Pecau – Cordey – O’Grady
Les trente deniers Tome 1. Savoir

Plus nous développons la rubrique bandes dessinées de la Cliothèque et plus nous nous rendons compte que de nombreux scénaristes des albums présentés ont été ou auraient pu être des collègues, professeurs d’histoire. C’est le cas de Jean-Pierre Pécau qui n’a finalement pas souhaité enseigner l’histoire mais qui raconte, c’est le cas de cet album, de bonnes histoires.
Les 30 deniers, en référence à la somme versée à Judas pour sa trahison, plongent le lecteur dans l’univers des forces spéciales et des services de renseignements de la république. Le talent d’argent, pour reprendre l’unité monétaire de la Grèce est doté de pouvoirs miraculeux et l’on peut même affirmer sans risque de déflorer histoire qu’il a permis à François Mitterrand de combattre la maladie qui devait finalement l’emporter en 1996, pendant ses deux septennats entre 1981 et 1995.
Dans cette histoire de fiction la mise en situation historique se révèle particulièrement pertinente. Le lecteur se retrouve projeté pendant la guerre civile libanaise dans la communauté des druzes, ce mouvement de l’islam issu du chiisme mais dans le fonctionnement s’apparente, par le biais de rites initiatiques, celui d’une société secrète. Les druzes sont présents au Liban, mais également en Syrie, et forment une communauté en Israël. Marginaux sans doute dans l’islam, considérés comme hérétique par les sunnites radicaux et notamment les wahhabites, les druzes ont joué un rôle important dans les rapports de force du Proche-Orient au XIIe et XIIIe siècle.
http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/secte_ou_religion_les_druzes_du_proche-orient.asp
La religion des Druzes, qui s’éloigne assez sensiblement de l’islam, au point que certains refusent de les considérer comme musulmans, et qui est leur raison d’être, le ciment de leur communauté, est issue du chiisme ismaélien, dit aussi septimanien – sabiya. Celui-ci se réfère au quatrième calife, Ali, à sa femme, Fatima, fille de Mahomet, et à leurs descendants directs, les sept imams, « guides », dont le dernier a été occulté. Il ne reconnaît d’autre autorité qu’eux et professe que le Coran a deux sens, l’un exotérique, l’autre ésotérique et réservé aux initiés.
Dans cet album, le premier de la série, numéro enseigne à , l’école de guerre et conseille à ses étudiants, les futurs officiers des forces spéciales de lire attentivement « les sept piliers de la sagesse » de Lawrence d’Arabie. Comme pour Marcel Proust ou le capital de Marx, beaucoup l’ont lu, d’autres, plus nombreux encore, songent à le lire, mais beaucoup moins sont effectivement en train de le lire. C’est pourtant un ouvrage qui permet de comprendre près d’un siècle après sa rédaction, il a été rédigé en 1919, bien des aspects du proche et du Moyen-Orient qui restent encore d’actualité.
Évidemment, pour les besoins d’une fiction, le scénariste prend des libertés avec la réalité. Mais ce qui caractérise un scénariste qui est aussi un historien, c’est le souci de distiller dans la fiction des informations qui amènent le lecteur à s’interroger et bien entendu à construire sa propre histoire.
Ce scénario qui devrait permettre d’alimenter les deux tomes suivants à paraître et servi par un dessin de Igor Kordey particulièrement nerveux, dynamique qui associe le sens du détail et des scènes d’action. On apprécie tout particulièrement également des scènes de dialogue entre deux des individus qui se rencontrent dans un parc à l’automne, sur l’île Saint-Louis. Les planches rappellent les meilleurs films d’espionnage notamment pour le choix de la contre-plongée qui renforce les tourments intérieurs des personnages.

On peut attendre donc avec impatience la suite de cette série qui devrait sans doute paraître très prochainement. Le sous-titre de 30 deniers, après « savoir », sera «oser». Nous oserons présenter cet album et les suivants sans aucune réserve.

Bruno Modica