Les éditions Créaphis, soutenues par la région AuRA, propose ici un ouvrage à la fois textuel et recueil photographique.

Pierre Daum, journaliste est l’auteur d’enquêtes sur le passé colonial de la France, il a publié aux éditions Actes Sud en 2012 : Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952), Ni valise ni cercueil, les Pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance et en 2015 Le Dernier tabou, les « harkis » restés en Algérie après 1962.

Gilles Manceron est historien, spécialiste spécialiste du colonialisme français, membre du CVUH (Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire) et rédacteur en chef de « Hommes et Libertés », revue de la Ligue des droits de l’homme. Il a publié notamment avec Fatima Besnaci-Lancou et Benoit Falaise Les Harkis, Histoire, mémoire et transmission aux Éditions de l’Atelier (2010), Être Dreyfusard hier et aujourd’hui, avec Emmanuel Naquet aux Presses universitaires de Rennes (2009).

Ysé Tran est réalisatrice de courts-métrages en notamment en collaboration avec Pierre Daum : Une histoire oubliée1 qui retrace l’histoire des « travailleurs indochinois » en Lorraine et complète ce livre.

 

Cet ouvrage ne prétend pas à une étude exhaustive sur la question mais cherche plutôt à mettre en lumière des situations oubliées d’une « exportation en métropole de la situation coloniale »2 et à susciter des recherches qui restent à faire.

 

Si on connaît maintenant assez bien l’immigration polonaise, italienne maghrébine dans les usines de Lorraine, les « Indochinois », comme on nomme à l’époque , la migration forcée des Vietnamiens est oubliée. Le livre se présente à la fois comme une étude et un recueil de témoignages (de nombreuses photographies sont issues d’albums de famille) qui donnent chair à ces hommes venus en 1939 et qui ont, en Lorraine ou ailleurs, contribué à la prospérité de qualques entreprises françaises, sans salaire, sans reconnaissance a posteriori.

 

Les « travailleurs indochinois » en France de 1939 à 1952 – Un cas unique d’exportation en métropole de la situation coloniale – par Gilles Manceron.

L’auteur rappelle ce déplacement de 20 000 paysans vietnamiens qui arrivent en métropole en 1939 pour travailler dans les usines d’armement comme l’on leurs pères pendant la première guerre mondiale. Si après la défaite de 1940, environ 5 000 d’entre eux sont repartis, les autres parqués dans des camps (Mazargues, Sorgues, Marseille…) ont été exploités sous l’autorité de la MOI3.

Ceux que l’on nomme Linh Tho (soldats travailleurs) ou Cong Binh (ouvriers-soldats) ont travaillé sans salaire dans des conditions de vie et de travail difficiles en France notamment dans le sud. L’auteur évoque les revendications après 1945 dans le contexte de la situation en Indochine et le difficile retour après 1975. Il dénonce l’oubli de ce passé.

Ce premier chapitre est suivi d’un cahier photographique – pages 28 à 82

 

Aperçu de la situation économique et migratoire en Lorraine dans l’immédiat après-guerre, au moment de l’arrivée des « travailleurs indochinois » par Pierre Daum

Pierre Daum fait un récit de l’arrivée dès octobre 1945 des « TI » (« travailleurs indochinois ») à Nancy, d’abord une soixantaine puis d’autres arrivées. Il rappelle la situation économique de la région. Il dresse une liste des contingents envoyés en Lorraine et des activités aux quelles ils sont utilisés à la demande des entreprises.

Cahier photographique pages 91 à 100.

 

La vie de Phan Dinh Xa et de ses amis Tran Van Kiem et Vu Van Suong, racontée par Pierre Daum à partir du témoignage de Xavier, le fils de Phan Dinh Xa et de documents d’archives.

Un témoignage sensible qui met l’accent sur la rencontre et le mariage avec une Française, situation impensable à la colonie, le regret de n’être pas reparti, la pudeur des témoins interrogés.

Ce récit à travers un exemple donne à voir la vie des « TI ». On y lit aussi les réactions quand ils prennent connaissance des déclarations d’Ho Chi Minh. On suit Xa avant et après la guerre, son apprentissage, son départ du Sud de la France vers la Lorraine, sa décision de rester en France, embauché à l’usine sidérurgique d’Hagondange et après sa rencontre avec Anna, jeune orpheline la fondation d’une grande famille. Le récit dévoile le quotidien de l’ouvrier, les vicissitudes de la vie, une rupture familiale, le devenir des enfants et enfin un séjour au Vietnam à la recherche de ses origines.

 

Ce récit est complété de quelques témoignages, Catherine Mai Nhu et Marie Louise Nguyen ont épousé des Vietnamiens, elles évoquent cette vie entre deux cultures, le racisme ordinaire des voisins et des parents, les difficultés de la vie quotidienne.

Cahier photographique pages 156 à 176.

 

Dominique Rolland, née en France d’un père français et d’une mère métisse, de père vietnamien, rappelle cette histoire des familles mixtes entre colonie et métropole, la question du statut personnel, citoyen ou sujet. Le texte est issu d’entretiens menés par Ysé Tran en 2018 et complété par des extraits de « Sang mêlé, chronique d’un métissage en Indochine », Dominique Rolland, paru en 2006 chez Elytis. Il aborde la relation intime entre personnes que la colonisation mettait dans deux univers si différents même si ce témoignage évoque une situation plus fréquente de la relation entre un Français et une Vietnamienne.

Ces témoignages parlent aussi d’exil.

Ysé Tran exprime dans Intimes étrangers à la fois le questionnement des enfants nés de ces unions et le nécessaire travail des historiens.

Elle évoque les films de Phan Van Nhân, «Les deux mondes » réalisé en 19534 et « La justice des hommes » (1954), une occasion d’aborder les relations au sein des familles asiatiques si loin des réalités françaises. Elle montre que petit à petit cette histoire sort de l’ombre grâce à la fois aux archives familiales et aux archives officielles de l’ANOM5. Elle revient sur la construction du documentaire qu’elle même a tourné pour France 3.

Cette histoire des « travailleurs indochinois » reste à écrire. Ysé Tran propose une piste de recherche : les rapports de ces hommes avec le syndicalisme et le communisme.

 

Le livre est complété d’une carte de l’Indochine française qui rappellera des souvenirs aux plus âgés des Clionautes (carte murale – édition Hatier), de mini-biographies de « TI » établies par Ysé Tran et d’une chronologie.

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2 Selon les termes de Gilles Manceron p. 17

3 Main-d’œuvre indigène

4 Les Deux mondes – Hai thê’ gioi’ : Vietnam / 1953 / 62 min

Phan, étudiant vietnamien à Paris, est atteint de la tuberculose. Il est hospitalisé dans un sanatorium universitaire de la banlieue parisienne. Loin de sa famille, qui ne peut plus subvenir à ses besoins à cause de la guerre, il continue malgré tout à travailler la nuit comme musicien dans les restaurants et les cabarets. Ses amis vietnamiens ne se rendent pas compte qu’il vit dans un total dénuement, dans un monde à part.

5 Archives nationales d’outre-mer