édition de Corinne Thépaut-Cabasset, L’esprit des modes au Grand Siècle,Formats 66, CTHS, 2010.

Un délicieux ouvrage, dans un style époustouflant, pour connaître la dernière mode à Versailles et à Paris de 1677 à 1710. Il suffisait de lire le Mercure galant, périodique de Donneau de Visé pour savoir: A quelle hauteur doivent se porter les poches ? De quelle nuance de gris doit être le taffetas? Est ce la saison de la jupe en étoffe à ruban à bouquet ou petits fleurs, et comment doivent être le fond et la doublure?

Reporter de mode

Tout un vocabulaire de la mode, de la couture, du métier transparaît dans cette livraison mensuelle des détails de la mode au Grand Siècle. La culture de l’apparence s’attache à ces petits riens qui font travailler tous les métiers de la mode de la capitale. Cette culture des apparences est extrêmement créative au XVIIe siècle puisque cela seul distingue le noble du bourgeois.
Depuis l’ouvrage de Daniel Roche (1989), l’intérêt des historiens s’accroît sur la culture du corps et la culture de la cour (Colloque, 2009). Corinne Thépaut-Cabasset, chercheur associé au Centre de Recherche du château de Versailles, a regroupé tous les articles du Mercure galant ayant trait à la mode, de façon à leur donner une nouvelle résonance. La synthèse de telles sources journalistiques offre donc un recensement complet de l’évolution du soin apporté au costume et à la coiffure sur une quarantaine d’années.
Une énigme persiste, celle de savoir qui et comment se lance une mode ? C’est à la cour ou à Paris, ce fut parfois le grand dauphin mais rarement Louis XIV (du moins à la période traitée). La mode naît d’un changement mineur sur un habit, qui est rapidement adopté par un groupe, «à moins qu’un singe de la cour ne la fasse avorter » (p 45). Mais la mode cesse lorsqu’elle est adoptée hors de ce milieu créatif qui a déjà rebondi sur un autre détail. Ainsi le Mercure galant chargé d’expliquer la mode en province lance ses lectrices dans un style largement dépassé quand elles le lisent. Mais qu’importe, la livraison du Mercure est riche de nouveautés, diffusées par des gravures de mode mais également la représentation visuelle d’attitudes corporelles.

Les nouveautés de la saison

La mode change très fréquemment, qui croyait être au dernier chic en avril ne l’est plus en juin. Et les hommes sont aussi changeants que les femmes puisqu’à chaque livraison, il est question de s’habiller pour plaire. Ce n’est pas seulement l’adaptation de l’habit à la saison mais la disponibilité sur le marché de nouveaux tissus, de nouveaux fils et rubans, de nouveaux coloris et teintes, et bientôt sur les ports, la servitude acceptée de l’arrivée de bateaux d’Inde ou de Chine qui apportent ou non en fonction des aléas climatiques ou guerriers, les nouveautés de la saison. Ainsi la mode n’est pas que le fait des petites mains, mais elle est également dépendante du commerce au long court. Toute une géographie des ateliers se lit d’abord avec les adresses parisiennes de modistes et tailleurs les plus inventifs, mais aussi une géographie du territoire français avec les noms attribués aux dentelles, aux broderies, aux étoffes régionales (manufacture de Saint-Maur, du drap de France, un Marly, un gros de Tours, une serge de Limestre ou de Beauvais, un bâton de Calambourg ), enfin une géographie mondiale par les étoffes ou accessoires coloniaux (une manche à l’espagnole, un droguet de Hollande, un garde Infant, un brandebourg, un Damas, une Indienne, des bas de Chine, un éventail à la siamoise ou une zibeline de Pologne)….

Un ouvrage qui, en regroupant ces articles de mode, dépasse largement son sujet et donne de magnifiques textes riches d’un vocabulaire fleuri, coloré, exotique, le tout expliqué par un glossaire précis. Porterez-vous une sultane cet été ? Avec un pli devant, des manches à la royale ou en amadis, ou alors une vestale à parement large et queue d’or ou d’argent? Cependant évitez la culbute touffue sur votre coiffe.

Ce texte réjouira, vous l’aurez compris, les amoureux du beau et riche langage tout en donnant la possibilité d’imaginer les habits des courtisans dans les décors de Versailles. De quoi donner également du vocabulaire à ceux qui voudraient expliquer des portraits en pied du XVIIe siècle…

Pascale Mormiche