La bibliographie, très abondante (433 titres), allant de la littérature la plus ancienne à la plus récente, de comptes rendus aux essais scientifiques en passant bien sûr par les presses et revues universitaires françaises, espagnoles et anglo-américaines, rend l’ouvrage utile à celui qui voudra une analyse plus fouillée de chaque point abordé. Cette bibliographie constitue le support de l’ouvrage autant que celui-ci en fait la synthèse.
La table des illustrations (95 figures) est commentée et elle sera donc fort utile pour retrouver un élément recherché mais on regrettera que les reproductions ne soient que dessinées même si elles sont de très bonne qualités.
L’ouvrage se décompose en deux grandes parties. L’auteur nous plongera d’abord progressivement dans ce monde disparu en restituant pas à pas l’univers de l’Homme du Paléolithique (ancêtres, contemporains, apparence, régime alimentaire, équipement, structures et pratiques sociales), chapitres 2 à 5, soit quasiment 1/3 de l’ouvrage. Puis après un passage intermédiaire nécessaire sur le symbolisme et le sacré, il nous exposera les 4 grandes familles d’explication (théories liées à la chasse, animisme -chamanisme- et totémisme, analyse structuraliste et enfin l’hypothèse mythique).
« Méfiez-vous de l’art, de la culture et de la religion »
L’auteur passe par l’étape nécessaire de la définition des termes, avant toute entrée dans le monde des Hommes du Paléolithique supérieur car 12 000 à 50 000 ans nous en séparent.
La notion d’art a évidemment un sens différent du notre. Il se rapproche plus de celui des peuples de chasseurs-cueilleurs d’aujourd’hui. L’explication du début du siècle de « l’art pour l’art » est d’emblée écartée. On parlera plus aujourd’hui de culture. Encore que le mot lui-même pose problème pour l’époque du fait aussi de l’absence de document sur les pratiques. Tant et si bien que les archéologues ont donc défini la culture par les différences de techniques d’élaboration des outils : les industries lithiques. L’art sera donc daté et appelé en fonction de ces dernières. Quant à la religion, la définition choisie est celle d’un rapport au sacré ou à une réalité supérieure avec, déjà, une mise en doute quant à la séparation profane/sacré, nature/culture de notre époque.
Côté sciences, l’auteur met aussi en garde son lecteur face au temps long et aux problèmes liés aux lacunes de la recherche, aux limites des différentes méthodes de datation sur les œuvres (14C puis 14C avec la méthode d’ultrafiltration, Uranium-Thorium), à celles en fonction du style d’œuvre, des outils ou des foyers retrouvés à leurs pieds sans compter les problèmes de reprises, ravinages, raturages et même saccage des œuvres. Enfin, la relation à l’ethnologie ( « Invariants et évolutions culturels») est abordée pour en montrer les apports vivifiants mais aussi les limites que rappelait déjà André Leroi-Gourhan en 1964.
« Néandertal et Cro-Magnon, premiers européens »
Avant d’aborder nos prédécesseurs et ses cousins, on (re)découvrira dans ce chapitre les apports des ancêtres : pensée symbolique, gravure, débitage Levallois qui présuppose un enseignement et donc un proto-langage… C’est à cette époque qu’apparaît les premiers signes d’une pensée métaphysique et c’est à ce moment là, qu’on découvre Néanderthal avec une pensée symbolique et des parures corporelles sans oublier la spectaculaire découverte de la grotte de Bruniquel (2014).
Les controverses sur cette période portent sur la détermination de l’auteur de tel ou tel art : Néanderthal ou Cro-Magon ? Il faut préciser que pendant 150 000 ans, cohabiteront 5 espèces d’hommes. Quant au Paléolithique supérieur , il nous a, entre autre, donné les premiers motifs symboliques sur les blocs d’ocre et fera surtout le point sur l’éventuelle « âme d’artiste » de Néandertal.
« Chasseur noir, cœur nomade » – « Armé pour survivre »
Tout en dressant un portrait robot de Cro-Magnon, l’auteur aborde les limites et les toutes dernières hypothèses de la science. Dans le cas présent, ce sont les différentes estimations démographiques et les dernières avancées de la génétique.
Le cadre de vie de Cro-Magon (des steppes glacées sur plateaux aux vallée boisées) ainsi que son mode de vie sont passés au peigne fin : les types d’habitats (différents selon la localisation sur le continent européen) ; son équipement (ses outils avec un rapide tableau sur les différentes industries lithiques et ses armes avec en supplément un paragraphe sur la tracéologie) ; ses hypothétiques marquages du temps et ses supports de mémoire ; son alimentation -en fonction des saisons- et sa conservation ; ses différents modes de chasse et la domestication du chien ; ses habits.
La question du nomadisme est aussi abordé ainsi que celle de la sédentarisation de certains groupes au Paléolithique supérieur (à Pavlov en Ukraine notamment).
L’organisation de la société ou « un bon sauvage » ?
