Arnaud Pautet, professeur en CPGE ECG au lycée Sainte-Marie de Lyon, a publié en 2021 une version actualisée et augmentée de son Précis d’Histoire des XXe et XXIe siècles. J’ai déjà eu l’occasion de commenter plusieurs ouvrages de l’auteur, notamment un ouvrage d’économie sur le capitalisme et plusieurs livres généraux à destination du grand public comme cette Histoire du monde contemporain en 120 dates. À chaque fois, j’ai pu saluer la netteté de la réflexion, l’actualité de l’historiographie et la pertinence des découpages. Mais il est vrai que je n’avais pas alors d’autres ouvrages comparables et récents dans ma bibliothèque.

La jungle des manuels d’Histoire du XXe siècle

Il n’en est pas de même pour ce Précis qui vient percuter un rayonnage bien fourni de titres parus chez Armand Colin, Bréal, Hachette, etc. Et puis il y a le classique absolu, l’Histoire du XXe siècle en trois tomes de Hatier, le fameux « Berstein-Milza », recommandé à des générations de candidats aux concours des IEP. Je ne vais pas dans ce billet me livrer à un exercice fastidieux de tout ce que ce livre entend traiter; nous sommes ici dans un manuel de travail sur le XXe et XXIe siècles et, sans surprise, il y aura des chapitres sur le totalitarisme, les guerres mondiales, le Proche-Orient, la France, les décolonisations, etc. Je vais plutôt essayer d’expliquer ce qui démarque ce livre du maquis d’ouvrages similaires et déterminer quelles pratiques un lecteur peut en tirer.

La pratique d’un manuel général

Comme je l’ai dit précédemment, au sommet, il y a  l’inaltérable Berstein-Milza, que j’ai moi-même compulsivement lu, annoté, fiché et repris. Il m’a été recommandé, je l’ai recommandé à mon tour; c’est le fil d’Ariane parmi les étudiants en Histoire, le creuset d’un apprentissage commun d’une discipline. Et puis avec les années, on prend ses distances avec le livre sacré. D’abord, il y a d’autres lectures qui sont venues approfondir tel ou tel point, et puis il y a le passage de l’étudiant au professeur. Ce n’est pas la même chose d’apprendre une époque et de l’enseigner.

Au hasard de mes pérégrinations chez Gibert dans les années 2000, j’avais découvert que Serge Berstein et Pierre Milza avaient dirigé des manuels scolaires, notamment cette collection des années 1980, toujours chez Hatier. Lesdits manuels étaient à mes yeux cent fois plus maniables que l’édition en trois tomes, avec plus de documents, plus de méthodologie, plus de frises, plus de couleurs aussi.

Je ne dis pas que l’esthétique est essentielle mais enfin, qui n’a pas pesté devant le caractère rébarbatif d’une édition Hatier où les pages se décollent, où tout est écrit tellement petit et serré que c’est à peine si on voit les inflexions, pour ne pas dire les respirations d’une pensée ? Avec le recul, le Berstein-Milza est un totem, à juste titre sur le fond, « incontournable » comme on dit aujourd’hui, mais qui m’a laissé une expérience de travail assez aride. Et à l’usage, je cite l’Histoire en trois tomes mais j’utilise réellement les manuels anciens, que j’actualise évidemment. C’est en cela que je parle de « pratique » d’un livre.

Quelle pratique pour le « Pautet » ?

D’abord en le lisant, j’ai eu le sentiment que mes désagréments inavoués avaient dû être partagés. Le livre est clair. Les paragraphes sont marqués, d’une longueur adaptée, avec une mise en évidence en gras des idées importantes. Bien sûr, tout est écrit petit mais au moins, l’essentiel ressort correctement.

Autre bon point également, l’architecture générale de l’ouvrage. Pour chaque thème, on trouvera un extrait d’un ouvrage de référence (par exemple un passage de la Recherche de la France de Pierre Nora en introduction du thème 4 sur la France) pour planter la problématique générale, une introduction, une chronologie précise ni trop longue, ni trop courte, et enfin le cours, bien charpenté, précis, solide, avec des définitions subtilement intégrées à la mise en page. Le tout est bien sûr porté par le style précis, incisif, documenté de son auteur. On termine sur une bibliographie ajustée, avec des ouvrages pointus mais surtout de pointe, loin des choix parfois un peu étranges qu’on trouve dans certains manuels généraux où on a le sentiment d’un placage circonstanciel. Vous l’aurez compris, ce livre est très bien et pour tout dire excellent.

Parmi les points faibles formels, la cartographie, pas toujours très exploitable, mais c’est un problème récurrent, ainsi que la difficulté à se repérer dans la consultation. Ce type d’ouvrage se lit rarement in extenso ; on regarde un passage puis un autre, au gré des besoins du moment. Or, à la différence d’autres manuels qui indique dans un coin de page le titre du chapitre ou la période dont il est question, il n’y a ici mention que du numéro de thème, peu informatif. Dernier petit reproche, le plan s’inspire des anciens programmes du lycée et peut peut-être déconcerter le public préparant les IEP.

Un excellent Précis

Sur le fond, la principale difficulté d’un ouvrage de ce type consiste à élever le niveau d’un cours général donné au lycée ou en année de premier cycle, tout en étant suffisamment limpide pour qu’un lecteur qui ignorerait totalement ce dont il est question en commençant sa consultation, puisse suivre malgré tout. C’était là d’ailleurs la grande réussite du Berstein-Milza de satisfaire ces deux conditions.

Le Pautet est excellent pour tout ce qui relève de l’augmentation de cours. On trouve par exemple des passages très stimulants qui permettent de bien créer des ponts d’un chapitre à l’autre ou de bien cerner un concept ou un moment. En voici une petite liste personnelle :

  • Les guerres coloniales, laboratoires des guerres totales (pp. 26-27),
  • L’intégration d’une réflexion sur l’Espagne franquiste et le régime de Vichy dans le chapitre 2 sur les « Totalitarismes européens et le rejet de la démocratie dans l’Europe de 1919 à 1945 » (pp. 59-60),
  • Le tableau de synthèse sur les conférences de la fin de la Seconde Guerre mondiale (p.89),
  • La « culture de guerre froide » (pp. 207-208),
  • Le moment Gorbatchev (p. 225),
  • Le XXIe siècle sera-t-il celui des guerres en chaîne ? (pp. 242-249),
  • Pourquoi l’Asie est-elle le premier continent à « s’être réveillé » (R. Rémond)? (pp. 258-262)
  • Comment expliquer les difficultés, l’éclatement et la marginalisation du Tiers-Monde ? (pp. 274-279)
  • La France des années 1930 (pp. 334-338).

Bonne lecture à tous ! Et merci à Arnaud Pautet pour cette précieuse publication.