Les Clionautes connaissent bien Thérèse Charles-Vallin, Docteur en histoire des sciences politiques et auteur de plusieurs biographies historiques qui peuvent concilier auprès d’un public éclairé l’histoire globale et en même temps la découverte des femmes et des hommes qui ont fait l’histoire.

Cette dernière publication, toujours aux éditions de la Bisquine, associe 2 personnages que tout oppose, du moins en apparence.

Theresia Cabarrus était destinée au moment de la grande terreur à périr sur l’échafaud. Jeune, belle, riche, favorable à la monarchie, tout l’opposait à Robespierre qui, avant thermidor, était particulièrement attaché à une vision rigoureuse de la révolution. Les excès de la terreur mais aussi la peur qu’il pouvait inspirer, le conduisent sur l’échafaud. Cela contribue à faire sortir Theresia Cabarrus de la prison où elle attendait son exécution.

On pourrait imaginer, une fois ce livre reposé, une pièce de théâtre ou un film qui en serait inspiré.

Robespierre est à l’hôtel de ville, il attend l’assaut des gardes nationaux qui se sont retournés contre lui, espère peut-être un retournement de situation avec les sans-culottes, même si ces derniers se sont détournés de lui. Maître de la France et du comité de salut public, il a été décrété d’arrestation par la convention et il est désormais hors-la-loi.

Une jeune femme d’à peine 20 ans est détenue à la prison de la petite force. Arrêtée de par la loi des suspects, elle attend son exécution et ce trajet en charrette vers la place de la révolution.

Theresia Cabarrus a vu le jour en Espagne en 1773, dans un milieu très privilégié, issu d’une dynastie de corsaires installés à Bayonne et à Bordeaux, mais aussi à Pampelune, elle a pour père François qui parvient, sous le règne de Charles III d’Espagne à constituer la première banquepublique d’Espagne, la banque San Carlos.

Pendant ce temps, Theresia, sa mère, et ses 2 garçons s’installent à Paris. La jeune fille reçoit au cours de Madame le prince, situé rue royale une bonne éducation. Son père alterne les voyages entre Madrid et Paris et réalise d’excellentes opérations financières dans un contexte où la France comme l’Espagne sont très largement endettés. Il profite d’ailleurs de sa présence à Paris pendant 6 mois pour renforcer sa position par un beau mariage de sa fille Theresia, avec des milieux suffisamment proches de la finance pour que le placement de ses titres soit favorisé.

Le candidat retenu est issu d’une famille appartenant à la meilleure magistrature et à la haute bourgeoisie de Paris, fils du président de la chambre des comptes de Paris, secrétaire du roi de 1754 1768, ne veut du contrôleur général des finances Laverdy et cousin germain du financier du Molay. Il s’agit donc de Jean Jacques Devin de Fontenay dont les parents sont issus d’une dynastie de financiers anoblis par la robe.

Le contrat est signé en 1788, et la dot de la future mariée est fixée à 500 000 livres avec plusieurs maisons sur les Champs-Élysées. Difficile d’imaginer de plus mauvais auspices.

Maximilien, Marie, Isidore de Robespierre vient au monde à Arras, le 6 mai 1758. La jeune mère vient d’une famille de brasseurs tandis que le père est d’origine terrienne, mais dont la famillerentre dans la bourgeoisie d’office. Le grand-père comme le père de Robespierre, font leurs droit. Maximilien Barthélémy Robespierre, père de l’incorruptible, est considéré comme un avocat de talent, mais aussi un noceur, ce qui l’amène à se marier « précipitamment » avec la fille unique des propriétaires de la brasserie Carraut d’Arras.

Le mariage est célébré le 3 janvier 1758 et 4 mois plus tard, Maximilien, Marie, Isidore Robespierre voit le jour. Sa naissance suivie par celle de 2 sœurs, Charlotte et Henriette, et d’un frère Augustin. La 5e grossesse est fatale à la mère qui décède en 1764. Le père de Maximilien se désintéresse de sa progéniture. Ils finit ses jours à Munich en 1777, tandis que les 2 garçons vivent chez leurs grands-parents. Les 2 filles sont mises en pension à Tournai dans un établissement destiné à l’éducation des orphelines et des « filles pauvres ».

La famille de brasseurs permet à Maximilien de faire de bonnes études. Et en 1769, boursier, il est admis comme pensionnaire au lycée Louis-le-Grand à Paris.

On trouvera dans ce chapitre consacré à la jeunesse de Robespierre de très riches renseignements d’ordre économique, concernant le coût d’entretien d’un pensionnaire boursier au lycée Louis-le-Grand, et Thérèse Charles Vallin n’hésite d’ailleurs pas à comparer ce coup d’entretien de 450 livres au salaire d’un professeur de collège, débutant à 600 livres. À l’évidence, la question très actuelle de la revalorisation du salaire des enseignants semble avoir guidé la plume de notre historienne.

À partir de la classe de première, celle de rhétorique, où ils redoublent pour approfondir ses connaissances, Robespierre vit dans le monde de l’Antiquité à partir des œuvres de César, Virgile, Ovide, Salluste, Tite-Live, Horace, Pline, Juvénal et surtout Cicéron.

Très vite il s’intéresse à la politique par le biais d’Aristote et de Polybe dans leur analyse des formes du gouvernement.