Passées les premières traces de solidarité entre individus et ente groupes, la question de la violence apparaît. Même si le premier meurtre est attesté il y a 400 000 ans, soit au Paléolithique moyen avant Cro-Magnon, d’autres traces existent au Paléolithique supérieur. Cependant, rien de bien important. Les faits les plus marquants se multiplient après, au Mésolithique puis au Néolithique. Bizarrement, l’ ouvrage « Préhistoire de la violence et de la guerre » de Marylène Patou-Mathis est absent de la bibliographie contrairement au livre de Jean Guilaine et Jean Zammit, « Le sentier de la guerre, Visages de la violence préhistorique ». Néanmoins, Gween Rigal montre bien que la discussion porte plus aujourd’hui sur une violence particulière : le cannibalisme rituel ou alimentaire. Entre les deux possibilités, les traces de traitement des cadavres ne peuvent encore « trancher » (sic) entre l’une ou l’autre.
Sans transition mais sans violence cette fois-ci, les questions des rapports hommes-femmes sont abordées à la suite avec les pratiques de chasse et celle de la patrilocalité. La question de l’inégalité dans cette société est posée (selon qu’elle soit simple ou complexe, nomade ou semi-nomade, pouvant ou non pratiquer l’accumulation de biens). Aujourd’hui on s’interroge sur la production d’inégalité dans les groupes littoraux, en raison du stockage de poissons, la conservation des aliments (froid, séchage, fumage, enrobage…).
L’auteur aborde aussi pour être complet, l’ostentation notamment dans les régions aux ressources exceptionnelles (plaine russe, soud-ouest français). L’absence d’accumulation n’y exclut pas la hiérarchie sociale. Une inégalité sans accumulation donc (Testart 2012) que l’on peut voir au travers de quelques exemples d’inhumations.
Ainsi ce n’est qu’après ses réflexion que l’auteur ouvre les questions sur le statut des tailleurs de silex, des chamanes et des artistes et sur le sexe de ces derniers sans pour cela aller plus loin.
On le voit, le décor est planté, l’artiste est dépeint minutieusement tant individuellement que sociétalement et les questions scientifiques actuelles sont toutes abordées avec, de temps à autre, le lien avec l’art pariétal.
« Symbolisation et sacré »
L’auteur aborde ici un aspect périphérique de l’art pariétal mais fortement lié à celui-ci : l’art mobilier. Les différentes hypothèses à propos des palimpsestes sur les pierres et les plaquettes gravées sont énumérées et détaillées : sanctuaire mobile (Breuil 1952), activités rituelles liées à une forme de magie (Bégouën 1939) ou tout simplement celle de l’atelier d’artiste(Lwoff 1940, Mélard 2010, Guy 2011). Les découvertes plus surprenantes de représentations spatiales sur ces mêmes plaquettes sont aussi mentionnées (Svoboda 2009 et Utrilla 2009).
Les parures et les sépultures font, elles aussi, partie de ce chapitre. Ces deux aspects permettront aux préhistoriens d’identifier des sous-ensembles régionaux notamment au Magdalénien ce qui nous servira par la suite à comprendre les différences et les analogies entre les figures pariétales.
Le lien avec la seconde partie du livre est là aussi assez simple, lorsqu’on sait qu’on a retrouvé des ossements proches d’art pariétal (notamment au Gravettien français). Et de la tombe à la grotte, il n’y a qu’un pas.
Mais avant que ne s’ouvrent enfin les chapitres sur les hypothèses de la science à propos de l’art pariétal, l’auteur nous invite à visiter et à considérer la grotte comme un espace sacré, un espace initiatique dans lequel la mise en scène et la musique sont très présents.
Ces chapitres préliminaires, très fouillés, distillant ça et là des hypothèses sur l’artiste, son environnement et enfin sur son utilisation des grottes, sont assez longs. Peut-être, peut-on s’étonner de cette longueur avant le véritable sujet mais le style épistémologique de l’ouvrage et le choix de l’auteur nous y invitent. Gwenn Rigal n’est pas guide pour rien.
Les quatre grandes hypothèses explicatives
Elles sont abordées de façon quasi-chronologiques : allant des pratiques magiques d’envoûtement, de fertilité, de destruction et d’apaisement, à l’hypothèse mythique en passant par le totémisme, le chamanisme et la structuralisme.
Bien que très récente (2010), l’hypothèse de la zoocénose est classée avec celles qui parlent de la chasse et des pratiques magiques qui pourraient l’accompagner. S’ensuit scrupuleusement comme à chaque fois,une discussion sur la validité des arguments développés.
En ce qui concerne l’animisme, le chapitre commence par l’incontournable question du culte de l’ours. Gwenn Rigal retrace l’évolution de cette hypothèse (Bächler 1921, Lémozi 1929, Bonifay 1962) avant d’aborder les premières oppositions (Koby, 1953, Leroi-Gourhan, 1964, Jéquier, 1975) jusqu’aux plus récentes (Madeleine, 2008 et Maureille ,2010). Néanmoins, loin de s’arrêter là, l’auteur nous entraîne sur les dernières conclusions en ce qui concerne la place de l’ours dans le bestiaire des grottes (thèse de Man Astier de 2009 et travaux de J. Robert-Lamblin de 2005 sur la grotte Chauvet et notamment sur la spectaculaire Salle du Crâne). Il aborde aussi, pour cette dernière, les limites de sa théorie.
