L’ouvrage cité en référence est le second volet d’un diptyque consacré à l’histoire particulière du département de la Moselle pendant la deuxième guerre mondiale (voir le CR des Clionautes http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2836 concernant le premier).
A la suite de la guerre-éclair, l’occupant (ou plutôt les occupants) divise(nt) la France vaincue non pas en deux comme on le croit trop souvent, mais en six zones différentes ; parmi elles, l’Alsace-Moselle, annexée de fait au mépris de la Convention d’armistice, annexion acceptée par le gouvernement de Vichy. La Moselle va servir de zone d’expérimentation, de modèle à la germanisation, à la nazification, à l’aryanisation de différents territoires occupés. La Lorraine « allemande » (termes déjà utilisés par la France au …18e siècle), considérée comme faisant partie de la « communauté du peuple allemand » (Deutsche Volksgemeinschaft – DVG), devait être « reconquise » par l’Allemagne nazie en 10 ans. La première étape consista en « l’élimination » des habitants inassimilables au regard des théories raciste, eugénique et nationaliste du régime nazi. L’opération commença le 17 juillet 1940, un mois exactement après que le drapeau à croix gammée ait été hissé au balcon de la mairie de Metz ; l’opportunité était le retour des 230 000 Mosellans qui avaient été évacués en septembre 1939 ; ce fut le début d’une expérience de ségrégation en grandeur nature. Lors de leur retour, les évacués sont triés selon des critères bien définis et des milliers sont refoulés. Pendant le même temps, les Mosellans qui n’avaient pas été évacués sont listés canton par canton, toujours selon les mêmes critères ; à ceux qui n’y satisfont pas, l’administration nazie laisse le « choix » d’une expulsion vers l’Europe orientale ou la zone libre, en France. Si la première vague d’expulsés comprenait 1131 personnes en juillet, on atteint environ 60 000 personnes en une dizaine de jours en novembre 1940 ; les évictions suivantes ont lieu à une cadence variable jusqu’en 1943. Parmi les critères de discrimination les plus notables, on trouve évidemment la francophonie, la francophilie, l’appartenance à la religion juive ou, plus tardivement, au clergé catholique et aux congrégations,… La nazification apparaît suffisamment insupportable à environ 7000 Mosellans pour qu’ils demandent officiellement à émigrer, ce qui leur est accordé en 1941. Au final, environ 30 000 personnes ont été expulsées et si l’on compte les 70 000 évacués de septembre 1939 qui ont refusé de rentrer en 1940, ce sont 100 000 Mosellans francophones et francophiles, patriotes et anti-allemands qui sont répartis dans toute la zone libre.
Après le départ des expulsés ou des optants, dont chacun avait le droit d’emporter 50 kg de bagages et 2000 francs, commence le pillage. Dès les portes fermées, ce sont les policiers et les militaires qui agissent à titre individuel, puis les membres des administrations qui raflent tout ; souvent, ce sont les anciens voisins qui prennent le reste …Les biens sont mis sous séquestre : 1270 commerces dont 500 environ sont liquidés et les autres gérés par des « commissaires-gérants », ainsi que 150 à 170 000 ha de terres agricoles ayant appartenu à près de 7000 chefs d’exploitation . Pour gérer ces dernières, un plan de colonisation agraire est élaboré par le Gauleiter Bürckel, chef de la Westmark (Marche de l’ouest) ; il fait déplacer des familles d’ouvriers agricoles mosellans qui, du jour au lendemain, deviennent des grands fermiers, crée un plan de colonisation réservé exclusivement à 2600 familles de Sarre et du Palatinat qui sont « encouragés » à émigrer en Moselle ; le plan échoue car les Siedler (colons) retournent rapidement chez eux ; pour occuper la place, les Allemands vont donc chercher et installer sur les terres lorraines des Volksdeutschen des Sudètes, de Roumanie, d’Italie,…
Un régime spécial de germanisation, d’intégration dans le Reich est réservé à la ville de Metz car le chef-lieu représente le symbole, avec Strasbourg, du retour à l’Allemagne après l’intermède français de l’Entre-deux-guerres.
Si le premier chapitre de l’ouvrage, qui concerne les expulsions, n’est pas novateur puisqu’il est la réédition, resserrée et remaniée, d’un livre de P. Wilmouth, il méritait de figurer dans ce second volet concernant l’histoire de la Moselle de 1939 à 1945, ne serait-ce que parce que l’ouvrage est devenu introuvable très rapidement et qu’il a largement contribué à la recherche concernant le sujet. C’est celui qui est résumé ci-dessus.
La seconde partie de l’ouvrage est, par contre, pionnière puisqu’elle s’appuie sur les archives des cinq principaux départements de la zone libre qui ont accueilli les expulsés. Nous ne nous y attarderons guère ici, non par manque d’intérêt , mais justement parce qu’il y a beaucoup à dire … On retiendra que le sujet concerne la vie quotidienne des expulsés qui se confond au début avec celle des évacués des débuts de la guerre, largement détaillée par le premier opus, qu’il affine, puis qui ressemble par la suite à celle de la majorité des Français à l’époque, malgré des spécificités régionales…
Si le second volet du diptyque paraît doté d’une iconographie moins riche que le précédent, celle-ci est cependant compensée par la présence de tableaux chiffrés et d’une cartographie très intéressante pour le chercheur ou le simple curieux. On n’oubliera pas la présence d’un film réalisé pour l’occasion et inséré dans l’ouvrage sous forme d’un DVD de 26 minutes, excellente initiative surtout pour un prix défiant toute concurrence !
Il ne restera à l’auteur des présentes qu’à formuler deux souhaits. Le premier s’adresse aux chercheurs et formule l’espoir que les pistes dégagées par ce diptyque leur donneront l’envie d’approfondir certains sujets qui restent encore, pour beaucoup, dans l’ombre. Le second souhait concerne les différents co-auteurs du diptyque et formule l’espoir d’une suite : celle de l’exploration des pistes de l’immédiate après-guerre, oh combien douloureuse, concernant le retour des expulsés et leurs relations avec les colons ou ceux qui sont restés car l’historien a une tâche : le devoir de trouver et de parler …
Jean-Claude Bastian
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