Robespierre a comme condisciple Camille Desmoulins qui rentre à Louis-le-Grand 2 ans après lui. Ils sont très amis, ce qui n’empêchera pas le premier d’envoyer le second à l’échafaud. Les études supérieures de Robespierre sont brillantes, il reçoit même une gratification de 600 livres en raison de sa bonne conduite pendant 12 années et de ses succès aux examens de philosophie et de droit. Le 2 août 1781 Maitre de Robespierre prête serment à Paris, puis à Arras où il a choisi d’exercer.

Theresia Cabarrus a donc épousé le 28 février 1788 Jean-Jacques Devin dit de Fontenay. Elle est âgée de 14 ans.

Le jeune ménage s’installe dans une maison de l’île Saint-Louis la jeune femme séduit ses hôtes avec un aménagement très à la mode, tout comme par son style vestimentaire que la reine Marie-Antoinette avait lancé, en recherchant une simplicité affectée, qui libérait les corps des pesanteurs des robes à l’espagnole qui avaient marqué les règnes précédents.

Le mariage n’est pas très heureux, l’époux de Teresa est infidèle, et très vite la jeune femme tient salon, d’abord avec les amis de son père qui cherche toujours à placer des fonds dans la banque d’Espagne mais aussi elle se lie à des milieux de la bourgeoisie de robe dont les idées sont très avancées. Le salon de madame de Lameth reçoit Barnave, le prince de Broglie, Madame de Clermont-Tonnerre, François de Jaucourt, le général Mathieu Dumas. Robespierre vient également y dîner.

La jeune femme est également affiliée à une loge maçonnique, tout comme son père. C’est une loge féminine dite d’adoption, et là aussi on y débat d’idées nouvelles, de réforme de l’impôt, et de l’exemple anglais de monarchie parlementaire.

Le couple semble très ouvert puisque le journal de la cour et de la ville attribue à Teresa une longue liste d’amants. Thérèse Charles Vallin doute de la véracité de cette série, les beaux-parents exerçant sur la jeune femme une surveillance plutôt rigoureuse.

En tout cas, le 2 mai 1789, Teresa met au monde un petit garçon, Théodore, tendis que son grand-père paternel, Dominique Cabarrus est anobli par lettres patentes.

Sitôt relevée de ses couches Teresa se rend à Versailles pour assister aux séances de l’Assemblée nationale qui vient de ce proclamer assemblée constituante. Comme le constate cette jeune femme est déjà très engagée et comme son père souhaite une réforme profonde de la monarchie.

De retour à Arras Robespierre mène une vie très rangée et il aménage avec sa sœur Charlotte. Les premiers temps sont difficiles, mais très vite il parvient à se faire un nom à l’occasion d’affaires civiles, et notamment un litige à propos de l’établissement sur une maison d’un paratonnerre. Il gagne cette affaire le 31 mai 1783. C’est à partir de cette époque qu’il commence à exprimer une volonté de réforme, parfois de façon virulente avec une argumentation extrêmement précise. Le tournant date de l’opposition aux réformes imposées par Lamoignon, Garde des Sceaux, qui enlève au Parlement leur droit de remontrance. Les juges de la salle épiscopale, dont Robespierre, refuse l’enregistrement des édits, et s’engage ainsi dans la contestation près révolutionnaire qui est davantage connue par l’opposition du parlement du Dauphiné.

Robespierre publie son premier écrit politique : « à la nation artésienne, sur la nécessité de réformer les états d’Artois ».

Si la tonalité s’inscrit dans une démarche favorable au système des états, avec des assemblées comme en Bretagne en Languedoc ou en Provence, il dénonce très vite la surreprésentation de la noblesse, l’avilissement des pauvres gens.

Il se présente comme délégué aux États généraux.

Il est élu député du tiers état et participe à la rédaction des cahiers de doléances. Maximilien est chargé de rédiger celui des cordonniers, mineurs et savetiers, la corporation la plus pauvre mais également la plus nombreuse.

Il participe à la délégation des députés du tiers état et se rend à Versailles. Sa destinée commence.

Il n’est pas question dans cette présentation qui est déjà suffisamment longue de résumer cet ouvrage. Il faut laisser au lecteur le plaisir de la découverte de ces 2 destinées croisées.

On pourrait, si l’on voulait construire une série historique sur la trajectoire de ces 2 personnages faire avec cette présentation l’épisode pilote de cette série.

Theresia et Maximilien se croisent donc à Versailles, peut-être ce reconnaît style car ils ont fréquenté les mêmes salons. Mais Robespierre ne va pas jusqu’à aborder Theresia en lui disant : « nous nous sommes déjà vus, et je vous revois avec plaisir ». Pas vraiment le style du dragueur de bar le Maximilien. Dommage, Thérésia ne manquait pas d’arguments, car tous ses contemporains la décrivent comme une très belle femme.

Peut-être sur cette rencontre manquée qui aurait pu changer, à défaut du cours de l’histoire, le destin de Thérésia et de Maximilien, on donnera envie au lecteur curieux, soucieux de la précision du détail, de découvrir la qualité d’écriture de Thérèse Charles-Vallin et aussi sa rigueur d’historienne.

Les ouvrages de Thérèse – Charles Vallin présentés sur la cliothèque

Abd El Kader – Aumale : identités meurtries
Thérèse Charles–Vallin
Éditions de la Bisquine. Collection vies en miroir. Janvier 2017, 20 euros.
François Cabarrus, un corsaire aux finances
Thérèse Charles- Vallin
A2C médias éditions – Novembre 2013 – 20 € – 181 pages .