Le 6 mai 1981, à quelques jours du second tour des élections présidentielles, Le Canard enchainé titre « : Quand un ministre de Giscard faisait déporter des juifs. Papon, aide de camp ». Le journal reproduit même des documents. Dans l’un d‘entre eux, daté de février 1943, Maurice Papon donne l’ordre d’escorter « un convoi d’Israélites […] au camp de Drancy ». Difficile de faire plus clair. Pourtant, il faudra attendre de nombreuses années avant que ne se tienne le procès de Maurice Papon, jugé en 1997 pour « complicité de crimes contre l’humanité ».

Un procès tardif mais indispensable

               Seize longues années se sont donc écoulées avant que les graves faits qui lui étaient reprochés puissent donner lieu à un procès. En effet, Maurice Papon a eu recours à de nombreuses manoeuvres afin de gagner du temps. Et c’est seulement le 8 octobre 1997 que s’ouvre son procès devant la cour d’assises de Bordeaux. L’auteur de cet ouvrage, Jean-Jacques Gandini, avocat de formation, membre de la Ligue des droits de l’homme (LDH), a assisté en intégralité au procès et en propose le récit dans ce livre, réédition d’un ouvrage de 1999, augmenté d’une préface de Johann Chapoutot (au titre évocateur « Une carrière française ») et d’une postface d’Arié Alimi, membre de la LDH.

Dans la France des années 1990, après les procès Barbie et Touvier et le discours de Jacques Chirac de 1995, ce procès est attendu et apparait comme indispensable. Il permet de revenir sur la politique de collaboration mise en œuvre par la France de Vichy. Mais il permet aussi de mettre en lumière l’action de fonctionnaires français œuvrant avec méthode et méticulosité dans la France occupée, ici la préfecture de la Gironde occupée par les Allemands dès l’été 1940.

Un fonctionnaire zélé

               Maurice Papon devient secrétaire-général de la préfecture de la Gironde en mai 1942, à 32 ans. Il a sous son autorité directe le Service des questions juives, chargé entre autres de la détermination du statut de juif. À ce poste, Maurice Papon « exécute les ordres des Allemands sans se poser de questions » et fait même preuve de zèle envoyant à la mort des personnes qui n’étaient pas visées au départ. Dans le cadre du procès de Bordeaux, ce sont huit convois, de Mérignac à Drancy puis Auschwitz et un transfert de personnes, qui lui sont reprochés, soit 1410 personnes dont 778 français et 207 enfants. Le fonctionnaire dévoué s’est mué en exécutant servile de la machine de mort nazie.

Mais était-il possible de faire autrement ? Jusqu’à quand un fonctionnaire doit-il appliquer une politique contraire aux libertés et en l’espèce criminelle ? Et, Maurice Papon savait-il le sort qui attendait ceux qu’il faisait arrêter ? Telles sont certaines des questions qui parcourent l’ouvrage. J.-J. Gandini indique que ceux qui voulaient savoir le pouvaient et que Maurice Papon disposait à son poste de sources d’informations nombreuses et variées. L’auteur rappelle, par ailleurs, qu’un certain nombre de fonctionnaires ont fait autrement pendant la guerre. Dans un passage utile, et dont on aimerait qu’il soit approfondi, il cite trois exemples : un sous-préfet à Châteauroux, un chargé de mission à la préfecture des Pyrénées-Orientales et le secrétaire général de la préfecture de l’Hérault qui ont pris des risques et ont sauvé des vies.

Une carrière exemplaire

               Or, malgré ces faits, Maurice Papon a eu après la fin de la Seconde Guerre mondiale une longue carrière qui l’a mené à la Préfecture de Paris, où il s’est signalé par la répression de la manifestation du 17 octobre 1961, et au poste de ministre du Budget sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. En effet, il échappe à l’épuration et parvient même à faire accroire qu’il a été résistant.  Un résistant resté « bien clandestin » toutefois, comme le souligne l’auteur. Maurice Papon a bénéficié du fait que la Résistance avait été décapitée en Gironde et que de Gaulle avait besoin d’une administration « clés en mains » afin de remettre le pays en route.

Un des intérêts du livre est de questionner une carrière exemplaire de fonctionnaire. Comment un homme proche des radicaux dans les années 1930 a pu servir successivement Vichy, les occupants[1], puis la IVème et, enfin, la Vème République ? C’est ce que l’auteur, qui s’interroge sur le devoir de désobéissance des serviteurs de l’État, désigne comme une « ignominie ordinaire au service de l’Etat ». Un fonctionnaire d’autorité comme l’était Maurice Papon est responsable de ses actes. Ne doit-il pas à un moment refuser d’obéir aux ordres comme le suggère l’article 8 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg ?

Un livre des plus utiles en ces temps troublés que l’auteur a voulu enrichir et rééditer alors que les idées d’extrême-droite « qui n’ont de cesse de réécrire l’histoire » se banalisent.

[1] Un rapport des autorités allemandes locales du 5 avril 1943 le décrit comme un fonctionnaire « habile et zélé, qui travaille rapidement en allant au fond des choses » !