C’est une nouvelle édition de cette somme qui nous permet de découvrir (ou redécouvrir si nous avions déjà lu la première édition publiée en 2016) l’Egypte ancienne et antique sur un temps long de presque quatre millénaires. En effet, cette édition en format compact compte 847 pages qui nous permettent de nous pencher sur les découvertes archéologiques de ces 30 dernières années, en même temps que les données plus anciennes qui ont été réexploitées par les deux auteurs.
Damien Agut et Juan Carlos Moreno-Garcia, tous deux docteurs en égyptologie, s’attachent dès l’introduction de cet ouvrage à mettre en avant leur volonté de déconstruire le mythe d’une société égyptienne « cyclique, coupée du monde et idéologiquement homogène » mis en avant par l’historiographie du XIXe et d’une partie du XXe siècle. Se basant sur les découvertes archéologiques prenant place davantage dans les petites villes et villages égyptiens ainsi que dans le désert et sur les littoraux, ils démontrent que la société égyptienne est multiple.
847 pages, le nombre peut faire peur mais les seize chapitres qui composent ce livre se lisent assez vite et assez facilement finalement : le plus important d’entre eux faisant une soixante de pages mais la moyenne tourne plutôt autour d’une quarantaine de pages. Le contenu historique dense est complété par de nombreuses ressources iconographiques, d’une trentaine de cartes et de textes de l’époque antique, ce qui rend la lecture très agréable.
L’oasis d’Egypte et le travail des hommes
Ce chapitre revient sur le cadre naturel dans lequel se développe la civilisation pharaonique. On y découvre que la vallée du Nil a connu une profonde et lente artificialisation. Les Égyptiens, en observant au plus le cours du fleuve parvinrent à étendre, au moyen d’outils hydrauliques de plus en plus perfectionnés, l’étendue de la zone inondable. Cependant l’uniformité de la mise en valeur n’étant pas possible, cela entraîne l’existence de communautés rurales très différentes les unes des autres. Cela met en lien l’ancrage de chaque dynastie dans une ville depuis laquelle le pouvoir rayonne.
Monarchies, Monarchie : naissance du royaume des Deux Terres (6000-3150)
Durant le Néolithique, l’apparition d’élites dans un espace vaste compris entre l’Egypte et la Nubie permettra de développer les premiers centres politiques. Ainsi, le royaume d’Abydos autour de 3000 fut le premier Etat localisé autour du Nil à réclamer une souveraineté pleine sur ce que l’on peut appeler les Deux Terres.
Le royaume sans rival: la monarchie memphite (3150-2460)
Ensuite, durant la période qui s’étend de 3150 à 2460, l’État pharaonique prospère depuis Memphis. C’est l’époque de Djéser et des pyramides édifiées à Saqqarah ainsi que celles du plateau de Gizeh. Parmi la suite, les sources deviennent plus variées et plus nombreuses et on peut observer les relations entre les différentes provinces qui apparaissent plus précises et complexes.
L’invention de la liberté : Memphis et l’émancipation du sud (1460-2181)
On peut donc étudier de manière plus précise les éléments qui permettent de définir le pouvoir du souverain notamment à travers le développement du contrôle fiscal, la place des provinciaux au sommet de l’État et l’élargissement des horizons commerciaux avec l’Afrique et l’Asie.
Le royaume sans maître : Héracléopolis, Thèbes et les autres (2181-2004)
Mais l’affaiblissement progressif de Memphis dans la dernière partie du IIIeme millénaire crée une vacance politique qui entraîne l’émergence de monarchies concurrentes dans la région. C’est finalement celle de Thèbes qui parvient progressivement à prendre le dessus. De plus, cette période est l’occasion d’observer que le commerce se développe fortement.
Dans le filet des oligarques : la monarchie d’Ititaouy (2004-1750)
Les sources royales semblent et inscriptions privées semblent moins abondantes pour la période et elles entraînent donc des difficultés pour écrire l’histoire politique de celle-ci. Les auteurs rappellent que le « Moyen Empire » est souvent présenté comme un des périodes les plus brillantes de la monarchie pharaonique durant laquelle s’est développée une culture classique qui domine la civilisation égyptienne durant le IIeme millénaire. Cependant, ils tiennent à mettre en avant que ce nouveau royaume se révèle un « Etat vacillant, aux bases politiques fragiles ».
Reines du sud contre marchands du Nord : Thèbes, Avarias et Kerma (1750-1504)
Cette période de presque 250 ans connaît une vraie division politique. Deux royaumes émergent alors : celui de Thèbes en Haute Egypte, considéré comme une monarchie guerrière et, aux confins du delta oriental, celui d’Avaris (la capitale de ce dernier), qui est alors une puissance marchande. Tout au sud, se dresse également le royaume de Kerma. Finalement, Thèbes parvient à conquérir à la fois Avaris au nord et Kerma au sud.
