« Les institutions, à la différence des satellites, demeurent rarement sur l’orbite où leur créateur avait entendu les placer . » Jean Rivero
Dans le contexte de l’instabilité politique ouverte par la dissolution surprise d’Emmanuel Macron, Benjamin Morel publie aux éditions Passés Composés un essai sur les institutions de la Vème République et sur les évolutions que cette dernière connaît, et pourrait connaître, sans même toucher au marbre du droit : « Un changement profond de régime peut survenir sans qu’il soit nécessaire de modifier une seule virgule de la Constitution. »Benjamin Morel, Le nouveau régime, 2025, page 14.
Ainsi, dans le cadre des bouleversements politiques issus de la nouvelle Assemblée sans majorité possible, au moment où les paradigmes admis volent en éclats, « où en est donc le régime de la Vème République ? »Ibid page 20.
Une rupture dans l’histoire de la Vème République
Tout régime démocratique, le rappelle Benjamin Morel, repose sur la gouvernabilité et la représentativité. A cette fin, la Vème République a fait reposer sa pratique politique sur la recherche, constante depuis 1962 jusqu’à 2022, du fait majoritaire. Ce phénomène, déjà présent dans la pensée de Michel Debré, est renforcé après 1962 par la combinaison saison de la bipolarisation du régime et la participation différentielle au scrutin. De ceci découle une caporalisation parlementaire et une forte discipline, chaque candidat jouant sa réussite législative sur la victoire du candidat soutenu à la présidence. Les garde-fous du texte constitutionnel, pensés en absence de majorité absolue, aboutissent à un « parlementarisme raisonné » renforçant le pouvoir de l’exécutif et ce d’autant plus depuis l’inversion du calendrier électoral en 2002.
Le fait majoritaire nécessite des partis puissants et structurés. Or Benjamin Morel constate un fort affaiblissement de ces derniers depuis la réforme du quinquennat, et notamment les deux principaux mouvements qui assuraient la bipolarisation l’UMP, par la crise interne de 2012 entre Jean-François Coppé et François Fillon, et le PS avec le mouvement des frondeurs. La mise en place du non cumul des mandats en 2014 participe de la désorganisation des groupes parlementaires. Le renouvellement de 2017, basé sur l’inexpérience de la plupart des élus (70% de primo-arrivants) fragilise encore l’appareil parlementaire, en ricochet de l’affaiblissement des partis.
Contrairement au mythe, la IVème République est morte de l’affaiblissement des partis et non de leur toute puissance. Le gaullisme d’ailleurs repose dès ses débuts sur des partis de masse que sont le RPF puis l’UNR. L’absence de fidélisation et de formation assurées par les jeunes partis (LREM) explique les échecs et l’amateurisme de la Chambre depuis 2017.
Le régime souffre également de l’absence de majorité stable. Le fait qu’elle soit minoritaire se révèle moins problématique (nous l’avons déjà vécu par le passé) que le fait que toute coalition est impossible car reposant sur l’alliance d’extrêmes à la Chambre avec les partis centristes. La faiblesse du bloc pouvant former les coalitions gouvernementales, la faible pratique politique du compromis en France, la stratégie de moyen terme qui rejette l’entente pour parier sur la présidentielle sont autant de causes évoquées par Benjamin Morel pour expliquer l’impossible coalition.
Les voies d’un nouveau régime
Benjamin Morel rappelle la faiblesse des pouvoirs du président en droit. Ses prérogatives sont limitées et si par « convention » le pouvoir présidentiel est exercé avec bien plus de largesse, il en demeure pas moins que ces pratiques demeurent fragiles.
Ainsi les présidents ont toujours recherché à peser sur les décisions, par relais des partis souvent, mais depuis leur affaiblissement, par des voies détournées. Il en va ainsi de la recherche de main mise et de contrôle de l’Elysée sur les services de Matignon. IL en va ainsi également par le recours de plus en plus à des acteurs externalisés pour contourner l’administration et ses rouages (cabinets de conseil privés par exemple). Citons ainsi la nomination directe du directeur de cabinet du Premier Ministre par le Président.
