Il y a quelques années, le journaliste s’était livré à un tour de l’hexagone, à la rencontre de la France des petites villes qui se caractérisait par une certaine « fatigue de la modernité ». C’est d’ailleurs à l’occasion de cette enquête qu’ Eric Dupin avait découvert qu’il existait aussi de multiples initiatives positives. Il est donc reparti sillonner les routes de France à la rencontre de ceux qui innovent. On aurait aimé une petite carte de France pour visualiser toutes ces initiatives.
A la découverte de la France qui innove
L’ouvrage est organisé en trois parties : il évoque d’abord les personnes, puis les domaines où cela change et enfin il propose une réflexion plus globale sur les nouveaux modèles. L’auteur confesse qu’il n’est pas vraiment un militant de la cause, mais il collecte les expériences sans cynisme aucun. Le paradoxe du livre c’est qu’il offre de très nombreux exemples, mais il faut garder en tête que toutes ces initiatives restent encore limitées si on les compare aux pratiques dominantes existantes. L’exemple de l’agriculture biologique est un bon révélateur, car on en parle beaucoup et pourtant elle ne représente que 3,8 % du total en 2013. C’est un monde divers que nous donne à voir Eric Dupin et les itinéraires des personnes rencontrées le montre. Il s’agit parfois de leur part de choix assumés, mais parfois ils ont changé de vie de façon contrainte. Il précise que son tour de France est forcément incomplet et d’ailleurs, en tant que Bisontin, j’ai été d’ailleurs un peu surpris de ne rien lire sur l’initiative des Jardins de Cocagne. Cependant, cette incomplétude peut être lue aussi comme la force d’un mouvement varié et en marche.
La galaxie des expérimentateurs
Un des grands intérêts du livre est d’offrir une multitude de portraits et d’aventures. Un premier chapitre évoque des expériences comme celle des charpentiers indépendantistes en Dordogne. Un deuxième chapitre parle des lieux comme les écovillages. Il développe le cas du village coopératif du Viel Audon en Ardèche. L’écocentre du Périgord est quant à lui le fruit d’une association de développement local qui a reçu l’appui financier des conseils départemental et régional. Eric Dupin aligne les exemples mais il n’en garde pas moins la tête froide et se demande si ne se recréent pas, dans ce genre d’ endroits, des bulles élitistes. Dans un troisième chapitre, il nous fait rencontrer ceux qu’il nomme les « écomilitants ». Du côté de l’énergie, on apprendra peut-être qu’il y a actuellement en France 300 000 installations photovoltaiques, dont 90 % possédées par des particuliers. Parmi la multitude de portraits, on peut s’arrêter sur l’itinéraire de Benoit Kubiak. Après un master d’aménagement durable, il a travaillé à la mise en place d’un agenda 21 dans une collectivité locale. Il voyage ensuite à travers le monde pendant deux ans, retourne travailler dans une collectivité locale, puis finit par se présenter aux élections et recueille moins de 10 % des voix. Il s’investit aujourd’hui dans une association. Un quatrième chapitre intitulé « les alterentrepreneurs » démontre que cette nouvelle façon de faire de l’économie peut être rentable et viable. A cet égard, on peut citer les cas de l’Herbier du Diois, entreprise de trente-trois salariés avec un chiffre d’affaires de plus de 4 millions d’euros. Eric Dupin reconnait tout ce travail, mais il ne cache pas que ces innovateurs ont besoin d’être accompagnés et soutenus financièrement.
Le bouquet des innovations : d’autres agricultures, d’autres façons d’habiter
Dans cette deuxième partie, Eric Dupin choisit d’aborder la question par des thèmes comme l’agriculture, l’habitat ou encore l’école. L’agriculture change comme on l’évoquait dès l’introduction, mais à un rythme que beaucoup considèrent comme trop lent. « 30 % des exploitants qui s’installent actuellement ne sont pas issus du milieu agricole » ce qui témoigne d’un changement. Eric Dupin remarque d’ailleurs « la séduction nouvelle qu’exerce le travail manuel sur une fraction de la jeunesse éduquée ». Plusieurs pages évoquent les nouvelles formes d’agriculture et par exemple la vente directe, ou des phénomènes plus précis comme la biodynamie. Eric Dupin parle plus loin des AMAP et de la consommation responsable et collaborative. Un chapitre est consacré aux « cohabitations choisies » et à travers les expériences relatées, se dessinent à la fois les réussites, les échecs et les doutes.
Eduquer autrement : un exemple encore très limité
Parmi les domaines où certains imaginent faire autrement, il y a évidemment l’éducation. Mais, comme pour le reste, il faut prendre le temps de citer les chiffres, car en ajoutant les enfants qui dépendent des pédagogies Montessori, Steiner et Freinet, cela ne représente que 20 000 élèves. En plus, il ne faut pas oublier que ces écoles sont souvent d’un coût élevé. Qui peut vraiment payer une telle éducation pour ses enfants ?
Qui fera changer le monde ?
Le chapitre neuf s’intitule « les espoirs de la social-économie ». De 2000 à 2012 « l’emploi a progressé de 23,8 % dans ce secteur contre 7,3 % dans l’ensemble de l’économie ». Encore une fois, Eric Dupin n’oublie pas de pointer les limites et les freins qui existent encore. La fin récente du magazine « Terra Eco » montre qu’il y a encore une marge entre une déclaration de bonnes intentions idéologiques et les actions de la part de nombreux citoyens. Eric Dupin conclut cette partie par quelques phrases de bon sens qui gagnent à être rappelées : « le futur changement social aura plus besoin d’acteurs psychiquement équilibrés que de ces militants agressifs déclinés des modèles militaires et religieux. On ne change pas efficacement la société si l’on ne change pas simultanément soi-même ».
L’utopie concrète
La troisième partie est consacrée au sens de « l’utopie concrète dessinée par ces initiatives ». En une cinquantaine de pages, Eric Dupin rassemble toutes ces initiatives et s’interroge sur le modèle de société. Il dresse à l’occasion le portrait de Pierre Rahbi, mais là encore il dit : « le propos de cet homme attachant est révélateur de la force, mais peut-être aussi des limites de cette mouvance ». Il ne cache pas que malgré l’admiration que lui inspire le personnage, il ne se satisfait pas de ce qu’il nomme la « morale de l’intention ». Après cette rencontre, il s’interroge sur le phénomène de la décroissance. Il en arrive à l’idée qu’ « une vraie postmodernité ferait du vivre ensemble autre chose qu’un hypocrite slogan ».
En conclusion, le journaliste souligne que « la grande majorité des défricheurs …doivent surmonter grâce à leur propre énergie, de sérieuses difficultés. Ils ne connaissent pas la quiétude de la sécurité et de l’aisance matérielles. ». Il souligne aussi la nécessité de déborder le cadre français. Le mot qui revient souvent sous la plume d’Eric Dupin est celui de transition que chacun comprendra différemment selon sa sensibilité. Bref, doit-on se féliciter du chemin déjà parcouru ou s’effrayer de celui qui reste à faire ?
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© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.