Devenir un empire : le temps des Thoutmosides (1504-1327)
Le temps des Thoutmosides (1504-1327) marque une rupture profonde dans l’histoire pharaonique : pour la première fois, le royaume se fait empire avec la conquête de la Nubie et du Levant. Ces deux siècles d’expansion, qui connaissent des troubles politiques, notamment à la fin du règne d’Hatchepsout, obligent le pouvoir politique à réorganiser l’administration et entraînent une transformation de la société. Le projet d’Akhénaton autour du culte du dieu unique Aton dans un centre nouveau est à replacer dans ce contexte. A un territoire grandissant, il fallait une nouvelle capitale, entre Thèbes, Memphis et Kourgous au Liban. Il fallait également imposer un culte commun pour mettre en oeuvre une unité du pays.
L’Empire dans l’impasse : les dynasties ramessides (1327-1069)
L’empire est alors confronté à une grave crise dynastique (après la fin du règne d’Akhénaton et le règne furtif de Toutankhamon). C’est le général Horemheb qui parvient à prendre le pouvoir et à fonder les dynasties ramessides (1327-1069). C’est une période durant laquelle on observe une monarchie qui se tourne de plus en plus vers l’espace méditerranéen, tournant progressivement le dos au sud. De plus, la paupérisation progressive de l’Etat pharaonique marque un affaiblissement de plus en plus marqué notamment en Haute et en Moyenne Egypte.
Tanis et les limites de la stratégie méditerranéenne (1069-945)
A la fin du IIe millénaire, la puissance déclinante des pharaons se heurte au pouvoir naissant des cités phéniciennes d’abord, et des Grecs ensuite. Ainsi, le pouvoir pharaonique subit plus les transformations de la géographie économique du monde antique et le transfert des centres d’influences plus au nord de la Méditerranée. C’est aussi l’époque durant laquelle les élites se divisent définitivement en deux groupes de plus en plus étanches : septentrional et méridional.
Shéshonq et ses fils : la période dite « libyenne » (945-751)
Ici, les auteurs s’attachent à montrer que désormais l’Egypte entre dans un nouveau monde. L’Empire est terminé mais pour autant ces deux siècles de dynastie Shéshonsides ne sont pas une phase de régression politique. Au contraire, cette période voit émerger et s’affirmer, une forme nouvelle de monarchie familiale où le roi-père associe constamment ses fils et membres de la famille proche à la tête des principaux centres du pouvoir urbain et du pouvoir religieux. Mais progressivement, cette dynastie est fragilisée par les querelles familiales internes, qui aboutissement à un fractionnement politique avec la multiplication de petites monarchies poliades.
L’Egypte prise en étau: entre Napata et Assur (751-664)
A partir de 751, l’Egypte passe sous domination étrangère, notamment suite aux divisions politiques évoquées précédemment. Ainsi, le chapitre relate celle des Napatéens, les « Pharaons noirs », venus du Sud, et dont le premier pharaon est Pire (751-720). Ceux-ci règnent sur un empire plus vaste que la seule Egypte.
Face aux empires: la monarchie Saïte (664-526)
Ce chapitre évoque la période des rois saïtes, suscités par la volonté assyrienne, installés dans le nord. ils parvinrent à se doter d’une administration fiscale et financière efficace et tirent parti des échanges réalisés autour de la mer Méditerranée, de la mer Rouge mais aussi au sein du désert occidental. Cependant, la monarchie Saïte apparaît comme une puissance limitée et secondaire qui ne peut pas contester la suprématie des empires orientaux comme la Perse.
Dans l’ombre de la Perse (526-332)
La « période perse » (526-332) se divise en trois phases. La première est celle de la conquête et de la première domination (526-405 environ). La seconde permet de retourner une certaine indépendance avec des pharaons issus de la région (405-343/342). La troisième montre le retour à à domination des Perses achéménides mais pour une très courte période de 10 ans puisque en 322 av JC c’est au tour d’Alexandre le Grand de faire son entrée à Memphis.
Quand le pharaon s’efface : la période hellénistique (331-30)
L’intérêt de ce chapitre est de montrer que les souverains hellénistiques se placent dans l’héritage pharaonique comme référence politique. C’est en effet ce lui leur permet d’imposer leur autorité sur les Egyptiens.
Vie et mort de l’empereur-pharaon (30 av JC- IVe siècle ap JC)
Ce dernier chapitre évoque la période romaine où la figure du pharaon disparaît derrière celle de l’empereur. De plus, elle témoigne de l’affaiblissement inévitable du pouvoir religieux égyptien.
CONCLUSION
Ainsi, que retenir de ce livre monumental ?
Tout d’abord, le royaume « balança longtemps entre le Sud et le Nord », entre Memphis et Thèbes, Thèbes et Pi-Ramsès. Ensuite, l’Egypte fut un « incubateur politique » qui parvint à rester indépendant très longtemps. Enfin, on observe que d’importantes dynamiques économiques et sociales restèrent largement indépendantes du pouvoir monarchique.
L’ATELIER DE L’HISTORIEN
« L’atelier de l’historien » permet d’étudier l’évolution du regard porté sur l’Egypte en Occident depuis l’Antiquité certes mais surtout à partir du XVIII eme siècle et au cours du XIX eme siècle où l’Egypte fascine.