L’histoire montre que les femmes ont pu, par le passé, jouer un rôle de premier plan dans l’économie. C’est cette histoire que Béatrice Craig relate dans cet ouvrage.

Initialement publié en anglaisEditions Macmillan Education, 2016 avec le sous-titre Invisible Presences in Europe and North America, qui dit toute l’ambition de l’auteure qui est professeure au Département d’histoire de l’Université d’Ottawa.

Béatrice Craig souhaite rend visibles les femmes d’affaires du passé, montrer que ce n’est pas un phénomène récent et analyser ce qui a favorisé et entravé leurs activités.

Si dans les colonies de l’Amérique du Nord, les femmes pouvaient entreprendre dans une économie en expansion et n’étaient pas perçues comme des concurrentes, contrairement à la situation en l’Europe. A partir de la fin du XVIIIe siècle les choses changent ; les bourgeoisies disparaissent du monde des affaires, seules demeures des microentreprises, malgré tout l’évolution de l’entreprenariat féminin ne fut pas uniforme.

La période moderne du XVIe au XVIIIe siècle

Le contexte

Béatrice Craig décrit trois siècles d’un monde préindustriel marqué par les périodes de croissance et de crises, notamment liées aux guerres. Avec les grandes découvertes, l’ouverture de routes maritimes amenèrent sur le marché européen de nouvelles marchandises. La population européenne connaît la croissance, passant d’environ 90 millions vers 1700 à environ 129 millions vers 1800, 16 millions d’Européens étaient installés en Amérique du Nord.

Elle présente les conceptions religieuse et morale de l’économie à l’époque moderne et les idées mercantilistes. C’est une économie réglementée : corporations qui n’acceptait pas d’apprenties, et donc les femmes ne pouvaient devenir maîtresses, contrôle des marchés par les autorités locales, monopoles octroyés par les pouvoirs politiques.

L’auteure rappelle la place des femmes dans la société européenne depuis la fin du Moyen Age. Elles étaient considérées comme inférieures, physiquement faibles, moins intelligentes et moins rationnelles. Les lois civiles comme religieuses en faisaient des êtres subordonnés. Il leur était donc difficile d’exercer une activité commerciale indépendante de leur père ou mari d’autant qu’elles étaient défavorisées par les héritages. Cependant ces affirmations seraient à nuancer selon des régions.

Les artisanes

Béatrice Craig constate un recul des activités féminines par rapport au Moyen Age, les travailleuses de la soie parisienne n’existaient plus en 1500, les corporations féminines de Cologne disparurent au cours du XVIe siècle. Reprenant les travaux de John Collins , elle montre que si la position légale des femmes semble se détériorer en France à l’époque moderne, leur place dans le monde des affaires augmente. Elle appuie son raisonnement sur divers exemple de l’histoire des corporations (Allemagne du Sud, France, Angleterre, Pays-Bas). Elle décrit notamment la corporation française des lingères et les conséquences de l’ouverture des marchés avec l’expansion mondiale. Son étude porte jusqu’au XVIIIe siècle où le poids des corporations décline ce qui favorisa l’artisanat féminin (couturières, féminisation des milliners anglais) et elle élargit sa description à l’Espagne et à la Scandinavie.

Les détaillantes, vendeuses de rues, placières des marchés et boutiquières

La place des femmes étaient très importantes dans ce petit commerce de proximité, même si on trouve aussi quelques veuves dans le commerce de gros comme la veuve Pearse, acheteuse de grain à Oxford (fin XVIIe siècle). La prospérité économique s’accompagne d’une plus grande présence féminine (Pologne, Francfort) malgré l’hostilité des corporations de boutiquiers.

Les femmes tiennent une grande place dans le commerce de l’occasion (brocanteuses) comme ces expertes en valeur (Nuremberg, Édimbourg, Vienne). L’auteure constate qu’elles sont souvent des veuves qui à l’occasion pratiquent le prêt sur gage. Enfin il est question de commerce occasionnel voire irrégulier avec des exemples à Lyon, au Portugal ou à Vienne. Ces activités concernent souvent le commerce de victuailles.

Négociantes et bancaires

On les trouve associées à leur mari. La correspondance d’Alexandrine Virnot avec son mari montre le rôle d’une épouse de négociant à la fin du XVIIIe siècle.

