projecteurs de nombreuses oubliées. Il pourra fournir des exemples dans le cadre du cours d’HGGSP de 1ère sur la question de l’information. L’auteur, Christian Delporte, est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles et ancien directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Fondateur de la revue « Le temps des médias », il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire des médias et du journalisme.
Le grand reportage et les femmes reporters
Les femmes ont été présentes à toutes les étapes du développement et de la transformation du grand reportage. En même temps et jusqu’à récemment, ce fut un combat permanent pour pouvoir exercer leur métier. L’une des particularités de cet ouvrage est d’aller chercher des exemples dans de nombreux pays. Il ne revendique pas pour autant l’exhaustivité. L’une des questions qui guide le livre est de savoir si le genre change quelque chose à l’exercice du métier.
Nellie Bly, le modèle légendaire
En 1885, Nellie Bly mena une audacieuse enquête dans un asile d’aliénées qui provoqua alors une véritable onde de choc. Célèbre de son vivant, elle devint une véritable légende populaire. Elle a contribué à inventer le grand reportage de son époque. Dès ses premiers papiers, elle s’attaque à l’exploitation des femmes en usine. A 26 ans, elle donne des conférences dans tout le pays mais elle supporte mal la gloire et se met à boire et à se droguer. En 1895, elle se marie à un industriel et s’éloigne du monde du journalisme, domaine auquel elle finira par revenir.
Pionnières de l’enquête
Nellie Bly ne fut pas un cas unique. D’autres femmes américaines se distinguent dans différents genres du grand reportage. Ida Minerva Tarbell et Ida Bell Wells sont des » muckrackers », qu’on peut traduire par fouineuses si on est poli. Ce type de journalisme dénonce les abus du capitalisme sauvage. Pour Ida Wells, le journalisme est une mission. Ida Tarbelle s’est elle attaquée à l’empire Rockfeller et voulait mettre au jour certaines de ses pratiques. Son histoire de la Standard Oil Company est considérée comme le cinquième meilleur livre de l’histoire du journalisme américain au XXème siècle.
Premières correspondantes de guerre
L’auteur présente plusieurs figures comme celle qui signait sous le nom de Cora Montgomery ou encore Kit Coleman. Celle-ci estimait qu’aucun genre du journalisme ne devait être fermé aux femmes, pas même le reportage de guerre. Quand celle-ci éclate en 1898 entre l’Espagne et les Etats-Unis, elle demande à partir sur le terrain, ce qui est accepté.
La Grande guerre, premier tournant
Dorothy Lawrence, jeune anglaise de 19 ans en 1915, veut devenir correspondante de guerre. Elle n’hésite pas à se transformer en homme pour pouvoir rejoindre le front et témoigner. Démasquée, les militaires étouffent l’affaire jusqu’à la sortie de son livre en 1919. Celui-ci ne connait pas le succès escompté et elle est oubliée. L’Autriche-Hongrie se distingue par l’accueil réservé aux femmes car à partir de 1915, elle organise des visites sur le front pour peser sur les opinions publiques. Juliette Dietz-Monin est une comédienne et une chanteuse à la mode. En 1916, l’armée, à la demande du Petit Parisien, accepte de l’embarquer sur un navire militaire. Elle se définit comme une correspondante de guerre occasionnelle et témoigne sous forme d’ « impressions ». Le brassard de la Croix Rouge est un précieux sésame pour approcher des zones de combat. Plusieurs femmes deviennent correspondantes de guerre comme la suissesse Noëlle Roger. La Grande guerre constitue un tournant car le nombre de femmes grands reporters se compte en dizaines pendant le conflit.
En Russie révolutionnaire
Trop longtemps on a considéré Louise Bryant comme la femme de John Reed, l’auteur du fameux livre sur la révolution bolchévique paru en 1919. On a ainsi ignoré son itinéraire singulier alors qu’à 32 ans elle a déjà un passé de journaliste plus fourni que son mari. Certaines femmes étaient déjà correspondantes sur le front russe au moment où éclate la révolution de février. C’est le cas de Marylie Markovitch. Elle raconte le quotidien, l’ambiance des rues.
Les infiltrées
En 1888, dans la foulée du reportage de Nellie Bly, on assiste à un véritable feu d’artifices de reportages en infiltration menés par des femmes. Kate Swan, par exemple, a visité des dizaines de cabinets de médecins à Chicago, endossant le rôle d’une jeune femme désespérée qui cherche à avorter. Par son reportage, elle veut montrer que la loi n’est pas respectée car elle est personnellement farouchement hostile à l’avortement. Marie Choisy, elle, se travestit en homme pour pénétrer dans le monastère du Mont-Athos.
