Un petit livre d’histoire à déguster avec délices.

Laurent Stéfanini qui dirige cet ouvrage (une réédition à un prix très abordable) est un diplomate qui fut chef du protocole entre 2010 et 2016. L’idée est surprenante et amusante mais des plus stimulantes : présenter une rencontre diplomatique jugée importante ainsi que le (ou les) repas qui ont l’accompagnée. Sont ainsi évoquées les relations internationales de la France sur près de cinq siècles mais aussi, un peu rapidement peut-être, l’histoire de la grande cuisine française.

L’auteur a su s’entourer dans cet ouvrage de nombreux historiens, dont certains renommés (Jacques-Olivier Boudon, Maurice Vaïsse, Hélène Carrère d’Encausse, André Kaspi…), que les enseignants ont souvent lu et de cuisiniers de haut-vol (Michel Guérard, Thierry Marx, Pierre Troisgros…), dont la cuisine est, hélas, moins connue des professeurs de collèges et de lycées. La liste des auteurs témoigne, s’il en était besoin, d’une réelle difficulté des femmes à s’imposer professionnellement. De ce point de vue, historiens et cuisiniers sont à égalité : la « moitié du ciel » y est réduite au 4/22°. Les contributions nombreuses sont de qualité diverse mais l’ensemble est fort plaisant et certaines contributions sont impressionnantes par leur rigueur et leur intérêt.

Du camp du drap d’or (1520) à la COP 21 (2015), le lecteur  rencontre nombre de dirigeants français : François Ier, Henri IV ou Louis XIV mais aussi Talleyrand, Charles de Gaulle, François Mitterrand… Nostalgie ou intérêt politique ? C’est de Gaulle qui gagne nettement le match franco-français avec six contributions centrées sur les rencontres diplomatiques qu’il effectue avec Churchill (en 1944), Khrouchtchev, les Kennedy, le Shah d’Iran, Conrad Adenauer (pour préparer le traité de l’Élysée) ou avec… les Québecois. En effet, puisque de diplomatie il s’agit, la paix des Pyrénées, le congrès de Vienne, l’inauguration du canal de Suez ou les négociations du traité de Versailles ainsi que leurs acteurs sont présentés. Nous suivons l’arrivée de Woodrow Wilson, en décembre 1918, dont le premier repas en terre française témoigne, nous dit l’auteur, d’un « sens politique » certain (p. 180). Les filets de soles pochés à la sauce Mornay sont servis à la façon d’un chef français (Pierre Cubat) qui avait dû fermer son établissement à Saint-Pétersbourg pour cause de révolution russe. Manière de signifier au président des États-Unis, la méfiance de la France envers la Russie révolutionnaire ? Une des contributions nous rappelle que «  l’heure des toasts » (p. 158) est un moment très politique. En août 1897, sur un navire français, Félix Faure et le tsar Nicolas II lèvent leurs verres aux liens qui unissent « deux nations amies et allées » (p. 158). Les repas des jours précédents avaient d’ailleurs ménagé les susceptibilités des uns et des autres. Ainsi le 13 août, après un « ˝potage tortue˝ à la française », un « esturgeon du Volga à la moscovite » est servi «  tandis qu’au dessert, un ˝ananas à la Victoria˝ laisse entendre que le rapprochement qui se dessine ne comporte rien d’hostile à la Grande-Bretagne » (p. 156).

Des moments des relations internationales sont particulièrement bien campés. En quelques pages, Hélène Carrère d’Encausse brosse un portrait bien troussé de Nikita Khrouchtchev et de ses ambiguïtés et donne une présentation fort claire des débuts de la détente et de ses contradictions (p. 212-220). La contribution sur l’accueil par de Gaulle du Shah d’Iran (octobre 1961) nous permet de repérer des constantes des politiques iranienne et française. Ainsi, c’est à sa demande, que le Shah visite les installations du Commissariat à l’énergie atomique de Saclay. L’auteur de cette contribution, Louis Amigues, rappelle qu’en 1975, des accords sont signés entre les deux pays dans le domaine nucléaire qui en font « des associés dans le secteur de l’enrichissement de l’uranium- en contrepartie d’un prêt par l’Iran au CEA »… Accords qui « prévoient la livraison par une firme française de plusieurs centrales électronucléaires » à l’Iran. (p. 242 et suivantes).

L’organisation de l’ouvrage, en trois parties, est faite pour satisfaire les historiens. « À la santé des puissances ! » s’étend de 1520 au repas de mariage entre Napoléon Ier et Marie-Louise d’Autriche (avril 1810). Repas qui ne nous réconciliera pas avec l’Empire. Probablement servi « à la française » (« les différents plats sont disposés sur la table devant les convives qui se fonts servir les mets de leur choix »), il est expédié en moins de 20 minutes (p. 82-83). La deuxième partie « L’âge d’or de la diplomatie à table » va du congrès de Vienne (1814-1815) au traité de Versailles. S’y déploie la rouerie de Talleyrand qui s’installe à Vienne avec trois cuisiniers principaux, y tient une table réputée et organise même un concours des meilleurs fromages du monde (p. 103). Si l’inauguration du canal de Suez voit se déployer une cuisine internationale de haut vol, le menu le plus exotique a lieu dans des circonstances terribles, en décembre 1870. Certains Parisiens ont alors pu apprécier le « consommé d’éléphant » mais plus nombreux furent ceux qui durent se contenter de « chats flanqués de rats ». De 1919 à 2015, Paris a un rôle international moindre mais la France tente de conserver une influence significative dans le monde. De Gaulle fut, nous l’avons vu, un acteur majeur et plusieurs rencontres sont évoquées dans ce livre. Deux contributions portent sur François Mitterrand. L’une d’elles est centrée sur un dîner au Quai d’Orsay avec Yasser Arafat, dirigeant de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) quelques semaines après la reconnaissance mutuelle entre l’OLP et Israël, à la Maison-Blanche, . Ce qui donne lieu à un  « menu sans porc où le vin côtoie les jus de fruit » (p. 305).

Dans cet ouvrage, chacune des contributions d’historien est suivie d’une analyse par un « chef » d’un menu de cette rencontre ou de cette série de rencontres. Puis celui-ci propose une recette inspirée par les plats proposés alors, dont certaines feront peut-être rêver les lecteurs. Un regret cependant, une contribution sur l’évolution de la cuisine française aurait éclairé le lecteur peu averti.

Un livre savoureux qui comblera les fins gourmets, les amateurs de « petites histoires » mais aussi ceux qui s’intéressent à la politique internationale, et dont certaines contributions dressent, en quelques pages, un tableau très réussi d’un moment, révélateur de tendances plus durables.