L’auteure décrit différentes situations : le commerce des denrées périssables en Écosse, une femme armatrice Madeleine Lartessuti au XVIe siècle à Marseille. La côte atlantique favorisait l’activité féminine puis que les hommes étaient retenues au loin (commerce comme pêche à la morue). Le tour d’horizon pousse jusqu’à la Baltique.

Dans le domaine de la banque les exemples étudiés montre, aussi, qu’il s’agit souvent de veuves.

Imprimeuses et manufacturières

L’imprimerie n’étant pas une activité réglementée la première femme connue pour avoir imprimé des livres fut Anna Rugerin, d’Augsbourg, en 1484. Un autre exemple est le cas de Charlotte Guillard à Paris. En Angleterre, les femmes étaient librairies tandis que les hommes étaient imprimeurs ou relieurs.

L’auteure évoque ensuite d’autres activités manufacturières : brasseries, distilleries, faïenceries (Rouen) ou tissage des indiennes (Espagne). Elle cite les travaux d’Eva Labouvie sur les maîtres de forge ou verriers de Sarre. Elle montre aussi que les difficultés économiques ont pu favoriser l’émergence d’entrepreneuses issues de la noblesse ou de la grande bourgeoisie comme l’Allemande Christiana von den Osten-Sacken, Charlotte Amalia de Nassau-Usingen…

Les colonies (britanniques et françaises) d’Amérique du Nord .

Dans le nouveau monde la faible densité de population imposait la contribution des femmes. Les autorités coloniales accordaient, notamment aux épouses abandonnées, la permission de travailler pour leur propre compte, pour qu’elles puissent subvenir à leurs besoins.

Les Amérindiennes furent les premières femmes d’affaires d’Amérique du Nord dans les premiers trocs avec les Européens. Mais les premières femmes parmi les colons durent jouer un rôle dans les échanges, notamment quand les hommes étaient au loin pour la trappe des fourrures. L’auteur présente le cas de Jeanne-Charlotte de Fleury Deschambault, une native du Canada (1683-1763).
Elle montre les différences entre colonies britannique et française.
Pour la Nouvelle-France, on recense 32 femmes ayant participé au commerce transatlantique entre 1713 et 1746, appartenant à des familles de négociants et même à des réseaux transocéaniques de négociantes.

Dans les colonies britanniques les femmes étaient des artisanes, marchandes de mode, tailleuses, faiseuses d’éventails et brodeuses, teinturières, blanchisseuses. Ces dernières activités étaient pratiquées par les femmes pauvres. Les domaines d’activités étaient nombreux comme le montre les exemples développés ici.

Un paragraphe est consacré aux Hollandaises de New-York.
Béatrice Craig présente aussi la situation dans le Sud avant que ne se développe vraiment l’esclavage : « les trois quarts des Blancs ne possédaient pas d’esclaves et la majorité des propriétaires en possédaient moins de dix. »(cité p. 105). Elle décrit le cas d’Eliza Lucas qui gère, en l’absence de son mari, une plantation en Caroline du Sud.

Le monde contemporain du XIXe au XXIe siècle

Contexte

A la fin du XVIIIe siècle de nouveaux modes de production commencent à remplacer les ateliers domestiques (inventions de la spinning jenny). La mécanisation et l’urbanisation croissantes influent sur l’organisation même des entreprises (sociétés par actions, responsabilité limitée) et contribuent au recul des possibilités d’entreprendre pour les femmes et les relèguent dans la sphère privée, et ce partout en Europe.

L’auteure aborde les évolutions du droit des femmes au travail et de la recherche de l’égalité.

Plus ça change… Petites bourgeoises du monde anglophone …

En Amérique les petites bourgeoises continuèrent, généralement, à posséder leur propre entreprise jusqu’au début du XXe siècle. Les annuaires de commerce, les registres des compagnies d’assurance peuvent le montrer. L’évaluation du nombre de femmes dans le monde des affaires demeure difficile à établir (exemple anglais 1772-1900). Il est par contre évident que c’était plus difficile aux États-Unis pour les femmes noires. L’auteure décrit la taille et la durée des entreprises, la qualité (célibataires, mariées, veuves) des femmes entrepreneuses et les domaines : alimentation, textile…, une gamme plus large dans l’Ouest américain. Enfin leur manière de gérer leurs affaires ne semble pas différents de celle des hommes.

