Confrontant à la fois l’archéologie et l’épigraphie (peu d’archives retrouvées à Suse mais des textes à Persépolis, en Babylonie et quelques écrits grecs) c’est toute l’histoire de la région et même celle de l’empire qui est ici renouvelée par la présentation des conclusions des recherches les plus récentes. Suse capitale de l’Elam devient, après la conquête perse, celle d’une satrapie. Le Grand Roi Darius (522-486) décide, vers 520 av. J.-C., d’y bâtir, en raison du rôle ancestral de cette région et de sa position géographique – à mi chemin entre le Fars et la Babylonie, dans une contrée aux ressources naturelles abondantes et au doux climat hivernal- , l’une de ses résidences royales.
Pendant longtemps l’arrivée de Darius au pouvoir a été présentée comme une usurpation. La relecture du paragraphe 70 de l’inscription de Behistun au regard de la date de création du vieux perse, rétablit Darius comme membre de la branche aînée des Achéménides.
Darius l’usurpateur ?
L’usurpateur est donc Cyrus II, membre de la branche cadette, qui de simple roi d’Anšan devient Grand Roi de Perse par un coup d’Etat en 539 av. J.-C. Darius quant à lui rétablit la branche légitime. C’est pourquoi sa politique est une véritable rupture avec celle de son prédécesseur Cambyse II le fils de Cyrus, tant sur le plan économique (apparition de la monnaie, creusement du canal entre le Nil et la Mer Rouge) que religieux (rétablissement du culte d’Ahura Mazda –dont il ne reste aucune trace archéologique à Suse- même si Darius ne parvient pas à éliminer totalement celui de Mithra).
Toutes les étapes de l’histoire des fouilles liée aux relations franco-iraniennes et la convention signée entre les deux pays en 1884, sont retracées : plans, relevés, photographies d’époque sont ainsi publiées. Les conclusions d’alors sont remises en cause à partir des travaux effectués en 1971 dans le cadre des célébrations du 2500ème anniversaire de la monarchie en Iran. Aujourd’hui, la prospection électrique permet de préciser les plans des bâtiments, l’étude des circulations redonne à chaque pièce sa fonction. Les reconstitutions anaxométriques en couleur et d’un grand réalisme rendent vivante l’analyse et modifient la vue d’ensemble de la Suse achéménide : l’image d’un palais ouvert sur une ville rutilante de toutes parts est remplacée par celle d’une place forte dotée d’une résidence royale de 4 hectares où une salle d’audience est le lieu d’exercice d’un pouvoir royal itinérant.
La statue royale monolithe présentée en page de couverture, emblème du musée archéologique de Téhéran, fait l’objet d’une étude particulièrement détaillée. A l’origine de plus de 3 m de haut, cette magnifique sculpture de basalte symbolise la rencontre entre la Perse et l’Egypte soumise pendant plus de 120 ans, Darius Ier Grand Roi de Perse étant aussi 2e pharaon de la XXVIIe dynastie.
Darius Grand Roi et Pharaon
Les deux riches civilisations sont ainsi regroupées sur un même monument. Les inscriptions cunéiformes trilingues (vieux perse, élamite, akkadien) présentes sur les plis de la robe côté droit et celles en hiéroglyphes égyptiens côté gauche le concrétisent. Élevée d’abord à Pithom, elle y signifie que Darius est l’enfant prédestiné de Rê ; transportée à Suse, elle y rappelle que la Perse a conquis Égypte grâce à Ahura-Mazda. Les différents peuples présentés sur le socle témoignent de l’étendue géographique de son pouvoir.
Dans cette étude à trois échelles (la ville, la résidence royale, la statue) bien d’autres thèmes sont abordés : l’histoire du vêtement, en particulier le célèbre « drapé achéménide » représenté en trois dimensions sur la fameuse statue ; les arts du feu où l’originalité de Suse apparait dans l’emploi de la brique siliceuse à glaçure colorée, évitant le craquèlement lors de la cuisson, véritable innovation technique par rapport à l’utilisation de la brique en terre cuite des Néo-Babyloniens ; les objets de la vie de tous les jours retrouvés dans les tombes notamment celle de l’acropole (boites à fards, parures…). Les multiples emprunts aux Assyro-Babyloniens, aux Egyptiens, aux Syriens et aux Grecs sont chaque fois présentés ainsi que les spécificités de l’art achéménide aux réalisations originales (comme les colonnades en pierre) et au message idéologique novateur. Les particularités des différents peuples de l’empire ne sont pas écartées, notamment l’apparition du monothéisme, fin IVe s. av. J.-C., à Jérusalem, parmi les Juifs revenus de Babylone.
La richesse et la diversité de l’iconographie (photographies aériennes, satellites, reconstitution… à plusieurs échelles jusqu’au détail du poignard passé dans la ceinture du roi !), les traductions des inscriptions accompagnent agréablement le lecteur, des croquis facilitant sa compréhension. Bref, voici un ouvrage complet qui séduira aussi bien les spécialistes qu’un public cultivé et curieux ; un beau livre à lire et découvrir et, pourquoi pas en ces fêtes de fin d’année qui approchent, un livre à offrir !
© Clionautes
Ont contribué à cet ouvrage :
Pierre AMIET (Inspecteur général honoraire des musées de France) ; Béatrice ANDRÉ-SALVINI (Conservateur général, directrice du département des Antiquités orientales au musée du Louvre) ; Rémy BOUCHARLAT (Directeur de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée à Lyon) ; Pierre BRIANT (Professeur au Collège de France spécialiste des Perses) ; Annie CAUBET (Conservateur général honoraire des musées nationaux) ; Nicole CHEVALIER (Ingénieur d’études au musée du Louvre) ; Noëmi DAUCÉ (Élève conservateur à l’Institut national du Patrimoine) ; Constance FRANK (Doctorante en archéologie orientale à l’Université Lyon 2) ; Hermann GASCHE (Archéologue à l’Université de Gand) ; Albert HESSE (Docteur Ingénieur à l’Université Pierre et Marie Curie – Paris 6) ; Daniel LADIRAY (Ingénieur d’études au CNRS) ; Jean PERROT (Directeur de la mission archéologique de Suse) ; Jean SOLER (Historien des religions) ; François VALLAT (Assyriologue spécialiste de l’élamite au CNRS) ; Jean YOYOTTE † (Égyptologue, Professeur honoraire au Collège de France)