Déroutant petit livre, plus un témoignage et une réflexion, à cheval sur l’histoire et sur la théologie, que l’œuvre d’un historien à proprement parler ; il parle d’un espace généralement peu familier aux lecteurs français : les territoires de l’ex-Allemagne de l’Est, et surtout il se penche sur la mémoire allemande et ses « trous noirs ».
Pas assez de distance avec l’État
A Soltau par exemple, on honore d’une exposition un peintre local, tout en glissant, comme naturellement, sur son attitude pendant la période nazie ; c’est la « culture du silence », lui explique-t-on, tout le monde le sait, mais on n’en parle pas ; au cimetière de la ville, un monument s’élève à la mémoire de 80 anonymes disparus en 1945, qui ont péri « pour la liberté et le droit » selon la plaque. Il découvre qu’il s’agit en fait de déportés juifs assassinés par des citoyens ordinaires, alors qu’il tentaient de s’échapper d’un train venu d’un camp de l’est, pour les conduire à Bergen Belsen. Un peu comme une stèle d’un village de la Drôme, où les « résistants fusillés par les nazis » étaient en fait des juifs massacrés dans une forêt par la milice…Encore l’oubli..
Plus tard, André Micaleff apprend que son propre père, prisonnier de guerre en 1940, passa quelques semaines dans un camp, à quelques kilomètres de Soltau. Coïncidences, mais qui n’en finissent pas de l’interroger : sur ce père, antisémite, qui fut un des introducteurs du francisme en Algérie dans les années 1930, applaudissait aux mesures antisémites de Vichy et interdisait à ses enfants de parler à leur voisine juive…. ; mais aussi sur l’Algérie antisémite de la fin du XIX e siècle, ou celle de la décennie 1988-1998, celle de la guerre civile, qu’il ne peut s’empêcher de mettre en regard avec la période de l’Allemagne nazie. Là aussi l’intolérance, les mensonges…
Finalement, la réflexion d’André Micaleff s’arrête plus longuement sur l’histoire du protestantisme allemand et ses rapports avec L’État, depuis Luther légitimant l’écrasement par les princes de la « Guerre des paysans » en 1525, jusqu’à l’attitude de l’Église protestante face au nazisme. Ici encore, le silence, l’aveuglement, l’oubli ont dominé, affirme-t-il. Quand les nazis arrivent au pouvoir, une grande majorité des évangéliques n’éprouve aucune difficulté à se regrouper sous la bannière de l’Église « officielle » dite des « Chrétiens allemands », qui fait explicitement allégeance au Führer. Et si ceux qui s’appelleront « l’Église confessante » et entreront en résistance se démarquent des précédents, dans la déclaration de Barmen de 1934, ils ne sont pas non plus au dessus de la critique : rien ne vient rappeler dans ce texte que Jésus est un juif, pas un mot ne s’oppose à la politique antisémite. De même, après la guerre, les protestants reprennent bien vite leurs activités habituelles après un mea culpa, à Darmstadt en 1947, qu’André Micaleff juge bien timide ; encore une fois, la coopération nécessaire avec l’État, pour remettre le pays debout, est mise en avant, plutôt que le témoignage évangélique, et le manque de distance avec le pouvoir politique apparaît comme un des fils directeurs et une des graves erreurs des protestants allemands à travers l’histoire.
Ce témoignage engagé et « à vif », qui interpelle d’abord l’Eglise évangélique allemande, et les chrétiens en général, n’a cependant nullement prétention à être une synthèse sur la question.
On regrettera enfin les trop nombreuses « coquilles » qui s’accumulent au fil des pages et n’en facilitent pas la lecture.