Petites entreprises féminines en Europe occidentale

L’auteure décrit des situations diverses où le libéralisme autorise l’entreprise, mais avec dans certains pays l’idée d’un contrôle sur les formations et certifications des métiers qui pouvait être défavorable aux femmes. Elle oppose ainsi des pays libéraux : France, Belgique, Italie et Pays-Bas où les femmes peuvent exercer des métiers masculins ; à des pays moins ouverts : le Danemark, mais surtout l’Allemagne et l’Autriche où, malgré l’abolition des corporations, les gouvernements et les associations professionnelles cherchent à limiter l’accès des femmes au commerce et à l’artisanat.

Femmes à la tête de grandes entreprises : successeurs et héritières

Le très petit nombre de femmes à la tête de grandes entreprises se retrouve en EuropeVoir le Dictionnaire historique des patrons français, Sous la direction de Jean-Claude Daumas, en collaboration avec Alain Chatriot, Danièle Fraboulet, Patrick Fridenson et Hervé Joly, Paris, Flammarion, 2010 comme aux États-UnisVoir L’Historial Encyclopedia of American Women Entrepreneurs de Janet Oppedisano

L’auteure évoque quelques cas, comme en France (Tourcoing, Lille) où la proportion d’usines ou banques dirigées par une femme resta quasiment inchangée au cours du XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale. Elle montre aussi les réalités allemandes (La famille Zanders à la tête d’une activité papetière grâce aux efforts de ses femmes) et russes (secteurs de l’alimentation et du textile). L’exemple de Christine Englerth (1767-1838) est très parlant : héritière de la mine de charbon d’Eschweiler, elle développa l’entreprise et investit dans les chemins de fer. Les exemples cités montrent que la transmission d’une entreprise à une fille n’était pas fréquente. Un paragraphe est consacré à la Russie méridionale.

Béatrice Craig parle d’une certaine invisibilité des femmes chefs d’entreprise tant à leur époque que dans les recherches d’histoire économique ou les histoires d’entreprises ?

Femmes à la tête de grandes entreprises : fondatrices et co-fondatrices

Il est difficile d’en de déterminer la représentativité puisque les sources d’informations sur les fondatrices sont leurs biographies. Co-fondatrices, elles étaient associées à leur mari mais ces

femmes avaient une position officielle au sein de la firme. Les fondatrices le sont souvent par nécessité et désir d’indépendance. L’auteure présente quelques-unes d’entre elles, Européennes ou Américaines, des histoires singulières dont plusieurs dans le secteur des jouets et de la mode.

Investisseuses et banquières, du XVIIe au XXe siècle

Rentiers ou spéculateurs, les deux attitudes sont aussi bien féminines que masculines. Ce chapitre s’appuie essentiellement sur l’exemple britannique. L’auteure décrit la place des femmes, qui tenaient les livres de compte, sur le marché des capitaux dès leur développement au XVIIe siècle. Elles investissent dans des obligations d’État ou des compagnies de commerce : en 1685, 20 % des titres de la Compagnie des Indes Orientales et de la Compagnie royale d’Afrique étaient détenus par des femmes. Pendant la plus grande partie du XIXe siècle les femmes eurent peu de possibilités pour gérer leurs biens. Pour investir sur les marchés financiers il faut mesurer les risques et les

profits et donc disposer d’informations aux quelles les femmes n’avaient, souvent, pas accès. C’est pourquoi elles préféraient généralement les emprunts d’État. L’auteure aborde le cas particulier des banquières et un paragraphe est consacré aux Américaines fortunées, comme Hettie Green.

L’entreprenariat féminin après les années 1960 : une nouvelle frontière féminine (américaine) ?

Pour ce denier chapitre Béatrice Craig part des travaux de d’Eleanor Schwartz (1976) portant sur les États-Unis. On y voit se développer entrepreneuriat féminin. L’auteure rapporte les profils, le statut et décrit quelques exemples. Elle montre aussi l’émergence du concept de genre pour étudier la question. La notion de « plafond de verre » dans les conseils d’administration des grandes entreprises a pour conséquence une plus forte incitation pour les femmes à créer leur entreprise, même si les grandes sociétés ont graduellement fait place aux femmes.

L’image en Europe des femmes entrepreneuses est un peu différente comme le montre l’exemple de Patricia RussoAnalyse des notices wikipédia en anglais et en français, p. 241-242.

Ce livre propose une synthèse accessible sur un sujet peu étudié, celui des femmes dans le monde des affaires.

Tous nos remerciements à l’éditeur qui permet le téléchargement gratuit

Présentation sur le site de l’éditeur