Cet ouvrage issu d’une journée d’études organisée en janvier 2016 à Paris par l’axe Mobilités, identités et territoires du CIST Collège international des Sciences du Territoire est un véritable paquet surprise ! Y sont rassemblées les contributions très originales de sept intervenants autour de la thématique des lieux de la mobilité. Une belle occasion de découvertes avec des sujets de thèse de doctorat ou de recherches très singuliers étudiés sous l’angle des mobilités. Si l’étude de la mise en tourisme et en patrimoine de la nationale 7 ou des routes touristiques du Vercors sont plus attendues, il n’en est pas de même des mises au point sur une procession en Corse en tant que rite local de mobilité ou bien encore ce qui se joue par le biais du volontariat missionnaire de jeunes catholiques en Asie du Sud-Est organisé par les Missions Étrangères de Paris. De même, la présentation de lieux alternatifs (Beneficio en Espagne où se retrouvent des participants autour d’une utopie de retour à la nature dans un but de purification de soi, ou bien encore l’analyse des squats de saisonniers sahraouis dans le Libournais) fait découvrir des pratiques porteuses de sens en termes de mobilités. L’analyse des temples hindous construits par la diaspora indienne permet de prendre conscience qu’ils s’inscrivent au cœur des réseaux de la mondialisation et sont des lieux de mobilité à part entière. En revanche, un quartier de Thames Town (à Shanghai dans la ville nouvelle de Songjiang) montre les limites d’un projet architectural proposant à ces habitants de vivre comme en Angleterre. Ce que cherchent les habitants en venant s’installer ici, c’est avant tout de confirmer leur statut social par leur adresse en rejoignant une gated community de prestige et aucun ne se laisse berner par le fake architectural reproduisant le paysage urbain anglais type.

L’ensemble est replacé dans une perspective épistémologique par Céline Barrère et Caroline Rozenholc, une sociologue et une géographe travaillant sur les mobilités dans le contexte de la mondialisation. L’ouvrage vise à « interroger ensemble ceux qui se déplacent (les individus, les sujets et les groupes) et ce qui se déplace (les catégories, les normes, les valeurs, les imaginaires, les systèmes de représentations) dans les lieux » (p. 15). La dimension temporelle des lieux de mobilité n’est pas négligeable et les directrices de l’ouvrage réfutent le terme de « non-lieux » (Augé, 1992, même si cet auteur a depuis, en 2010, reconnu les limites de cette appellation) pour les désigner. Elles partagent l’appellation d’hyper-lieux proposée par Michel Lussault en 2017 « l’invention perpétuelle et réciproque du lieu par le monde et du monde par les lieux ».

Pour Christophe Imbert, géographe qui signe la conclusion de cet ouvrage, le lieu est un spectacle vivant et une scène des mobilités. « Ce qui s’y joue est à la fois un rapport complexe au passé et à l’ailleurs, aux histoires individuelles et collectives, un enchevêtrement de traces et d’influences toujours sans cesse sujettes à réinterprétations. » (p. 165). Il rend hommage à Matthieu Giroud, géographe disparu lors des attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan, à l’initiative de cette journée d’études, en renvoyant à la capacité de subversion d’un lieu, de sa tolérance à l’écart et à l’importance du détournement. Autant d’appels à l’exploration, à la manière des Situationnistes, comme l’invite à le faire l’actuelle belle exposition « Lyon sur le divan » au Musée Gadagne de Lyon.

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes