Diane Huot, Josiane Hamers, France H. Lemonnier, Susan Parks, Les technologies de l’information et de la communication (TIC) à l’école secondaire. Une étude longitudinale, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 2009, 256 p.

Cette étude a été menée pendant cinq ans, à partir de 1998, par quatre chercheuses (en langues, linguistique et traduction) de l’Université Laval, dans des classes du secondaire de la région de Québec. Le contexte de la recherche était la nécessité ressentie d’intégrer les TIC dans les écoles québécoises et le lancement d’expériences concrètes (projet PROTIC en 1995) qu’il fallait évaluer précisément. Il s’agissait aussi de préciser/vérifier un certain nombre d’hypothèses formulées par des recherches antérieures.

Les auteures se sont donc placées délibérément dans une démarche de recherche et pas dans l’injonction quasi miraculeuse à développer les TIC comme une sorte de Graal pédagogique : « Quoique l’avènement des TIC ait été perçu comme un moyen de révolutionner l’enseignement, des recherches plus récentes reconnaissent que l’entreprise est beaucoup plus complexe qu’on ne le croyait initialement et que celle-ci doit tenir compte de divers facteurs dont les ressources représentées par les outils TIC, les croyances pédagogiques et les compétences en TIC des enseignants ainsi que le contexte institutionnel… » (p. 18). Pour tenir compte de ces différentes interactions, elles ont inscrit leur étude dans le cadre de la théorie de l’activité et du modèle d’Engeström, qui s’avère particulièrement pertinent pour prendre en compte le rôle du contexte scolaire et les interactions entre les différentes composantes de l’activité dans l’introduction d’outils comme les TIC. En simplifiant, on pourrait dire que l’activité (dans notre cas l’apprentissage) est une structure individuelle reliant un sujet (le professeur, l’élève) à un objet (but à atteindre, tâche à accomplir, connaissance ou compétence à acquérir…) par la médiation d’outils matériels (par exemple des crayons et des papiers, un tableau, un manuel, des fiches, les TIC) et symboliques(la langue, les discours, les valeurs…). Mais cette activité est aussi sociale et historique, facilitée ou limitée par la médiation d’une communauté (la classe, l’équipe pédagogique, l’établissement scolaire, l’Éducation nationale…), dont les comportements et les actions sont guidés par des règles (au sens de règles, mais aussi de conventions, de représentations, d’attentes…) et sont liés à une division du travail (distribution des tâches, conception des rôles) au sein de la communauté. Bref il y a un système d’interactions réciproques, qui évolue constamment et est défini par Engeström comme un « appareil à dérangement et à innovation potentiels » (p. 17-18). On trouvera des présentations plus détaillées de ce modèle ici :

http://tecfa.unige.ch/guides/tie/pdf/files/innovation.pdf

et là :

http://activites.pedagogies.net/index.html

Trois thèmes ont donc été étudiés, dans le cadre de l’apprentissage du français et de l’anglais : la description du déroulement de l’intégration des TIC dans l’école secondaire ; le rôle des TIC sur la motivation et les attitudes envers l’apprentissage ; le lien entre l’utilisation des TIC et la qualité des produits d’écriture. Les élèves observés (groupes de 25 à 30 élèves) ont été exposés à l’un ou l’autre des quatre contextes ou conditions d’apprentissage suivants : une classe où l’on recourt à l’approche pédagogique par projet (APP) et où chaque élève est muni d’un ordinateur portable branché en réseau et a un accès Internet à la maison ; une classe sans APP où les élèves suivent un cours d’informatique au laboratoire d’informatique ; une classe où les élèves n’ont pas accès aux TIC et où ils suivent une APP ; une classe sans TIC ni APP.

Les conclusions générales de cette étude extrêmement détaillée et rigoureusement présentée sont les suivantes :

– un accès (matériel et pédagogique) facile aux TIC (classe à ordinateurs portables) est indispensable pour assurer le développement d’une compétence en cette matière. Un accès difficile aux TIC contribue au faible réinvestissement des connaissances en TIC (laboratoire d’informatique).

– Les élèves qui ont évolué dans un contexte d’apprentissage avec approche pédagogique par projet et où chaque élève et chaque enseignant était munis d’un ordinateur branché en réseau, ont expérimenté une intégration complète de l’ordinateur (apprentissage du français et de l’anglais), autrement dit une pédagogie « intégratrice » (plusieurs types d’apprentissage simultanés). Ils ont été stimulés par le contexte, les projets les TIC, la remise en question de certaines conceptions pédagogiques de la part des enseignants, la collaboration entre élèves, indépendamment des questions de niveau. Bref ils ont acquis progressivement le contenu de la matière, mais aussi des compétences transversales « qui contribueront sans doute à faire de ces élèves de meilleurs apprenants pour le reste de leur vie » (p. 173).

– Quantitativement (et les témoignages qualitatifs des élèves et des parents vont dans le même sens), la motivation (envers l’école, l’utilisation des TIC en général et pour l’apprentissage du français et de l’anglais) et les attitudes des élèves ayant connu l’apprentissage combinant APP et intégration complète des TIC sont restées plus positives, alors qu’elles avaient tendance à diminuer dans les autres groupes. Selon les hypothèses à vérifier, les auteures notent qu’elles ne peuvent pas toujours attribuer cet effet favorable aux TIC ou à l’APP. Elles notent aussi qu’aucun effet de cette motivation et ces attitudes plus positives n’a pu être observé dans les tests et examens : « Si, à long terme, le fait de faire vivre aux élèves une expérience qui, d’une part, semble renforcer leurs motivations envers les TIC et envers leur usage dans l’apprentissage des langues et, d’autre part, peut améliorer leurs attitudes, il reste à démontrer si ce genre de programmes peut amener les élèves à développer de meilleures compétences langagières. Il n’est pas impossible que le gain acquis par les élèves du programme TIC + APP ne se situe pas au niveau de mesures traditionnelles de compétence, tels les tests de closure et les examens du ministère mais davantage au niveau des aspects socio-psychologiques de l’apprentissage des langues.» (p. 133).

– L’utilisation des TIC, jumelée ou non à une APP, se traduit par un gain tangible dans la qualité d’écriture des élèves (même quand ils rédigent avec crayon et papier), mais pas aussi déterminant qu’on pourrait le croire. L’utilisation des TIC aide à développer certains aspects de l’aisance (plus de mots, de phrases, de propositions, des textes plus longs), de la complexité (plus de subordonnées), mais pas les performances sur les plans lexico-grammatical et textuel. L’APP améliore la précision. Le lien entre l’utilisation des TIC, avec APP ou non, et la qualité d’écriture semble plus déterminant en L2 (anglais) qu’en L1 (français, langue maternelle), du moins à court terme. À long terme (après quatre ans), l’utilisation des TIC ne reste déterminante que pour la longueur des textes.

À partir de ces grandes conclusions, les auteurs mettent en évidence certaines implications pédagogiques sur :

– les compétences transversales : il faut intégrer les TIC en tant que compétence transversale. « Si un cours d’informatique favorise l’appropriation des outils de base, le réinvestissement soutenu et structuré des connaissances en TIC dans les diverses matières et tout au long du secondaire permet un développement encore plus grand d’une compétence donnée. » (p. 175)

– le développement des compétences en TIC, qui devrait être réalisé en fonction des tâches pédagogiques à accomplir, bref par la pratique précise et progressive.

– l’accès aux TIC : « L’utilisation répandue et soutenue des TIC dans une école donnée repose sur un accès facile aux outils. Dans ce dessein, les classes devraient être munies d’ordinateurs avec un accès à Internet. Chaque élève et chaque enseignant devraient idéalement être munis d’un ordinateur portable et avoir accès à un canon de projection et à des imprimantes. » (p. 176) et au moins d’un local avec ordinateurs pour des recherches ponctuelles. Les auteures soulignent aussi qu’à l’heure du sans fil des téléphones portables, des smartboards, etc., « une réflexion s’impose sur la reconfiguration des locaux à l’école, sur le déploiement d’un environnement virtuel et sur le juste recours aux informations en réseau partagées collectivement. » (p. 176).

– l’aide ponctuelle à l’utilisation des TIC : il faut former les enseignants et les soutenir techniquement (une personne-ressource, technicien ou enseignant habitué aux TIC).

– la question de transparence pédagogique. Ici les auteures évoquent le partage de connaissances entre les différents participants : mutualisation, création de sites Web (mise enligne de travaux d’élèves et de ressources pour ces derniers) ou utilisation de plateformes et de forums, permettant une meilleure continuité école-maison, une meilleure relation avec les parents.

– la différenciation des tâches : les auteures rappellent que, dans un contexte d’intégration des TIC, on peut réaliser des projets utilisant ou pas les TIC, selon la préférence des élèves, leurs différences, leurs compétences, leurs besoins.

– la pédagogie de la multilitératie : il faut prendre en compte et développer, dans l’enseignement, la production de textes « multimodaux », c’est-à-dire produits dans un environnement multimédia (intégrant des images, des graphiques, des hyperliens, ou création de livres électroniques par exemple…) et pas seulement écrits sur papier.

– l’enseignement du processus d’écriture : il faut utiliser les TIC à toutes les étapes du processus d’écriture (remue-méninges, brouillons, versions différentes, partage) et pas seulement pour la mise en forme de la version finale.

– le cours d’anglais, langue seconde / cours de français, langue maternelle : on peut, grâce aux TIC, utiliser de nombreuses ressources nouvelles (audio, vidéo, forums, blogs, messageries instantanées, clavardages, jumelages, tandem avec un locuteur natif) et utiliser l’ordinateur dans le processus d’écriture et la variété de lectures.

Cet ouvrage, dans lequel les auteures appellent à l’élargissement des études (d’autres ont été menées depuis le début des années 2000), apporte un certain nombre de réponses partielles aux questions nombreuses que pose l’intégration des TIC à l’école. On appréciera la rigueur de l’enquête et des analyses, la volonté d’éviter de s’en tenir à des présupposés ou à des représentations, mais au contraire de confirmer ou infirmer certaines hypothèses de départ. Si les auteures mettent en avant l’apport de l’utilisation des outils TIC combinée à une approche pédagogique par projet, elles n’en excluent pas pour autant d’autres démarches. Plutôt qu’une pédagogie des TIC, elles se prononcent pour une pédagogie de projet par les TIC, réintégrées comme compétence transversale dans les différentes matières, d’autant que les apports qu’elles ont pu mesurer ne sont pas toujours exactement les mêmes. Elles soulignent aussi l’importance des questions matérielles et du contexte d’intégration des TIC, qui suppose des actions en dehors de la classe sur ce contexte. Enfin elles soulignent l’importance du partage et de la mutualisation. On y sera sans nul doute particulièrement sensible en tant que Clionaute, et l’on espère des études de cet intérêt en Histoire-Géographie.

©Laurent Gayme