Publié à compte d’auteur par notre collègue Florence Petit, professeur–documentaliste à Lyon, le livre Souvenirs d’un artilleur est en fait composé de plus de 500 extraits de lettres que Paul Bernier, alors jeune officier affecté à l’artillerie de montagne a envoyé à sa famille entre sa mobilisation en août 1914 et son retour en France en janvier 1919. Ce que Paul Bernier rédige alors est, comme Florence Petit le souligne fort justement dans sa présentation, « le point de vue d’un officier d’artillerie légère, en retrait des tranchées …mais assez proche du front », observateur plus attentif de tout ce qui peut lui sembler curieux, sortir de l’ordinaire ce que le fantassin de tranchées ne risque pas d’avoir le temps de faire. Il a un certain recul par rapport aux événements auxquels il participe sur le terrain même si des hommes sont tués près de lui et s’il est blessé à la fin de la guerre sa vie quotidienne n’a rien à voir avec celle des troupes de la toute première ligne. Sa formation de polytechnicien lui permet peut-être de mieux analyser les choses même s’il est comme les combattants de cette génération totalement attachée à prendre le dessus sur le Boche détesté ce qui lui fait juger sévèrement le recul italien après Caporetto et plus encore l’armistice conclu entre Allemands et Russes en 1917.
Un observateur attentif
Cette position particulière à la fois de combattant et d’observateur curieux rend sa correspondance particulièrement intéressante d’autant plus que la guerre commence pour lui dans les Vosges (puisqu’il appartient à l’artillerie de montagne), qu’il est à Verdun de juin à décembre 1916 et qu’au début de 1917 le 2e régiment d’artillerie de montagne dans lequel il sert est affecté à l’armée d’Orient. Les descriptions qu’il laisse concernent donc trois théâtres d’opération dont deux sont beaucoup moins décrits dans les témoignages des combattants que Verdun qui focalise l’attention. Par les descriptions pittoresques de la vie dans une batterie (l’importance des animaux de trait, de l’organisation de la batterie, de l’épineuse question d’une nourriture qu’on cherche toujours à améliorer, la façon de s’installer en récupérant à proximité ce qui peut l’être) ce livre fourmille de détails de la vie quotidienne du combattant quand les périodes d’accalmie dominent et l’impression qui est donnée, et qui ne peut nous surprendre est qu’on passe beaucoup de temps à attendre, à attendre les ordres, à attendre qu’on bouge, qu’on change de cantonnement ou de position.
Le témoignage sur l’Armée d’Orient est particulièrement intéressant, non seulement sur cette armée, sur les rapports avec les soldats des autres nationalités, avec les habitants, les descriptions de pays alors très exotiques ou de lieux qui parlent à des gens cultivés, notamment ceux qui évoquent l’antiquité classique « la réputation de l’Acropole n’est pas surfaite », « le Parthénon est bien la merveille architecturale…… ». Les dangers de la navigation en Méditerranée restent en arrière-plan par le commentaire des disparitions de navires coulés par les sous-marins allemands ou de façon courante par le soin pris par Paul Bernier à multiplier ses lettres pour être sûr qu’une au moins arrive. Il se réjouit des colis reçus, réclame de quoi développer ses photos (car il photographie ce qui lui semble intéressant et le livre est en grande partie illustré par ses clichés), s’inquiète pour les siens (à qui il fournit des renseignements plus précis sur sa position à l’encre sympathique comme l’indique à chaque passage concerné l’éditrice) , cherche à les inquiéter le moins possible (minimise par exemples les épisodes dangereux au combat tout comme les risques de son baptême de l’air) mais s’intéresse de près à son avancement (tout en s’en défendant) tout comme à celui de ses pairs, enrageant par exemple de la lenteur des promotions à l’Armée d’Orient.
L’armée d’Orient moins connue
Plusieurs autres éléments transparaissent au-delà de ces premières remarques, éléments qui peuvent intéresser aussi bien dans l’optique de la compréhension d’une société en guerre que plus généralement dans celle des rapports qui peuvent exister entre les membres d’une famille aisée de cette époque, par exemple les rapports très formalisés avec son père mais plus simples avec sa mère et sa soeur, la volonté d’exercer dignement les responsabilités d’officier, la dignité des familles touchées par la perte d’un fils, la volonté de tenir coûte que coûte, la détestation des Boches (le mot Allemand n’apparaît pratiquement pas en dehors des premières lettres) « leur faire payer le dixième des abominations qu’ils ont commises, nous n’y arriverons jamais », « que leurs fils soient à jamais honnis » « Ah ! les sales bêtes que sont ces Boches! », l’incompréhension devant les réserves que certains peuvent avoir à l’égard de la gigantesque tuerie qui ne cesse pas et beaucoup d’autres éléments encore.
Le livre contient donc, presque à chaque page des exemples de situations, de comportements ou de réflexions qui se retrouvent certes dans de nombreux autres récits ou mémoires mais que la qualité de l’écriture de Paul Bernier, la fraîcheur d’une correspondance exceptionnellement fournie (et conservée ) et le soin mis par Florence Petit à compléter par des notes explicatives (qui décrivent les événements dont il est question, ou les lieux, notamment ceux qui sont situés en « Orient ») rendent particulièrement vivant et facile à suivre. Il faudrait aussi citer les ajouts qu’elle a faits en complément du texte des lettres à partir d’emprunts au « journal de marche » de son grand’père ou encore de morceaux de correspondance de son arrière-grand-père, le tout destiné à la meilleure compréhension possible de ce qui est raconté dans les lettres.
Une publication utile
L’historien, avec ses habitudes de travail regrette évidemment de ne pas «voir » la totalité du texte des 1800 lettres retrouvées (ce qui serait de toute façon impossible à publier) et dont certaines ne sont que des redites, d’autres de brèves cartes postales (mais Florence Petit vient de déposer l’ensemble de cette correspondance aux Archives départementales des Alpes-Maritimes). Si on jugeait ce livre comme un travail de recherche, ce qu’il n’est pas, on estimerait qu’un répertoire des correspondances comportant les dates et les thèmes principaux aurait été probablement utile mais long à faire et prenant une précieuse place dans les pages de l’ouvrage, que la bibliographie est succincte malgré l’existence de tout ce qui a paru ou dont les références ont été rappelées au moment où une question de CAPES/Agrégation portait sur les sociétés en guerre.
Ce n’était pas le but de cet ouvrage et on ne peut qu’être reconnaissant à Florence Petit de nous permettre de partager un peu la correspondance de Paul Bernier par ce livre car de nombreux documents de même nature dorment dans des cartons sans que leur existence même soit connue.