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Arte : mercredis 22 et 29 juin 2005
L’EMISSION
Spins doctors, c’est le nom anglais des conseillers en communication politique, spécialistes de relations publiques et de « marketing politique » qui, depuis les années 1930 se sont taillé une place croissante dans les stratégies d’accession au pouvoir des hommes politiques, jusqu’à en devenir indispensables.
Sous une forme très classique , ce diptyque des Mercredis de l’Histoire évoque le rôle central de ces personnages dans le monde politique occidental. Le premier volet évoque la « préhistoire » des spin doctors aux États-Unis avec le pionnier des public relations Edward Barbnays, mais surtout l’incontournable Joe Napolitan qui fut conseiller de Kennedy, de Johnson et de Giscard d’Estaing. On y voit l’élaboration des premiers sondages d’opinion et leur utilisation par John Gorman et Pat Cadell en faveur de Jimmy Carter.
Le second volet s’éloigne des États-Unis (avant d’y revenir) pour monter les extensions et les adaptations du conseil politique en Europe et en Russie. Elle montre la maturité de cette profession et se conclut sur un constat simple : plus personne ne peut se passer de conseillers en communication politique.
Le documentaire est très agréable à regarder : évocation de faits plutôt méconnus, qualité des intervenants souvent jubilatoires sur leur propre rôle et diversité des images d’archives (publicité anti-Goldwater en 1964, danse endiablée de Boris Eltsine en 1996 ou encore Jean-Pierre Raffarin en jeune spin doctor français). Cependant il est long et, même s’il est passionnant, on conseillera aux élèves de focaliser leur attention sur trois thèmes : la politique face aux mass media de plus en plus variés et perfectionnés, la duplicité des démocraties occidentales et les relations politique/propagande.
PISTES A SUIVRE
[Histoire, Tles ; ECJS, 1re, éducation aux médias, lycée]
LA REVOLUTION DEMOCRATIQUE DES MASS MEDIA
Il s’agit ici de faire découvrir aux élèves que le triomphe des spin doctors est loin d’être un complot ourdi à l’avance par les hommes de l’ombre. Cette émergence de la communication politique est une adaptation à la révolution technique et démocratique des mass media depuis les années trente.
• Décrire les débuts « artisanaux » du conseil politique, ainsi que l’apparition des sondages. Dans ce dernier cas, la différence frappante entre le monde actuel, où les sondages sont paroles divines, et les années soixante, où ils étaient considérés avec condescendance, devra être mise en avant.
L’objectif sera de faire prendre conscience que les mass media ont permis aux hommes politiques de toucher les électeurs de façon plus « physique » et que la communication politique était le corollaire indispensable à cette évolution.
• Les dernières séquences de la seconde partie seront utilisés pour montrer que l’utilisation des NTIC et l’exigence de rapidité consécutive à la mondialisation ont rendu les machines de marketing politique imparables, où les sujets et les questions sont élaborés à l’avance pour être livrés aux journalistes . Qu’en est-il alors de la démocratie, si tout est contrôlé ?
LES DEMOCRATIES OCCIDENTALES SONT-ELLES MALHONNETES ?
Aux yeux d’un jeune public, le documentaire a toutes les chances de renforcer l’image négative du pouvoir politique. Car, pour une évocation du rôle restrictif de Michel Rocard en matière de financements de campagne, que d’horreurs civiques pour les enseignants que nous sommes : des dirigeants qui ne défendent pas leurs idées mais cherchent à récupérer celles des autres, des coups bas qui rendent ridicules les honnêtes hommes (cf. le cas de Michael Dukakis face à George H. Bush), des programmes vides accompagnées d’images et de slogans émotionnels qui permettent à Boris Eltsine d’être élu à 54 % en 1996 alors qu’il n’était crédité que de 4 % avant la campagne… Les élèves établiront eux-mêmes la liste.
Il y a là matière à débat en éducation civique . Ce sera alors aux intervenants « pro-spin » de faire remarquer que le fameux concept de pub négative a permis parfois d’écarter des candidats dangereux (Barry Goldwater, partisan de l’utilisation de la bombe atomique au Vietnam), où encore de montrer que saisir les aspirations des citoyens à travers les sondages, les études d’opinion et ainsi anticiper les critiques, est une forme indirecte de débat démocratique : le vote du citoyen reste un élément central, et chacun n’agit que pour s’en attirer les faveurs, peu importe les moyens. On posera alors la question suivante : pourquoi les conseillers politiques ont-il si peu de pouvoir en Chine, en Iran, à Cuba ou dans les pays d’Afrique occidentale ? Le spin doctor n’est pas forcément un élément démocratique, mais il est un signe de démocratie.
POLITIQUE ET PROPAGANDE
On échappera difficilement à la comparaison entre les propagandes « douces » des régimes démocratiques et parlementaires et celles plus « dures » des régimes autoritaires. Il ne s’agit pas de dédouaner aux yeux es élèves des pratiques déontologiques douteuses, mais de les mettre en perspective dans un débat plus large. Tout exercice de pouvoir est fondé sur une propagande, des spots télévisés officiels aux programmes scolaires enseignés dans les collèges et lycées : que l’élève s’aperçoive que l’enseignant est un agent de propagande « douce » est aussi salutaire que son indignation face aux pratiques lourdes de la communication politique.
La propagande (ou communication politique) est donc assimilable à un outil de gouvernement et, dans un système démocratique , elle est (en théorie) utilisée par tous les camps et n’empêche pas les alternances. À l’élève de savoir (le peut-il seul ?) discerner à quel moment cet usage peut faire basculer un système démocratique dans un simulacre de démocratie aux conséquences dramatiques.
POUR ALLER PLUS LOIN
CHARON Jean-Marie, « Les spin doctors au centre du pouvoir », in DA LAGE Olivier (sous la dir. de), « La Communication, enjeu stratégique », La Revue Internationale et Stratégique, n°56, IRIS, automne 2004.
MERCIER Antoine, « Télévision et politique », Problèmes politiques et sociaux, n°900, La Documentation française, mai 2004.
ALBOUY Serge, Marketing et communication politique, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2002.
Des hommes d’influence (Wag the dog), un film de Barry Levinson, 1998. Une satire des spin doctors aux États-Unis avec un président « clintonien » à sauver d’un scandale.
L’Affaire David Kelly, est diffusé cette semaine sur Arte. Nouvelle fiction documentée de l’Anglais Peter Kosminsky (Warriors, Les Années Tony Blair), ce film relate les quelques mois pendant lesquels un expert en armement bactériologique, accusé d’avoir révélé des informations mettant en cause le gouvernement de Blair sur le dossier irakien, est devenu le bouc émissaire de Downing Street… et de ses spin doctors.
Arte : vendredi 24 juin, 20 h 40
Rediffusion : dans la nuit du dimanche 10 au lundi 11 juillet, 0 h 55
Mathieu Souyris, professeur d’histoire et de géographie, Télédoc CNDP