Avec cet ouvrage paru en 1999 dans la collection « Que Sais-je ? », on est bien loin de la dernière livraison de Pierre Maraval , Constantin le Grand , parue en 2011. Le travail de Pierre Maraval s’apparente plus à un travail classique de rédaction d’un ouvrage universitaire purement informatif qu’à une véritable étude sur l’Empereur. Mis à part un appendice, originellement paru en 2007, qui recense l’ouvrage de l’historien allemand Mischa Meier sur Justinien, il n’y a pas de rajout par rapport à la version de 1999.

Pour Justinien, ses 38 ans de règne sont dans la continuité de l’Empire romain. Maraval rappelle d’ailleurs que les contemporains de Justinien se considéraient comme Romains et non pas comme Byzantins. Et, par rapport à Constantin et Théodose, Justinien tranche en effet par un caractère latin affirmé où la dimension grecque et orientale est mise en sourdine. Il est d’ailleurs à l’origine de la fermeture de l’école philosophique d’Athènes crée par Platon, même si c’est dans le cadre de sa lutte contre les vestiges du paganisme. Sa volonté de reconquérir l’Italie, la Bétique et l’Afrique du Nord face aux Vandales, Wisigoths et Ostrogoths est la plus nette illustration de son philolatinisme, alors qu’un empereur « oriental » aurait renforcé les frontières face aux Perses sans perdre de temps à reconquérir un monde perdu d’avance. Or, contrairement à nous, Justinien ne sait pas que l’Empire romain est condamné. Il est donc normal qu’il apparaisse ainsi comme le dernier grand empereur romain de l’Antiquité. Son successeur le plus notable, Héraclius, sait déjà qu’il a basculé dans un nouveau monde où le rétablissement de l’unité impériale est une chimère.

Le lecteur avisé voit en revanche toutes les mutations en cours, ne serait-ce que dans le personnage de Justinien : issu d’un milieu provincial et relativement modeste, il devient empereur sans avoir fait de carrière militaire notable et épouse une demi-mondaine, la future impératrice Théodora. Sa vie relativement simple et austère tranche aussi avec celle de ses prédécesseurs. Il est plus proche d’un théocrate que d’un empereur. Le monde dans lequel évolue Justinien est en pleine mutation : paupérisation accrue des classes moyennes et populaires, concentration de pouvoir dans les mains de familles aristocratiques, angoisses millénaristes renforcées par une série de cataclysmes naturels vers 540-542, et surtout émiettement du pouvoir. Autour de Justinien, le nombre de personnes employées dans la bureaucratie byzantine est impressionnante, chacune essayant de conserver sa part d’influence. Même du point de vie militaire, l’unité de l’Empire est un vœux pieux : Bélissaire et Narsès, ses principaux généraux, se disputent les honneurs. A l’extrême sud-est les chrétiens Monophysites s’émancipent de plus en plus des canons du credo de Nicée, malgré les efforts de Justinien qui alterne avec eux fermeté et négociation.
Toutefois la richesse de l’Empire permet de maintenir un semblant d’équilibre du temps de Justinien. Le trésor ne rechigne en effet pas à payer pour maintenir la paix avec les Perses, ou pour éviter des sièges de villes. Les guerres d’Afrique du nord et d’Italie sont des guerres qui font rentrer beaucoup d’argent dans les caisses de l’État, même si le tableau fait de la campagne d’Italie est assez accablant : la misère, la destruction règnent en maître. C’est une guerre difficile dont on a du mal, aujourd’hui, à réaliser l’ampleur négative pour les populations civiles.

Si le pouvoir se morcelle aux périphéries, en revanche au cœur de l’Empire, à Constantinople, Justinien tient les rênes du pouvoir de façon efficace (comme lors de la sédition de Nika où la répression fit au moins 30 000 victimes), du moins jusqu’à la mort de sa femme Théodora qui le plonge dans une sorte d’atonie et d’irritabilité permanente. On notera donc à son actif, et surtout en tant qu’empereur romain soucieux de marquer son temps, son œuvre législatrice , le corpus iuris civilis (527-534) que nous appelons code Justinien. C’est l’adaptation des lois d’inspiration romaines avec une jurisprudence chrétienne, ce qui fait de ce code la base juridique du droit européen. Toujours dans la volonté de marquer son temps,on se souvient aussi de Justinien en tant que bâtisseur à Constantinople (la basilique sainte-Sophie) ou Ravenne (église San Vitale).