Benjamin Morel rappelle également le décalage continue entre les programmes présidentiels et la portée juridique de ceux-ci. Les candidats ont recours continuellement à des programmes législatifs et tentent de convaincre sur ces derniers, c’est à dire sur des bases politiques qu’ils ne maîtrisent pas au moment du scrutin. En cas d’absence de majorité les armes juridiques existent pour continuer de gouverner, notamment le 49.3. Cependant le détournement dont ce dernier a été l’objet depuis 2023 (procédure baroque employée par l’exécutif pour la réforme des retraites) pose problème : il fragilise les institutions en les rendant illégitimes et impopulaires aux yeux des électeurs. Il repose également sur un saut dans l’inconnu car créant un précédent dont il est compliqué de dessiner les effets à long terme.
Face à ce constat dressé et la perspective d’une tri polarisation durable de la vie politique en France, Benjamin Morel dessine deux perspectives pour la Vème République : une reparlementarisation ou une présidentialisation accrue, confinant à l’illibéralisme.
Reparlementariser nécessiterai la remise en cause de certaines pratiques. En premier lieu la « rigidité des alliances » et la définition des partis dits de gouvernement. Se posera l’intégration du RN ou de la FI à ces partis, ou alors leur décrue électorale.
Reparlementariser nécessitera de revenir sur le mode de scrutin et d’acter l’échec du scrutin majoritaire. Au delà des querelle picrocholines, Benjamin Morel pose le scrutin proportionnel comme nécessaire à cette revitalisation du Parlement selon des modalités et nuances permettant de conjuguer représentativité et gouvernabilité.
Benjamin Morel évoque également le besoin de repenser le fonctionnement du Parlement afin de briser une dynamique issue du fait majoritaire. Le pluralisme doit être accru au sein des Chambres (proportionnelle dans la composition des commissions par exemple). Il convient enfin de renforcer les ressources du Parlement pour Benjamin Morel, à savoir le temps et l’argent à sa disposition.
Reparlementariser consistera aussi à renforcer le pouvoir du gouvernement en lui assurant un rôle plus conforme à la Constitution : celui d’émanation des coalitions parlementaires et non celui de porte parole du Président. Car en effet, Benjamin Morel le rappelle, les pouvoirs du Président tiennent plus de la représentation et la pratique courante que d’une lecture juridique précise.
L’autre voie d’évolution que dessine Benjamin Morel est celle d’une dérive présidentialisme illibérale. Chef d’état charismatique, le Président de la République, face à la paralysie du pouvoir, peut opter pour une fuite en avant populiste en personnalisation l’action publique et en la dépolitisant. L’ingouvernabilité pourrait également nous faire prendre cette pente et plus facilement encore. Benjamin Morel nous rappelle que le Président peut imposer un gouvernement et, s’il doit nommer un Premier Ministre comme le prévoit la Constitution, il n’existe aucune limite temporelle. Que se passerait-il si le Président, à la suite de la démission du gouvernement, ne nommait personne ? La situation similaire de l’été 2024 ne fut pas illibérale. Mais elle constitue un précédent.
Le président a peu de pouvoirs certes, mais il peut en abuser. D’autant que ces dernier ne peuvent faire l’objet d’un contrôle de la part du Conseil d’Etat ou du Conseil Constitutionnel (il serait juridiquement impossible d’interdire un décret présidentielle ordonnant une dissolution moins d’un an avant la précédente malgré son caractère inconstitutionnel). Pensons également à l’article 16 où le Président s’auto-saisit pour déclencher cette « dictature à la romaine » suspendant le cours classique des institutions.
Si de tels abus advenaient, les remparts seraient de trois ordres :
- Le Parlement : ce dernier pourrait saisir l’article 68 pour destituer le Président, mais il est très difficilement applicable (il est plus simple juridiquement de supprimer la fonction de Président que de démettre un Président en exercice).
- Le juge : Le Conseil Constitutionnel n’a qu’un pouvoir limité car garant de la constitutionnalité des lois. Les juges sont aussi souvent soumis à la pression publique et politique (pensons à l’expression néfaste de « gouvernement des juges »).
- Le peuple : Dernier rempart mais qui peut accepter l’illibéralisme et même le réclamer (Orban ou Trump)
République césariste, la Vème République pâtit du faible soutien du peuple aujourd’hui. Que faire ? Benjamin Morel évoque en toute fin d’ouvrage la « solution » d’une constituante sans trancher, rappelant que l’époque est au conservatisme juridique et que la Vème République peut évoluer en quelques réformes. Il faut maintenant parier sur l’intelligence du peuple le plus politique du monde dit-on.