Une approche économique à long terme conçue avant les révoltes, et présentée comme en étant la cause principale

NB Des précisions ou affirmations personnelles figurent entre parenthèses. Certains points communs aux différents pays sont renvoyés en fin de CR sous le titre « vue d’ensemble ».

Ce numéro s’intitule Le monde arabe dans la crise, crise économique, car les articles ont en grande partie été rédigés avant les révoltes actuelles, même si l’éditorial de Mohammed Haddar et de Jean-Yves Moussseron évoque les chutes de Ben Ali et de Moubarak pour les relier au propos général de la revue. Ce propos est que notre attention à la demande de démocratie nous a en partie distrait de l’importance de la crise économique. Non pas de la crise mondiale de 2008, mais d’une crise structurelle ancienne qui a vu le monde arabe rester à côté de la croissance mondiale des 30 années précédentes : la révolte tunisienne a commencé à la suite d’un drame à cause économique, dans une région de ce pays défavorisée économiquement (et à forte solidarité tribale).

L’Égypte

Emma Gana-Ouestali et Jean-Yves Moussseron estiment que la crise de 2008 a révélé que le développement rapide de l’Égypte était en trompe-l’œil. L’augmentation tant vantée de son PIB venait d’une augmentation conjoncturelle (2004-2008) des « rentes » : tourisme, canal de Suez, aide américaine, pétrole. De plus cette augmentation a surtout bénéficié à des hommes d’affaires privés (dont Gamal Moubarak alors considéré comme le futur président). Ces rentes ont momentanément diminué ensuite, mais se redressent (avant la révolte).
Les réformes, et notamment les privatisations, ne datent que de 2004 et n’ont pas entrainé le changement structurel que les auteurs jugent nécessaires pour qu’un pays soit qualifié « d’émergent ». (c’est évidemment trop court, surtout avec la crise mondiale depuis 2008 ; ce qui compte c’est ce qui s’est passé -ou ne s’est pas passé- avant). D’autant que demeure le point fondamental de la qualité catastrophique de l’éducation, avec des enseignants qui donnent l’examen en contrepartie de l’achat de leur polycopié et de leçons particulières (c’est atténué par l’essor du secteur privé).

Les PVD et la Tunisie

Claude Brethommieu et Zied Essine commencent par insister sur l’ampleur du choc subi par les PVD du fait de la crise commencée en 2008, particulièrement pour les pays arabes d’Afrique, notamment du fait de la baisse des transferts des migrants et des dépenses des touristes.
Mohamed Haddar rappelle que la Tunisie a eu une croissance moyenne de 5,1 % de 1961 à 2009, ce qui est mieux que la plupart des pays arabes, mais nettement moins que des pays non arabes relativement comparables du Chili à la Thaïlande en passant par la Malaisie et Maurice. Le « mieux » vient de la meilleure qualité de la formation par rapport au reste de la région et le « moins » vient de la corruption plus élevée que dans les pays ci-dessus, qui coûterait 25 % de leur chiffre d’affaires aux entreprises (sans compter le manque à gagner correspondant à toutes celles, nationales comme étrangères, qui ne se sont pas créées par crainte de la famille prédatrice). L’auteur rappelle que si les revendications sociales sont légitimes, elles ne sont pas toutes réalistes et propose des pistes de réforme notamment pour encourager les PME et les investisseurs étrangers.

Le Maroc

Maria Christina Paciello rappelle des données analogues à celles vues ci-dessus : tourisme, versement des migrants investissements étrangers, élevés avant la crise en diminution depuis. Par contre l’économie était relativement solide ce qui lui a permis de financer une politique contracyclique (et notamment de continuer à améliorer les infrastructures de transport) sans trop de déséquilibre. Comme en Égypte et en Tunisie, le textile a été atteint par la crise (et la concurrence chinoise). Cela, conjugué à la hausse des prix du pétrole et de l’alimentation, a fait diminuer le pouvoir d’achat

L’Algérie

Fatilah Talaite et Ahmed Hammadache rappellent que le pétrole avait permis de avant la crise à l’Algérie de revenir l’équilibre macro-économique, à rembourser la dette extérieure et à lancer un programme de travaux. Les entreprises publiques ayant pour le moins déçu, aller plus loin grâce au développement des entreprises privées nationales et étrangères a par contre été beaucoup moins bien réussi et l’industrie a continué à décliner. Plus généralement les entreprises sont entravées notamment pour des raisons juridiques et réglementaires (j’ai constaté sur place des rémanences de la réglementation et surtout de la mentalité de l’époque socialiste avec une réglementation tatillonne, imprévisible et hostile aux étrangers malgré les proclamations). La conclusion est que l’Algérie paye son isolement (qu’elle cultive).

Vue d’ensemble

La revue insiste sur le mauvais état de l’infrastructure économique des États arabes non rentiers et sur le déséquilibre démographique général (« vers 130 millions de personnes sans emploi en 2020 ») qui demanderait un plan Marshall, par exemple en ressuscitant l’Union pour la Méditerranée (bien sûr une idée utile et sympathique, mais jusqu’à présent torpillée par l’Allemagne et par le conflit israélo-arabe).
Il serait logique, via l’UPM ou autrement, de profiter des fonds souverains du Moyen-Orient, étudiés par Lamia Jeddane-Mazig et Moez Labidi dans le dernier article. Ils sont analysés un par un chronologiquement et géographiquement. Ils ont subi de lourdes pertes en 2008 dans leurs investissements au Nord (55 % de leurs actifs sont aux États-Unis et 19 % en Europe). Ce sont des investisseurs à long terme qui, après avoir été regardés avec crainte, sont maintenant très désirés. Ils n’ont que 11 % de leurs actifs dans la région, surtout en Égypte et assez peu au Maghreb,
Faute de ce soutien, de nouveaux gouvernements ou des gouvernements éventuellement réformés ne résoudraient pas la crise économique. Les révoltés actuels seraient déçus et un deuxième tour pourrait porter au pouvoir des gouvernements moins sympathiques.

La revue se termine par la description par François Lafargue des relations ambiguës entre la Chine et Israël. Ce pays est pour la Chine un fournisseur de technologies militaires sophistiquées tandis qu’Israël reste méfiant du fait des liens entre la Chine et l’Iran.

Yves Montenay