Son successeur immédiat, Justin II, ne parviendra pas à la hauteur de Justinien, et commencera par perdre les conquêtes italiennes. Ironie de l’histoire, ces conquêtes se sont faites au dépend de la partie orientale appauvrie et fragilisée, qui deviendra un territoire mûr pour la conquête musulmane cinquante ans plus tard.

Justinien reste donc le dernier grand empereur romain dans un monde qui lui échappe de plus en plus, un monde qui se transforme en univers médiéval sans que les contemporains ne l’aient vraiment ressenti.

Mathieu Souyris

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CR de la ré-édition en 2019 par Nicolas Prévost

Ce petit livre de poche sur l’histoire de l’Empire romain d’Orient sous le règne de Justinien au VIe siècle est une ré-édition d’un « Que sais-je ? » sorti en 1999 aux éditions PUF et déjà  dans la  collection CNRS éditions « Biblis » de 2012. Il est écrit par Pierre MARAVAL, professeur émérite d’histoire des religions de Paris IV-Sorbonne (où il enseigna jusqu’en 2004), spécialiste du christianisme ancien et de l’Antiquité tardive. Co-rédacteur de l’histoire du christianisme (tomes 2 et 3), il est également l’auteur d’ouvrages sur Théodose le Grand ou Constantin.

Le cadre géographique d’un « empire romain » devenu en grande partie asiatique et africain au VIème siècle est d’abord posé. Les principales villes sont d’abord Constantinople (400 000 à 600 000 habitants), puis Antioche et Alexandrie. L’empire se caractérise alors par une autocratie  du pouvoir impérial, la centralisation et la bureaucratisation de l’Etat. L’Empereur, qui a reçu « la grâce d’être loi vivante », est consacré par le patriarche et est considéré comme l’élu de Dieu d’un Empire officiellement chrétien depuis Théodose.

Né en 482, Justinien est venu très jeune faire ses études à Constantinople. En 525, il est proclamé co-empereur, couronné 3 jours plus tard. Le 1er août, le mort de son oncle Justin lui laisse la totalité du pouvoir qu’il conserve jusqu’en 565. Sa personnalité est source de controverses : certains l’estiment comme un grand Empereur quand d’autres le jugent comme un dangereux réformateur. Parmi ses traits de caractère, on peut distinguer sa force de travail mais aussi sa vanité.

La première partie du règne de Justinien est marqué par une grande activité législatrice. Le Code Justinien (en 529) systématise et simplifie la compilation des lois du droit ancien et du droit nouveau. Des réformes administratives, par exemple de l’organisation provinciale et des institutions municipales, sont mises en place.  On peut égaler parler d’une « politique sociale » avec la publication de lois protégeant les enfants ou la femme. La deuxième moitié du règne de Justinien connaît toutefois de nombreux problèmes : guerres, pression fiscale, fréquentes catastrophes naturelles, émeutes…tous ces facteurs déstabilisant se nourrissant les uns les autres.

Durant tout son règne, une des principales volontés de Justinien est de « rétablir » l’Empire romain dans son « état glorieux » en reprenant aux Barbares les provinces qu’ils lui avaient enlevées : Italie, Afrique, Espagne. Cette reconquête s’appuie sur un deuxième motif plus religieux de diffusion de l’orthodoxie. Mais Justinien doit également mener des guerres défensives, notamment face aux Perses.

Justinien mène aussi une véritable politique religieuse. Depuis le IVème siècle et Eusèbe de Césarée, « l’Empereur qui a reçu de Dieu son pouvoir, gouverne à l’image du Christ-Logos, qui lui-même gouverne à l’image du Dieu suprême, et son royaume est tenu pour une image du royaume des Cieux ». Justinien n’hésite pas à intervenir dans la définition même de la foi mais il échoue à refaire l’unité de l’Eglise.

Ce petit livre permet donc de dresser un bilan contrasté du règne de Justinien avec des points positifs (reconquêtes, réformes, richesse symbolisée par Sainte-Sophie) et des aspects négatifs (société encore inégalitaire, protection des frontières orientales). L’appendice qui traite du livre de Mischa MEIER « L’autre siècle de Justinien » permet encore de préciser ce bilan dans un contexte de catastrophes, de changements et de transformations. Au final, cet ouvrage permet davantage de faire un point rapide mais complet sur la transition entre Empire d’Orient et Empire Byzantin que de dresser un portrait de Justinien. Au-delà des conquêtes militaires ou des réformes législatives, on aurait aimé une analyse plus poussée de la personnalité de l’Empereur Justinien, si elle est possible compte-tenu des sources. Le titre est donc trompeur car il ne s’agit pas d’une biographie de L’Empereur Justinien mais d’une présentation de l’Empire Romain d’Orient au temps de l’Empereur Justinien.