L’étude de l’hypothèse chamanique est détaillée en commençant par son histoire, puis, il en vient à la présentation de l’interprétation centrale de Lewis-Williams et Clottes (1996). On (re)découvrira d’autres éléments en faveur de cette thèse, comme l’utilisation de la morphologie de la grotte dans la conception des représentations artistiques, les figures composites et la résurgence du thème masculin/féminin (non pas cette fois dans les signes (Leroi-Gourhan 1964) mais dans les représentations de félins et de mammouths (Porr 2010)).
Il s’ensuit une discussion dans laquelle le chamanisme est critiqué notamment en raison d’un recours trop important à l’ethnologie. Gwenn Rigal se montre moins virulent en exposant simplement et froidement les différentes critiques à propos de la théorie de Lewis-Williams et Clottes (1996). Ces derniers avaient même dû publier un nouvel ouvrage en 2001 pour décrypter les polémiques et apportant des réponses à leurs détracteurs.
L’hypothèse chamanique est encore assurée vis-à-vis du totémisme par la significativité des statistiques mais cette même méthode, a mis en lumière une organisation rigoureuse des grottes non compatible avec le chamanisme. Les prise de distance Clottes en 2011 et les critiques sur les tentatives de trouver de nouveaux arguments sont aussi présentés.
On redécouvrira Lascaux sous cette approche avec Annette Laming-Empreraire (1962) puis, avec Testard (2012, l’art pariétal comme une classification des sociétés humaines). Cette théorie sera prolongée par les travaux de Guy (2011) sur les symboles sacrés et par Lefrère et David (2013) sur le culte des ancêtres. L’hypothèse du totémisme paraît plus robuste. Mais la discussion qui suit, montre qu’elle est finalement moins probable que celle du chamanisme (Sauvet et Layton 2009).
L’auteur nous montre ainsi un problème important de compatibilité ente la plupart des hypothèses qui, prise seules, sont toutes séduisantes.
La troisième étude porte sur la vision structuraliste qui a évolué depuis Cartilhac (1902), Raphaël (1945) Laming-emperaire (1957) et Leroi-Gourhan (1965). L’auteur cite notamment Pale et de Saint Péreuse (1976), Tymula (1995) à propos des thérianthropes. Mais il nous dévoile finalement une théorie pleine de vie avec notamment les idées de Sauvet (2001) qui poursuivit les travaux de Leroi-Gourhan pour mettre en évidence des sous-ensembles régionaux. Ces derniers travaux contredisent aussi la précédentes études en ce qui concerne les signes allant jusqu’à émettre l’idée d’un proto langage.
Les critiques sur la méthode statistique (Clottes 2011) sont présentées de même que celles des antistructuralistes comme Tauxe (2005) dont les travaux sur la grotte du Gabillou à 80 kilomètres de Lascaux rendraient inopérante l’analyse structuraliste. Mais c’était sans compter un nouveau rebondissement en 2012 avec Sauvet et son idée de complémentarité des deux grottes ! Finalement, l’auteur nous présente une hypothèse encore en plein développement et un combat d’idées encore prégnant.
Enfin, l’hypothèse mythique reste la plus fragile tant et si bien que l’auteur nous la présente assez rapidement pour aborder l’idée intéressante de la conservation de mythes provenant de la préhistoire avant d’aborder le dernier chapitre sur la fin de l’âge des cavernes qui se termine avec la fin de l’âge de glace.
Pour conclure
On regrettera la présence de passages et de chapitres qui n’ont que peu de rapport direct avec l’art pariétal (« Bye-bye Néandertal », « Le choix des armes », « Tenue correcte exigée », « un fidèle compagnon ») à moins qu’ à l’inverse on les trouve utiles pour se faire une idée de l’époque de Cro-Magnon et répondre ainsi aux questions des élèves du cylcle 3, en CM1 lors de l’étude du thème « Et avant la France ? » ou en 6e avec «la longue histoire de l’humanité et des migrations ».
La deuxième partie sera plus utile si on suit les conseils de mise en œuvre avec lesquels on peut «aborder avec les élèves les questions d’interprétation » (…) ou en suivant le fil rouge des rapports de l’homme et de son environnement : apparition de l’outillage (…), représentation picturale (Lascaux, Pech-Merle…) »…
C’est ainsi un panorama très complet que nous livre Gwenn Rigal au travers de cet ouvrage d’épistémologie qui comporte aussi, et c’est son originalité, un tableau très complet de l’époque de l’époque de Cro-Magnon.
C’est aussi tout simplement un essai qui devrait faire date car il regroupe la quasi totalité des hypothèses sur le paléolithique en général et l’art pariétal en particulier.