Les auteurs ne barguignent pas leur engagement en livrant cet album publié aux Éditions les Arènes BD. Parcourir un siècle de création contemporaine relève du défi. Le pari est réussi. Les plus grands artistes de cette période sont évoqués et analysés. Il s’agit de comprendre le contexte historique qui détermine le processus créatif des œuvres et la naissance de mouvements artistiques.

Auteur britannique de nombreux ouvrages sur l’art contemporain et la photographie, Robert Shore soigne particulièrement les dialogues qui permettent de présenter et de comprendre les artistes. Illustratrice engagée et reconnue pour son travail sur le féminisme, Eva Rossetti choisit un graphisme simplifié et expressionniste adapté à la période décrite.

Choquer la société et révolutionner la notion d’art

Les prémices sont à chercher dans l’art conceptuel de Marcel Duchamp. Après les horreurs de la Première Guerre mondiale, ce dernier remet en cause l’art classique. Pour lui, l’art qui séduit l’œil, le beau, doit être remplacé par celui qui séduit le cerveau capable d’estimer qualité et beauté. Ainsi un urinoir industriel devient une œuvre choisie par l’artiste, Fontaine. Le Ready-made est né.

A New York, les conventions explosent. Andy Warhol expose des portraits de boîtes de soupe Campbell’s et ouvre sa « Silver Factory » où il créé des sculptures avec des produits de supermarché. Il initie le Pop-Art.

Yayoi Kusama, son pendant féminin produit une peinture minimaliste, des installations et des performances engagées où elle apparaît nue. Tout est art pour elle. On la surnomme « La reine des pois ». 

L’historienne de l’art, Linda Nochlin pose la question : pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ?

En réponse, Elaine Horan, connue sous le nom de Sturtevant, tient sa célébrité par ses répétitions d’œuvres d’artistes qu’elle admire, répétition signifiant reproduire de mémoire. Les performances de Marina Abramović intitulée Rhythm explorent ses performances physiques.

Des Tiers-lieux pour s’exprimer

Certains artistes exposent ailleurs. Le trottoir, le métro et les rues deviennent des lieux d’expression pour Jean-Michel Basquiat ou Keith Haring dont le travail a propulsé les graffitis en Street Art.

En Europe, Joseph Beuys milite pour que l’art contribue à modifier la société. Cofondateur du premier parti Vert en Allemagne, il participe à l’exposition, La documenta 7 et fait livrer 7 000 gros blocs de basalte sur la pelouse du musée Fridericianum à Cassel afin de susciter la reforestation locale : un arbre planté, une pierre enlevée.

Les œuvres prennent ensuite des formes multiples et occupent des espaces inattendus. Christo et Jeanne-Claude emballent des monuments publics (le Reichtag, le Pont neuf) afin de « faire apparaitre » le monde autrement. Damien Hirst expose dans une ancienne caserne de pompiers des docks de Londres et Klara Walter s’installe dans une raffinerie de sucre à Brooklyn.

Il faut choquer pour dénoncer : des happenings dans la rue, des excréments en conserve, des animaux empaillés enduits de sang humain ou conservés dans du formol.

En fin d’ouvrage, les auteurs montrent un changement de paradigme pour les artistes. Il s’agit d’être vus et reconnus par des galeries qui deviennent des marques mondiales. Les galeristes créent les événements et les enchères font monter les prix des créations les plus innovantes.

 

Ce roman graphique présente les œuvres majeures comme des bombes successibles, montrant ainsi les ruptures, les influences et les remises en cause d’une société patriarcale, racisée et genrée. Les chapitres suivent les réactions en chaine d’abord à New York puis à l’échelle internationale. On peut regretter cependant que certains artistes européens ne soient pas mentionnés : Daniel Buren, Pierre Soulages, Jean Dubuffet, Sophie Calle… Il y en a tant !

Si le néophyte peut s’y perdre, le lecteur appréciera les codes graphiques et la subtilité des dialogues. Agréable à parcourir, cet album ne résout pas la question primordiale, Qu’est-ce que l’art ?, mais il esquisse des éléments de réponse dans les propos des artistes. Il invite à ouvrir notre regard, donc notre esprit, et à sortir des sentiers balisés de l’expression artistique.