Spectacles du monde
Souvent qualifiée d’Albert Londres au féminin, Titayna est une star du journalisme. Elle le doit à ses voyages lointains et à sa capacité à se mettre en scène. Elle se fit aussi connaitre en décrochant une interview exclusive du président de la République turque en 1924. Les objets qu’elle rapporte de ses voyages et qu’elle soumet au regard des photographes font partie de sa publicité personnelle. Andrée Viollos n’est pas animée elle par la passion du voyage mais veut savoir ce qui se passe en Chine. Avant de partir, elle se documente mais une fois sur place essaye d’oublier tout ce qu’elle sait.
Envoyées spéciales chez les dictateurs
Certaines ne se contentent pas de couvrir la guerre mais glorifient l’armée italienne. D’autres, comme Dorothy Thomson sont beaucoup plus sévères avec Hitler. Son portrait déplut tellement qu’elle fut la première journaliste américaine bannie du Reich. Pour certains journaux, il y avait aussi un calcul : une femme interviewant Hitler c’est exceptionnel et cela fait vendre.
L’impulsion de la guerre d’Espagne
Christian Delporte dresse le portrait de plusieurs femmes dont Martha Gellhorn. Neuf femmes journalistes sur dix couvrent le conflit du côté des Républicains. Ce qui séduit aussi parfois dans certains reportages c’est que les femmes reporters témoignent davantage des souffrances des civils. Il faut aussi citer le cas de Paule Herfort qui dressa elle des portraits élogieux des troupes franquistes. Certaines femmes payèrent leur engagement de leur vie comme Gerda Taro. On l’oublia trop longtemps car les photographies prises furent publiées sous le nom de son compagnon, un certain Capa…
Femmes sous uniforme
Toni Frissell et Lee Miller, célèbres pour leurs photos de mode, basculèrent dans la photo de guerre. Il faut aussi s’arrêter sur Margaret Bourke-White qui fut première en de nombreux domaines : première photographe occidentale autorisée à opérer en Union soviétique en 1931, elle fut aussi la première photographe accréditée plus tard dans les zones de conflit. Après les bombardements atoniques, l’Australienne Lorraine Stumm fait partie des quelques reporters admis à survoler Hiroshima. Le second conflit mondial marque l’entrée massive des femmes dans le reportage de guerre mais ne bouleverse pas leur statut de mineures dans le journalisme.
Voyez le monde changer !
La fracture née de la guerre froide agit comme une injonction à choisir son camp. Danielle Hunnebelle, par exemple, dit clairement que si elle veut devenir journaliste, c’est pour lutter contre le communisme. Le chapitre s’arrête aussi sur la figure de Madeleine Riffaud, poètesse communiste. C’est pour le journal L’Humanité qu’elle couvre la guerre d’Algérie. Elle fut aussi au Viet Nam et l’une des rares à observer le conflit du côté du Viet Cong. Durant cette guerre, une centaine de femmes exercèrent le métier de grand reporter dont un quart en free lance. Loin d’être toujours préjudiciable, le fait d’être une femmes permet parfois une approche plus facile de la population.
Sur tous les fronts
La guerre du Viet Nam a fait sauter un verrou et la présence de femmes reporters dans les zones de conflit n’est plus aussi marginale qu’avant. Catherine Leroy a photographié les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila à Beyrouth sud. Le livre évoque ensuite la guerre du Golfe avec Christiane Amanpour, journaliste à CNN, mais aussi le conflit en Yougoslavie et le génocide au Rwanda.
Jusqu’au bout de l’investigation
L’auteur revient sur le stunt journalisme, le reportage en infiltration, à travers d’autres exemples et montre les questions qu’il soulève. Certains reportages ont plutôt pour but de comprendre un milieu qui échappe aux journalistes, d’où le fait de se faire passer par exemple pour une aide-soignante. On retrouve dans ce rôle une nouvelle fois Madeleine Riffaud. L’infiltration a alors un caractère d’immersion. Christian Delporte évoque aussi le combat d’Anna Politkovskaïa.
Reporter de guerre, un métier de femme ?
La place grandissante des femmes dans le grand reportage est attestée par l’indice des récompenses professionnelles. Entre 2006 et 2023, le prix Albert Londres de la presse écrite est attribué à des femmes à sept reprises, soit autant qu’entre 1933 et 2005. De son expérience, Janine di Giovanni conclut que la véritable qualité d’un reporter de guerre n’est pas le courage mais l’empathie.