Après un premier tome consacré à la déforestation, Mister Geopolitix, connu pour la qualité de sa chaîne youtube, revient en bande dessinée dans un 2e Tome consacré au Narcotrafic. Celui-ci est issu des différents reportages réalisés en 2020-2021. Dans le cadre de cet album, Mister Geopolitix est accompagné de Ludovic Danjou au scenario et Adrien Martin au dessin.
Une volonté d’adopter un regard surplombant pour dépasser les clichés
D’emblée, la première page présente les enjeux de cet album et, plus globalement, de la démarche de Mister Geopolitix. Le narcotrafic est aujourd’hui un thème « à la mode », notamment dans des séries et films, ce qui n’est pas sans véhiculer un certain nombre de clichés. Il est difficile d’aborder ce sujet avec objectivité et en embrassant l’ensemble de ses acteurs. C’est l’objectif que se fixe Mister Geopolitix à travers ses reportages : rencontrer l’ensemble des acteurs de la chaîne du narcotrafic, comprendre son succès et ses enjeux économiques, politiques, sociaux et environnementaux. En cela, la dossier en fin d’album permet une synthèse assez efficace (même si certains points auraient pu être davantage éclairés, notamment en quoi la consommation actuelle est-elle marquée par un changement de type de drogues utilisées).
Une plongée au cœur des espaces du narcotrafic
La structure de l’album nous permet de voyager à travers les espaces du narcotrafic. Après une brève introduction à Paris présentant des consommateurs récréatifs, nous partons en Bolivie auprès des agriculteurs de cocaïers. Nous voyons ici en quoi les paysans sont contraints de produire de la coca pour échapper à la misère. Nous voyons également comment cette production est ensuite négociée avec les représentants des cartels mexicain qui profitent de leur position de force pour imposer des tarifs bas.
La 2e partie de l’album se déroule au Mexique où l’on rencontre différents acteurs du trafic : le chef du cartel d’Hermosillo, les fabricants dans les laboratoires clandestins, les mules chargées du transport et les tueurs à gage qui gravitent autour (vous pouvez d’ailleurs retrouver l’interview d’un de ces tueurs à gage sur le lien suivant). Dans le même temps, nous voyons aussi une intervention violente des forces armées contre ce trafic.
La 3e partie nous conduit quant-à elle dans un cadre bien différent : les hauts plateaux de la région de Kandahar en Afghanistan. Là encore nous rencontrons les cultivateurs, mais cette fois-ci de pavot, et nous découvrons la manière dont la plante est transformée en héroïne. Seulement, ici, les acteurs dominants diffèrent, puisqu’il s’agit des Talibans que Mister Geopolitix rencontre dans le contexte de leur prise de pouvoir en 2021.
Cela nous conduit à une conclusion qui nous ramène à Paris.
Une réflexion poussée qui bat en brèche un certain nombre d’idées reçues
Le mérite de cet album est de montrer la complexité du Narcotrafic et ses enjeux multiples. Ainsi, la misère sociale est bien mise en avant, que ce soit pour montrer la situation des paysans contraints de produire souvent illégalement de la coca ou du pavot, ou encore pour comprendre les motivations des jeunes qui espèrent, à travers le trafic, sortir de leur condition précaire. Cela permet aussi d’insister sur certaines représentations de ces acteurs et plus particulièrement leur sentiment d’abandon par les pouvoirs publics. Le chef de cartel lui-même estime jouer un rôle social qui se substitue à l’État auprès de sa communauté.
Les enjeux politiques sont également révélés dans leur complexité : les gouvernements, dont certains membres sont parfois corrompus, ont tendance à fermer les yeux sur un certain nombre d’activités et à n’intervenir que lorsque la puissance du cartel est trop visible. Il peut même y avoir une certaine hypocrisie de la part de ces gouvernements : ainsi, la culture du pavot, officiellement illégale et jugée immorale en Afghanistan, est tout de même encouragée, notamment par les Talibans.
Enfin, Mister Geopolitix n’hésite pas à nous présenter les acteurs qui œuvrent pour changer la situation : journalistes, anciens tueurs à gages, agriculteurs qui tentent de mettre en place d’autres productions, … tout en montrant les limites de leur action face à un système qui susceptible de les broyer à tout moment
Il aurait intéressant aussi de consacrer quelques pages sur les réseaux du trafic ou sur la production d’autres drogues (notamment les méthamphétamines). Ces différents points sont cependant clairement expliqués dans le dossier final et on ne peut reprocher à l’auteur de ne pas avoir multiplié les voyages dans des espaces généralement marqués par des troubles importants.
À travers cet album, Mister Geopolitix nous montre, dans une présentation claire et didactique et appuyé par un dessin sobre et efficace, que les enjeux du narcotrafic sont liés à des enjeux économiques, politiques et sociaux qui s’inscrivent toujours dans un contexte historique et géographique précis.
