Parue aux éditions Glénat, Les damnés de l’or brun est une bande dessinée en trois tomes signée par le duo Alcante/Rodhain au scénario et Francis Vallès au dessin. À mi-chemin entre fresque historique et drame familial, cette œuvre ambitieuse plonge le lecteur dans les coulisses souvent méconnues de l’industrie du chocolat au XIXe siècle. Le dernier volume de cette trilogie nous entraîne dans le Paris de l’Exposition universelle de 1878, un cadre fascinant où s’entremêlent enjeux économiques, héritages coloniaux et quête de justice. Entre mémoire personnelle et destin collectif, cette conclusion tente de faire la synthèse d’un monde en mutation.

Le synopsis

Paris, 1878. De retour d’un voyage d’affaires à Ceylan où il a découvert une nouvelle fève de cacao, Philippe Da Costa retrouve son patron, monsieur Menier, à la gare du Champ de Mars. Alors qu’il arrive, Philippe aperçoit une calèche dans laquelle se trouve une jeune femme dont la silhouette l’ébranle profondément.

Ensemble, Philippe et Menier se rendent au Trocadéro pour discuter affaires. Menier interroge Philippe sur la fève idéale, espérant qu’elle permettra à leur entreprise chocolatière de se démarquer des concurrents. Malgré l’abolition de l’esclavage, le travail reste dur et les ouvriers sont exploités, un constat qui tourmente Philippe. Menier confie à Philippe un défi : obtenir une médaille d’or au concours international de pâtisserie de l’exposition universelle, grâce à une recette innovante à base de cacao Menier.

Tandis que Philippe sent la pression monter, il aperçoit de nouveau la mystérieuse jeune femme, celle qu’il avait vue dans la calèche … Elle ressemble trait pour trait à Sofia, une idéaliste qu’il a aimée et qui est morte devant lui vingt-huit ans plus tôt. Il lui avait juré qu’un jour, les plantations de cacao seraient libérées de toute forme d’esclavage, mais il sait qu’il n’a rien accompli. Rongé par la culpabilité, Philippe consulte le professeur Charcot, qui l’encourage à partir sur les traces de cette femme, double troublant de Sofia !

De l’or brun au palais du Trocadéro : un regard lucide sur un monde en mutation

Après deux premiers tomes en demi-teinte qui peinaient à être à la hauteur des attentes suscitées par le prestigieux tandem Alcante/Rodhain au scénario et Francis Vallès au dessin, ce troisième et dernier volume parvient enfin à convaincre pleinement.

L’intrigue, toujours centrée sur la famille Da Costa Bourbon et leur plantation de cacao au Brésil, nous transporte cette fois à l’Exposition universelle de Paris de 1878. Le contexte est passionnant : essor industriel, progrès scientifiques, mais aussi zones d’ombre comme le travail forcé post-esclavagiste. Ce cadre riche offre une toile de fond fascinante, peuplée de figures emblématiques de l’industrie chocolatière comme Fry, Lindt ou Tobler, mais aussi de scientifiques de renom tels que Jean-Martin Charcot. Le scénario, à la manière des Maîtres de l’orge, combine saga familiale, profondeur historique, reconstitution minutieuse d’une époque charnière et réflexions sociétales, notamment sur la responsabilité du consommateur.

Le dessin classique et réaliste de Francis Vallès, toujours aussi soigné, restitue avec justesse l’ambiance de la fin du XIXe siècle, enrichi de nombreux clins d’œil historiques liés à l’Exposition universelle de 1878 : exposition de la tête de la Statue de la Liberté, le palais du Trocadéro, le gigantesque foudre de la maison Mercier, les vols en ballons …).

Un cahier final très instructif prolonge le plaisir en retraçant le destin des descendants de la dynastie, de São Tomé aux États-Unis. Dommage que la saga s’achève ici : ce riche matériau aurait sans doute pu nourrir plusieurs tomes supplémentaires !

Ce troisième tome signe une belle réussite, qui relève le niveau de l’ensemble et conclut la série avec panache. Une lecture à la fois instructive, divertissante et visuellement réussie.