A l’heure de la 6ème extinction de masse, quelles relations entretient l’homme avec les animaux après tant d’année de vie commune ? C’est à cette vaste question que Jean Estebanez, maître de conférences à l’université Paris Est Créteil, tente de répondre dans le cadre de ce n°8149 de la Documentation Photographique.

L’introduction, « le point sur », dresse l’état de l’art sur les méthodes mobilisées en géographie mais également en histoire pour suivre les animaux. Un détour est aussi fait par l’anthropologie et les 4 ontologies proposées par Philippe Descola (animisme, totémisme, naturalisme et analogisme) : notre approche européenne, celle du naturalisme, a permis l’exploitation et la marchandisation du vivant et explique la domination de la domestication dans le panel des relations possibles. Les grands défis de demain sont posés avec une augmentation à attendre de zoonoses causées par le dégel du permafrost et la migration d’espèces cherchant des climats plus doux, la place à accorder aux animaux dans nos espaces humanisés (l’inclusion dans les parcs, les zoos qui contraste avec la mise à l’écart des abattoirs par exemple), le droit à conférer à ce qui pour l’instant n’est qu’une « chose » en donnant un statut juridique aux animaux à qui on reconnait la capacité à souffrir comme nous.

Les animaux à l’âge de l’Anthropocène

Le sous-titre évoque des « paysages en ruines » pour une partie qui fait état de la chute de la biodiversité. A travers l’exemple du Perche, on prend conscience de l’intérêt de haies qu’on ne cesse de détruire. La répartition du vivant sur Terre montre que la grande variété des espèces est surtout tropicale (un réservoir de zoonoses) et grâce au diagramme de Voronoi qui estime la biomasse, on constate que l’homme reste minoritaire face aux animaux et aux plantes. Ce vivant, du fait du réchauffement climatique, sera amené à migrer vers des cieux plus cléments. Et quand ils ne sont pas tués, les animaux subissent la pression humaine avec diverses agressions sonores et lumineuses.

Habiter la Terre avec les animaux

La seconde partie s’ouvre avec la territorialité animale, le jeu de frontières qui en découle pour que chacun puisse paisiblement survire, se reproduire, manger, se ménager des moments de calme…Est ensuite évoqué le pistage selon le substrat, l’aspect volontaire ou non à laisser des traces, la durabilité de la trace avec la série d’hypothèses qui peut en découler : d’où vient l’animal ? Où va-t-il ? La quête de ces traces n’échappe d’ailleurs pas à la mise en tourisme. On trouve un développement sur le « point de vue animal », une transposition physique et psychologique : la relation chasseur/chassé, la danse et l’imitation de mouvements animaliers. La domestication est évoquée comme un échange de bons procédés qui a permis, sur l’histoire longue de sédentariser l’agriculture et d’aboutir, de nos jours, à des tâches très fines (chiens d’aveugle, chevaux policiers, éléphants participant au débardage…). Une double page concerne la place de l’animal en ville : chaleur, refuge, nourriture jetée…sont autant de justifications à cette attirance mais qui demeure instable notamment en raison des polluants qui peuvent finalement faire fuir. Cette partie s’achève sur le point de vue aménagiste : l’animal qualifie-t-il (les vaches sacrées en Inde) ou non (les chiens errants) les lieux ?

On consomme et on protège les animaux

On  traite de la marchandisation à l’échelle mondiale soit au travers de l’achat d’une partie d’un animal (cas emblématique de la corne de rhinocéros et de ses prétendues vertus curatives et aphrodisiaques) soit au travers du « tourisme de vision ». Un autre marché est celui des animaux de compagnie : chiens et chats bien sûr mais aussi animaux de rente (lapins, porcs nains…), de commensal (rat, souris…) et sauvages (serpents, mygales…), le tout complété par le marché de soins et de médicalisation qui l’accompagne. Vient ensuite la question du zoo, chère à l’auteur, présentée comme une mise en scène du sauvage accompagnée d’une question éthique : sacrifier la liberté d’un groupe pour préserver l’espèce en pratiquant la réintroduction par la suite. La chasse est traitée également : on la distingue de la mise à mort que l’on aurait dans un abattoir ou chez un vétérinaire parce qu’il y a lutte et résistance. La typologie montre une chasse vivrière, une chasse à cour et une chasse commerciale. L’élevage est présenté comme un système de don/contre-don : l’animal est soigné avec une fin de vie programmée mais échappe à une existence risquée face à la prédation. La zootechnie déshumanise l’élevage en réduisant certes le coût de la viande mais en augmentant la pollution et la violence (va-t-on vers de la « viande in vitro » ?). Enfin, l’abattage est abordé avec d’un côté une invisibilisation au fur et à mesure de son industrialisation mais d’un autre une mise en scène, familiale et rituelle comme dans le cadre de l’Aïd.

Questions morales

La protection est tout d’abord présentée : des aires privées, en Afrique Australe, morcellent le territoire animal et le recompose en fonction d’une certaine rentabilité touristique des espèces. La façon de classifier les animaux interpelle également avec un homme pas forcément en tête des arbres de vie. Les mouvements en faveur ou non des animaux sont traités avec les questions de maltraitance des animaux domestiques, la vivisection, la corrida…et aujourd’hui le bien être animal, le véganisme…Eleveurs et zoos font valoir leur point de vue sur la protection et la sauvegarde face à la disparition et les chasseurs eux, la régulation. La morale de la mise à mort est abordée aussi (corrida, animaux de laboratoire, rituels de l’intronisation de nouveaux chasseurs). Un thème traite de la relation à la souffrance et à la mort chez les vétérinaires (la comparaison est faite entre la France qui préfère la mort douce, l’euthanasie à la souffrance prolongée et l’Inde qui révèle une plus grande tolérance à la souffrance mais ne souhaite pas provoquer la mort). Enfin est posée la question de la zoophilie : au-delà des légendes mystiques (cas du Minotaure engendrée par l’union d’une femme et d’un taureau), les pratiques réelles existent, difficilement quantifiables, et sont réprimées par la morale et par la loi.

Un numéro vivifiant sur une question d’avenir aux multiples implications spatiales qui ne manquera pas de renouveler quelques approches en géographie et dont les publics scolaires devraient s’avérer friands. Si réimpression il y a, juste une toute petite coquille, p 11, sur le mot « discerne » à qui il manque le « s ».