Dans le climat de crise financière profonde qui touche l’Europe communautaire et désormais sa monnaie unique, si certaines voies prévoient où appellent de leur vœux un éclatement de l’Union, d’autres veulent le renforcement du lien fédéral entre les états européens. Comment naissent ces projets fédéralistes ? Au delà du contexte, comment se forment les groupes qui agissent en ce sens ; quelles convictions et formation prédisposent les individus à devenir fédéraliste ?

Michel Dumoulin, spécialiste de la construction européenne et Genevieve Duchenne dont les travaux portent sur l’idée européenne sont tous deux chercheurs à l’Université Catholique de Louvain. Ils dirigent cet ouvrage rassemblant onze articles, dont deux en anglais, issus de communications de 2008 et 2009 à Louvain sur les fédéralistes européens, ici observés dans leur contexte historique, national, culturel et leur mode d’engagement en tant que « générations ».


Fédéralisme sincère ou projets nationaux d’alliances régionales défensives ?

Les groupes fédéralistes du 19ème siècle qui ouvrent l’ouvrage sont distinct des rêves d’Etats-Unis d’Europe tels que les portait Victor Hugo et qui embrassaient tout le continent. Dans le contexte des craquements, puis de l’effondrement de l’Europe du congrès de Vienne, plusieurs desseins d’Union fédérales en Europe centrale ont vu le jour, notamment dans l’Empire Austro-Hongrois. Elles sont souvent défensives pour des pays qui craignent que leurs tailles individuelles ne les exposent au danger de grands voisins trop puissants. Elles sont parfois peu sincères, comme celle que semblait vouloir favoriser l’Archiduc François-Ferdinand et qui n’avait pour but que d’affaiblir les hongrois détestés. Pourtant, certains projets portent la marque de convictions fédérales plus profondes. De même, le fédéralisme peut déjà être lié à une volonté de progrès démocratique comme ce fut le cas pour les radicaux belges, frustrés dans leur cadre monarchique insuffisamment libéral. Quelques cartes auraient sans doute été utiles pour visualiser ces différents rêves de regroupements à géométrie variable.

Fédéralistes européens, pan-europa et SDN : je t’aime, moi non plus ?

Après 1918, les projets régionaux n’ont pas disparu, notamment parmi les nations nouvellement indépendantes, mais parfois frustrées par le territoire obtenu lors des traités, notamment la Pologne et surtout la Hongrie. L’idée d’une entente de la Baltique à la Méditerranée se construit dans le contexte chaotique de la petite entente. Mais l’échelle continentale est bien davantage présente.

Si les projets du 19èmes siècle étaient souvent construits par des hommes travaillant dans les antichambres du pouvoir, ceux du premier vingtième siècle sont plus ancrés dans la société civile, et travaillent davantage dans des groupes organisés de types associatifs. Les fédéralistes doivent se positionner par rapport à deux constructions de l’Entre-deux-guerres : l’Union Pan-Européenne internationale de Richard Coudenhove-Kalergi et la Société des Nations dont la naissance avait suscité des mouvements de soutiens (étudiés par Jean-Michel Guieu de Paris I) .Inscrire un projet fédéral européen dans le cadre de la SDN ne va pas de soi au départ, tant la volonté de construire la paix à l’échelle mondiale est forte. Mais l’esprit fédéraliste européen finit tout de même par y progresser, avant même la mise en route du projet Briand de « lien fédéral » (1929-1930). Les caractères nationaux des mouvements fédéralistes sont particulièrement mis en avant par des études comme celle d’Anne-Isabelle Richard sur la société pour la promotion de l’établisement des Etats-Unis d’Europe, un mouvement strictement néerlandais mais capable de penser le projet fédéral dans toutes ses dimensions.

Modèles, influences et convictions.

Si l’expression Etats-Unis d’Europe fait référence au grand voisin d’outre Atlantique, la nation à la bannière étoilée joue moins un rôle de modèle que de vis à vis pour les fédéralistes européens. Le terme d’antiaméricanisme utilisé dans le titre de l’article de Geneviève Duchenne doit toutefois être compris comme la considérations des valeurs différentes (altérité) et de la concurrence venant des Etats-Unis. Pour autant, l’exil américains des européen, notamment pendant la guerre a joué un rôle notable dans le parcours de nombreux fédéralistes.

Mais plus que les modèles d’états-fédéraux (Etats-Unis et la Suisse, à peine évoquée), ce sont les influences philosophiques et religieuses, le cheminement intellectuel des fédéralistes qui est retracé avec les portraits d’hommes ou de groupes qui occupent cette dernière partie du recueil. Comme pour des générations plus anciennes, nées avant le premier conflit mondial, et notamment celle de Robert Schuman, on retrouve dans ces articles la dimension transfrontalière de personnages à cheval sur la Belgique, la Suisse, le Luxembourg et surtout la dimension religieuse : certains fédéralistes sont issus des mouvements communautaires catholiques ou les ont côtoyé comme dans le cas de Spaak. Mais si le rôle des catholiques (très) pratiquants est bien connu, l’étude par Pierre Tilly du cas de de Jean Rey , issu d’une famille de pasteurs, permet de voir que le fédéralisme pouvait puiser son inspiration dans un protestantisme actif. Avec Mario Albertini présenté par Daniela Preda, c’est davantage la figure de l’intellectuel et des influences philosophiques qui est toutefois étudiée.

L’idéalisme et la profondeur des convictions n’empêchent pas le pragmatisme : les plus radicaux des fédéralistes européens, qui ne trouvaient pas leur compte dans l’Europe marchande et bien peu supranationale créée en 1957, finirent par se résoudre à en accompagner la construction, au point de rentrer dans ses institutions , notamment la commission, comme le montre Umberto Morelli. Il est vrai que le fédéralisme était alors déjà en perte de vitesse et d’influence et ne pouvait guère faire pression que pour demander l’élection au suffrage universel du Parlement européen.

S’il fallait un peu plus montrer le caractère d’ovni politique du fédéralisme européen entre utilitarisme utopie et foi, l’étude des générations successives de fédéralistes le confirme, tout comme elle souligne l’importance des facteurs locaux dans la conception et le combat pour un projet continental.

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